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Un peu plus tôt…
Les flots impérieux de la pluie s’atténuaient graduellement, le ciel retrouvait peu à peu la douce clarté que lui offrait la présence apaisante de la lune. Dans la rue, un vent frais emportait au loin les fines gouttelettes d’eau céleste que laissaient encore échapper quelques nuages. La rue était devenue étrangement calme, seul le faible murmure du vent communiquait d’un chant pur et glacé. Le carrefour principal de la, si fréquentée, Avenue Erickson était le théâtre d’un bien triste spectacle.
La chaussée ressemblait à un tableau angoissant, dépeignant un paysage cauchemardesque, des dizaines de voitures se chevauchaient grossièrement dans un amas de carcasses métalliques, le goudron glissant acheminait, en un ridicule ruisseau inflammable, le carburant qui s’échappait invariablement des automobiles accidentées, jusqu’aux égouts. L’odeur âcre de l’essence mêlée à celle du gasoil, alourdissait l’air. Elle se faufilait sournoisement dans les bouches des spectateurs qui observaient d’un air béat la tragédie qui venait de se produire, leur brulant la gorge à la manière du soufre, avant de s’infiltrer dans leurs poumons.
Alors que certains passants, affolés, appelaient les secours, de leurs voix entrecoupées par leur forte respiration, d’autres tentaient ardemment de sortir les conducteurs de leurs véhicules. Allongé sur le trottoir à quelques pas du terrible carambolage. Conrad gisait sur le dos, dans une gigantesque marre de sang pourpre. Ses yeux, brouillés par le sang qui lui embuait la vue, ne lui laissaient entrevoir que des formes abstraites et floues, des ombres mobiles qui vacillaient continuellement au-dessus de lui. Battant vainement des paupières, il tentait inlassablement de distinguer les silhouettes qui dansaient sous les murmures étouffés qu’étaient les cris des passants à ses oreilles. Seule une voix, telle une caresse sur son cœur résonnait agréablement à son oreille : « Tout ira bien, n’ais pas peur ». Sa tête lui semblait lourde et ses pensées confuses, il ne parvenait pas à se souvenir de comment il s’était retrouvé allongé là, ni pourquoi il se sentait si faible, il sentait à peine son corps, comme si son être ne faisait plus partie intégrante de lui, mais surnageait contre lui, telle une sorte de seconde peau. Il resta allongé là, une minute, une heure… sans doute, à admirer presque malgré lui le vaste ciel étoilé qu’il avait l’impression d’observer depuis l’autre côté d’une vitre trempée, cette immensité lointaine dont jaillissaient en rafales les couleurs rouge et bleu. Non loin de lui, une musique neutre retentissait comme depuis le fond d’un puits, il tendait l’oreille pour l’identifier, lorsque soudain… ce fut le noir total.
Lorsqu’il revint à lui, et qu’il perçut de nouveau le monde autour de lui, il lui sembla qu’il était plus agité, les bruits autour de lui étaient plus nets, mieux, il percevait chaque murmure, chaque souffle près de lui. Des quantités de voix l’accompagnaient alors qu’il se sentait bouger, sans pour autant remuer le moindre membre. Bien qu’il fut tout à fait conscient d’être de nouveau éveillé, Conrad ne distinguait rien du monde qui l’entourait, il vivait, ces événements comme en rêve, les yeux voilés par deux fines paupières pâles, il traversait les couloirs sur éclairés de l’hôpital Sainte Marie sur un brancard. Il avait beau remuer dans son être avec acharnement, il ne parvenait pas à bouger un cil, il avait beau tirer de toutes ses forces sur ses cordes vocales, pas un murmure n’en émanait.
Le corps et les vêtements du jeune homme étaient couverts de sang. Ses habits, déchirés et trempés d’hémoglobine, collaient à sa chair meurtrie de plaies ouvertes profondes, de coupures et d’écorchures. Son torse affaissé laissait entrevoir un creux béant entre ses poumons qui remuaient à peine derrière ses côtes brisées. Prisonnier de son propre corps, et à la fois, déconnecté de celui-ci, le jeune homme ne pouvait qu’entendre, comme un spectateur aveugle dans un théâtre. Autour de lui, il distinguait les voix des urgentistes, si près et pourtant si loin, ils semblaient affolés, Conrad pouvait entendre leurs pas résonner sur le sol rigide des urgences, à la manière d’un marathon endiablé. Il tendit un peu plus l’oreille, curieux de comprendre ce qui se passait autour de lui, cherchant désespérément un repère au milieu de ce tunnel sombre. Il lui sembla un court instant saisir quelque chose, deux, non trois hommes discutaient au-dessus de lui, leurs voix portaient si haut, l’on aurait dit qu’ils hurlaient :
« _ Jeune homme d’environ seize ans, encore non identifié, trouvé sur les lieux d’un carambolage… disait la première voix.
_ Oh mon Dieu ! Que lui est-il arrivé ? s’exclama la deuxième.
_ Il a été percuté par un conducteur distrait d’après les témoins de l’accident. Répondit la première.
_ Il est salement amoché ! Qu’elle est l’étendue des dégâts ? fit une troisième.
_ En gros, multiples blessures à la poitrine, présumée zone de l’impact, plusieurs côtes brisées, plaies ouvertes au niveau de l’abdomen, importante commotion cérébrale et possible hémorragie interne. Expliqua la première.
_ Il ne tiendra pas longtemps si on attend, on l’emmène au bloc « D » en urgence… cria la seconde voix. »
Puis, il se sentit pousser plus vite, le brancard venait d’accélérer, il se sentit pivoter, ressentit qu’on le soulevait et qu’on l’allongeait de nouveau. Conrad était perdu, les récents événements ne trouvaient pas leur explication dans son esprit, il entendait dire autour de lui qu’il était gravement blessé, qu’il avait eu un accident, mais, quel accident ? Il se sentait bien, il s’était sûrement évanouie à cause de la quantité inhabituelle d’alcool qu’il avait ingéré, mais c’était tout, du moins, il l’espérait. Rapidement, des tubes, puis des aiguilles lui pénétrèrent la peau, des voix au-dessus de lui répétaient qu’il avait peu de chance de s’en sortir, alors qu’il avait, lui, juste l’impression de dormir, et ce bip, répétitif, insistant, persistant qui lui happait les oreilles… comment pouvait-il être blessé et ne sentir aucune douleur, à vrai dire, il ne sentait rien, se rendit-il compte, progressivement, il sentit ses forces l’abandonner de nouveau, et encore une fois, le noir se fit.
Il se sentit encore balloté dans tous les sens de longues heures durant, des voix différentes résonnaient autour de lui à chaque fois, ce n’était jamais les même, sauf une qui était présente en permanence, une voix à la fois grave et douce, une voix d’homme. Sans qu’il sache pourquoi, cette voix l’apaisait, à chaque parole qu’elle prononçait, elle semblait lui assurer que tout irait pour le mieux, ce qui lui était difficile à croire face à tant d’infortune.
Le silence se fit, un silence pesant, cruel, qui ne permettait que le résonnement perpétuel et oppressant du bip lassant mais persistant d’un appareil près de lui, mais tout à coup, tout se mit à trembler autour de lui, ou peut-être était-ce lui qui tremblait, violement, il avait l’impression de recevoir une puissante décharge électrique, il sentait enfin quelque chose, mais était-ce bon signe ? Il entendit ensuite des pas, comme si une foule entière se ruait autour de lui, des mains, posées sur sa poitrine lui appuyaient le torse, il se sentait bousculé piqué, des voix fortes résonnaient dans la pièce comme dans une foire ou dans les gradins lors d’un match de baseball, puis, le silence de nouveau, le calme, il ne tremblait plus, il se sentait partir, comme s’il s’endormait progressivement, son corps lui semblait plus léger. Mais, ses oreilles, elles, encore en éveil, saisirent soudain une phrase, de l’une des voix qui l’avait accompagné dans son périple, qui lui donna comme un coup de poing en plein cœur :
_« Heure du décès… »
Piégé dans le noir, il se mit à suffoquer d’angoisse, ce n’était pas possible, il ne pouvait pas être mort, il se sentait bien, il ne souffrait pas, au contraire, il flottait dans un incomparable bienêtre, il ne s’était jamais sentit aussi paisible. Il ne sentait plus les aiguilles sous sa peau, ni les tubes dans sa chair, il entendait toujours ce « bip », mais se dernier n’était plus répétitif, non, cette fois, il semblait continu, inarrêtable. Comment était-ce possible, était-ce un cauchemar ? Se réveillerait-il dans son lit, en sueur et courbatu ?
Lui qui avait si souvent souhaité mourir, paniquait maintenant à la seule idée de quitter ce monde, il se disait qu’il avait souffert, qu’il souffrait encore intérieurement, mais pas au point de vouloir mourir, plus maintenant en tout cas. Il se surprit à penser à Tommy, son seul véritable ami depuis qu’il avait perdu Merrill, il regretta leur dispute, ces mots qu’il avait sans doute pensés sur le moment, mais qu’il aurait voulu effacer maintenant. Il pensa à son père, à leurs rapports qui s’étaient améliorés, aux heures qu’ils passaient à discuter et à rire, au lieu de se morfondre chacun dans son coin. Il pensa même à Mme Either, à ses robes trop colorées, à sa voix haut perchée et à sa pitié désagréable, mais aussi à son attention, à sa gentillesse, à sa simplicité, mais surtout, il pensa à ses yeux si doux, à la façon dont ils se remplieraient de larmes si tout ceci s’avérerait être la dure réalité. Et enfin, il pensa au docteur Nelson, ce vieillard trop distingué, mais si attentif qui avait su l’empêcher de couler.
Autour de lui, il n’y avait plus aucune voix, plus que des bruits de pas comme des coups sur un tambour, et cet étrange bourdonnement. Alors qu’il tendait l’oreille pour mieux le percevoir, il se sentit soulevé de son lit, emporté dans les airs dans un mouvement à la fois fluide et bref, enfin il parvint à ouvrir les yeux, il voyait ses mains, ses pieds, mais il s’étonna de n’y voir aucun bandage, aucune plaie, pas même une écorchure. Avec tout le raffut qu’il avait entendu à propos de son accident il s’attendait à en être couvert jusqu’au menton. Mais autour de lui, de son corps, c’était le néant, il était comme dans un tunnel de métro, plongé dans le noir, qu’il traversait en volant ou plutôt, en flottant.
Avant qu’il ait le temps de paniquer de nouveau, il se retrouva dans une petite chambre d’hôpital, aux murs blancs, qu’il contemplait depuis les hauteurs. Ce détail, bien que troublant, ne l’étonna pas sur le moment. Le mobilier en aggloméré, quasiment inexistant, était disposé de façon aléatoire dans la petite pièce, des fenêtres en verre, fermées, laissaient passer un léger faisceau de lumière au travers de l’écart qu’avait créé le vent entre les rideaux beiges qui la décorait. Des infirmiers allaient et venaient dans la salle, il les interpella, mais ils ne semblaient ni l’entendre, ni le voir, et, sur le lit derrière lui, il aperçut un corps qui lui sembla familier, il était couvert de bandages épais, des machines plus étranges les unes que les autres étaient raccordées à lui par des centimètres entiers de câbles opaques, justement, le personnel hospitalier les sortait une a une de la pièce. Doucement, guidé par sa curiosité, il entreprit de se rapprocher de lui, au fur et à mesure des pas qu’il faisait dans le vide, piégé en apesanteur, les traits du visage de l’individu lui apparaissaient plus nets. Mais ce qu’il vit, était impossible à concevoir.
Là, allongé sur le dos, pâle comme un mort et couvert de bandages, il se reconnut, comme à travers un miroir glauque, il se contempla entièrement, abasourdit. Perplexe, il se demandait comment il pouvait à la fois être allongé sur ce lit et suspendu juste au-dessus, il balaya nerveusement de ses yeux écarquillés son corps, irréel, qui flottait près du lit, en contre plongée, il examina ses mains, se toucha le visage et le torse, mais il avait beau se tâter aussi frénétiquement que lui commandait son stress, il ne parvenait à aucune véritable sensation. Puis, doucement, la pièce lui apparue dans son intégralité, il l’examinait depuis un coin. C’est alors que dans un élan de panique incontrôlé, il se rua sur les infirmiers qui allaient et venaient dans la chambre, leur hurlant de l’aider, mais, il avait beau crier à s’en rompre la voix, personne ne sourcilla. C’est alors qu’il renonça. Il était mort.
Brusquement, il se sentit vaciller, comme s’il était pris de vertige, il battit brièvement des paupières, et, sans qu’il puisse se l’expliquer, il fut téléporté dans une vaste étendue de lumière étincelante. D’une blancheur pure et irréelle, le monde qui l’entourait vibrait d’une indescriptible douceur. Il avait beau regarder cet univers inconnu avec les yeux d’un enfant, découvrant le monde qui l’entoure, il ne se demandait pas où il était, comme si, au fond de lui, il le savait déjà, il avait l’impression que cette immense sensation de paix et de calme ne lui était pas étrangère, comme s’il ne découvrait pas cet endroit, mais plutôt, qu’il le retrouvait. Il évoluait dans cette infinité, aussi sereinement que le nourrisson qui dort dans les bras de sa mère. Il se demandait comment il avait pu vivre loin de ce bonheur, de cette plénitude, si longtemps.
Emporté par le flot de joie qui le parcourait, il oubliait peu à peu ses tourments, quand, soudain, il perçu comme un murmure près de lui, une voix pareille à une mélodie, et se mit à fouiller l’infinité du regard. Cherchant des yeux d’où pouvait provenir ce murmure, ce chuchotement, mais n’apercevant rien, il attendit. Il fixait, incrédule, le vide tout autour de lui en se demandant si son esprit ne lui avait pas joué des tours. Il s’interrogeait encore ainsi lorsqu’une voix familière l’interpella :
_ Conrad mon cœur ?
Il se retourna brusquement,
_ Maman ?
_ Bonjour chéri, c’est fou ce que tu as grandi, elle souriait tendrement.
_ Maman, c’est vraiment toi ? Et Merrill, il est avec toi ?
Pour seule réponse, elle s’était retournée. Aussitôt, il avait vu son frère apparaitre derrière elle, tout aussi heureux,
_ Alors p’tit frère, t’as l’air en forme… lui avait-il adressé,
_ Tu m’as tellement manqué frangin, si tu savais, j’en ai bavé sans toi… lui avait répondu Conrad dans un sanglot avant de lui courir dans les bras,
_ Il faut que tu apprennes à vivre Conrad, je ne suis plus là c’est vrai, mais tu ne dois pas en souffrir pour autant.
_ Ton frère a raison, ça nous fait du mal de te voir ainsi broyer du noir sans pouvoir t’aider…
_ Tout ça n’a plus la moindre importance maintenant, je suis ici avec vous, tout ça, est derrière moi.
Conrad se jeta dans les bras de sa mère sous le regard doux et réconfortant de Merrill, il était envahi d’un étrange sentiment, comme une douce chaleur, réconfortante, il sentait des larmes lui couler des yeux, comme des torrents de tristesse qui le quittaient, avant de disparaître. Il se confia longuement comme il avait tant souhaité pouvoir le faire, il le fit comme il n’avait jamais pu le faire avec le docteur Nelson, il raconta son agonie silencieuse, sa solitude, sa joie bien qu’éphémère, ses tourments, sa mort…
Son cœur dansait dans sa poitrine, il exultait de bonheur dans les bras accueillants de sa mère, jamais il ne s’était sentit aussi heureux, en sécurité, il était enfin en paix.
_ Je suis tellement heureux de vous voir, si vous saviez comme ça a été dur sans vous, j’ai si souvent rêvé de ce moment, et enfin, j’y suis, avec vous…
Comme pour ses cauchemars, il fut pris de flashes, des épisodes de ce qui avait été sa vie se mirent à défiler devant ses yeux, à la différence que ceux-ci ne lui étaient pas douloureux. Il se vit petit, deux ans, peut-être trois, assis à un petit bureau en bois, il dessinait calmement le dos voûté, Merrill se tenait au-dessus de lui et guidait ses coups de crayon, puis à six, dans la cours, un ballon entre ses frêles jambes, tandis que sa mère, les bras tendus vers lui, l’encourageait… il parcouru ainsi, l’une après l’autre, chacune des étapes de sa vie. Une idée se renforçait à chacune d’elles, il n’avait jamais été seul.
Soudain, comme sortit tout droit du néant, il vit apparaitre devant lui une porte, lourde, imposante, taillée dans un bois d’une noirceur pur qui rappelait l’ébène poli. Elle avait un je ne sais quoi d’attirant, une lumière limpide semblait briller juste derrière, elle filtrait par le bas de cette dernière, il s’avança et entreprit de l’ouvrir, mais n’y parvint pas. Il avait beau s’acharner sur la poignée, la porte ne s’ouvrait pas.
_ Non mon cœur, ta place n’est pas ici,
_ Quoi ? Pourquoi ?! demanda-t-il plaintif.
_ Avec qui penses-tu laisser ton père, et tu as ta vie aussi, il faut que tu vives pour nous, ainsi nous auront de nombreuses et heureuses choses à nous raconter à ton retour ici…
Cette phrase lui tomba dessus comme une enclume, son père, il l’avait complètement oublié, comment avait-il pu ? Comment se sentait-il en ce moment ? Il n’avait pas entendu sa voix de tout son calvaire, il se demandait même s’il était au courant de son état… Il en resta sans voix.
Il sentit alors un flux d’énergie le parcourir, comme une vague de chaleur qui le portait jusqu’à son corps, jusqu’à sa vie. Il aurait voulu ne jamais partir, rester à jamais dans cette divine présence, cet amour et cette paix dont il manquait déjà, mais il ne pouvait pas, il n’en avait pas le droit. Subitement, aussi rapidement qu’il avait été transporté dans cet univers de pure allégresse, il se retrouva au-dessus de son corps et se sentait comme attiré par une force à laquelle il ne parvenait pas à se soustraire, il se débattait toujours lorsqu’il vit son père près de lui sur son lit, à la porte, se trouvait un médecin, un homme qui lui semblait familier. Il perçut son air abattu et en eu un pincement au cœur, ses yeux rouges, son air débraillé et ses cheveux éparses, sa voix qui tremblait alors qu’il lui adressait ses adieux. Conrad réalisa, il était la seule famille de son père, son unique raison de vivre, et d’ailleurs, lui aussi n’avait plus que lui, il ne pouvait pas l’abandonner à ce monde cruel, et à une vie de solitude, il ne savait que trop bien ce qu’elle pouvait être dur à supporter… il se laissa donc emporter par le flot d’énergie qui l’appelait vers son enveloppe charnelle. Il entendit une dernière fois la voix de Merrill qui semblait résonner dans sa tête : « Bats-toi petit frère, n’abandonne pas ».
***
Edouard se sentait revivre, comme s’il avait franchi une épreuve témoin de son éligibilité à la vie sur terre. Seulement trois jours que le cœur de Conrad était repartit, et déjà il paraissait avoir rajeunit de dix ans. Ses cheveux châtain clair correctement coiffés, son menton carré rasé de près et ses yeux noisette qui brillaient d’une lueur peu commune lui donnaient une mine nouvelle, l’on aurait dit un adolescent. Malgré son emploi du temps chargé, il s’était aménagé trois heures entières qu’il passait au chevet de son garçon, toujours dans le coma. Il aurait pu être prit d’appréhension, douter et même être effrayé, mais non, une voix au fond de lui chuchotait, elle lui murmurait que Conrad se réveillerait bientôt et que tout irait pour le mieux désormais, et il faisait confiance à cette voix, il avait foi en elle. Conrad était considéré dans tout l’hôpital comme un miracle vivant, peu de gens étaient revenus à la vie sans séquelles irréparables après être resté mort plusieurs heures, et lui faisait désormais parti de ces quelques personnes chanceuses. Edouard n’avait pas manqué de rappeler le proviseur, cette fois pour le remercier, mais aussi pour le rassurer et lui confier les derniers évènements en date, ce dernier avait été ému aux larmes en entendant le récit d’Edouard, il lui avait souhaité le meilleur et avait promis de se rendre sur les lieux le plus tôt possible pour souhaiter en personne un excellent rétablissement à Conrad. Ce qu’il avait fait le lendemain même.
Le lendemain du miracle, le proviseur du lycée de Conrad, deux de ses professeurs, Mr Peterson et Mme Either ainsi que cinq élèves de sa classe étaient venu lui rendre visite, des sourires de tendresse et de compassion aux lèvres, ils étaient venus les bras chargés de fleurs, de ballons, de cartes d’autres élevés et les cœurs pleins de vœux de bon rétablissement. Un geste qui avait touché son père, lui qui savait Conrad peu fréquenté par ses collègues de lycée, appréciait leur effort de sympathie et de compassion. Il se demandait tout de même pourquoi Tommy, son seul ami, ne venait pas le voir, il repensait aux paroles du jeune homme au téléphone le soir de l’accident de Conrad « on…on est plus amis. » Cette phrase lui avait transpercé le cœur, s’il avait dit la vérité alors Conrad était de nouveau seul. Non ! Lui serait toujours là pour lui, cette rupture lui donnait une occasion de se rapprocher de son fils, et il ne commettrait pas une seconde fois l’erreur de l’abandonner à sa solitude. Mais tout de même, que c’était-il donc passe entre eux pour que même après tout ceci, il ne soit pas venu le voir ? Peu importe ! Désormais il serait son ami plus que son père.
***
Un soleil brut d’après-midi brillait insolemment à l’extérieur des bureaux climatisés de la Clayton Company, Edouard, en descendant les marches en béton qui composaient la devanture de l’immeuble, retirait doucement sa veste et retroussait soigneusement les longues manches de sa chemise couleur saumon. La chaleur était à peine supportable ce jour-là, aussi, il s’empressa de rejoindre sa voiture qui était garée non loin au bas des marches. Une fois installé dans son véhicule double cabine, Edouard regarda instinctivement sa montre, il avait deux heures et trente-deux minutes devant lui, il démarra alors l’auto et prit la direction de l’hôpital Sainte-Marie. Déjà une semaine et quatre jours que Conrad dormait à poings fermés, mais les médecins étaient optimistes, alors lui aussi, surtout que la petite voix dans son cœur n’avait pas fini de chuchoter des paroles réconfortantes, alors pourquoi s’en faire ? Il lui fallait juste être un peu plus patient.
Devant l’hôpital, une allée de pavés qu’accostaient deux étendues verdoyantes, de pelouse fraichement taillée, menait au rez-de-chaussée du bâtiment. Edouard avançait à pas pressés, dans son esprit il comptait chaque seconde, chaque minute qui s’écoulait, il aurait tant souhaité avoir plus de temps. Juste devant les gigantesques portes coulissantes, une femme âgée dont les longs cheveux noirs descendaient en cascade sur son dos vouté, faisait d’inlassables allers retours avec un panier en osier tressé dans les mains, il s’approcha doucement d’elle et l’interpella familièrement :
_ Bonjour madame Suarez !
_ Ah bonjour Mr Davis, vous venez voir votre petit ?
_ Oui, et vous, que faites-vous là ?
_ Je vends des senteurs, allez sentez-moi ça !
_ Ça sent très bon, à combien vous les faites ? demanda-t-il en approchant les objets parfumes de son nez.
_ Pour vous c’est trois dollars, ça fera bon dans la chambre de votre fiston, vous verrez, avec ça il se réveillera vite et de bonne humeur.
_ Merci beaucoup. Allez, je dois y aller, bonne journée Patricia !
_ A vous de même Mr Davis.
En traversant la salle d’attende, Edouard ne parvenait pas à retirer son nez du pot en verre qui contenait le parfum à la lavande, il sentait si bon.
La chambre de Conrad était aussi fraîche que d’habitude, les rideaux étaient tirés, les vitres propres laissaient passer la douce lumière du jour, le bip incessant de l’oscillographe résonnait dans la pièce d’un écho persistant, mais maintenant, Edouard ne le méprisait plus, au contraire, il avait peur de ne plus l’entendre. Conrad était allongé sur le dos dans son lit, sa poitrine se mouvait au rythme de sa respiration, Edouard le regardait fixement tandis qu’il s’approchait de sa couche, il était moins pâle, la plupart des bandages lui avait été retiré et moins de machines l’entouraient, beaucoup moins. Même s’il avait repris des couleurs, ses joues autrefois fermes et colorées, étaient devenus creuses et ternes. Edouard, d’un regard enfantin, observait silencieusement ses paupières closes qui remuaient de temps à autres, comme s’il rêvait, comme si tout ce temps il n’avait fait que dormir. Edouard passa une main chaleureuse sur le front du jeune homme avant d’y déposer un baiser.
Près du lit, se trouvait un petit meuble en bois peint, des fleurs et des ballons le décoraient, il les écarta légèrement et y posa le senteur parfum lavande, il se présentait sous la forme d’un liquide violet, dans l’emballage se trouvait une fleur blanche en papier, il la plaça dans le pot, aussitôt le liquide mauve se mit à grimper le long de la tige, la colorant au passage, tout en répandant le délicieux parfum floral dans la sobre chambre. Assis dans un fauteuil près de Conrad, Edouard profitait les yeux fermés de la douce odeur qui colorait l’atmosphère de la chambre, bercé par le bip des machines, il savourait l’instant. Soudain, dans le semi-silence de la pièce, une voix retentit, rauque, comme provenant des entrailles de la terre, sèche, comme sortant d’une gorge déshydratée par une chaleur infernale, basse tel un chuchotement de tentation. En l’entendant, Edouard s’était redressé dans son fauteuil, il avait frénétiquement regardé autour de lui, cherchant des yeux la source de ces paroles imperceptibles, mais il eut beau balayer la pièce du regard, il ne vit rien ni personne, ce n’est que lorsque son regard se posa de nouveau sur Conrad qu’il s’aperçu que ses yeux mi-clos mouillés de larmes le regardaient tendrement. Un bonheur sans nom s’empara de lui, son cœur s’emballa sous le coup de l’émotion, pendant de longues secondes il fut incapable de bouger ou d’émettre le moindre son, il aurait pourtant voulu lui sauter à la gorge, crier de joie, mais il était comme figé, lorsqu’il put enfin se mouvoir, il tomba à genou et fondit en larmes. Des perles d’eau ruisselaient sur son visage, coulaient de ses yeux et glissaient sur les contours grossiers de son large sourire, il avait posé ses mains tremblantes sur le sommet de son crâne, et, alors qu’il croyait halluciner, la voix retentit de nouveau, s’échappant d’entre les lèvres pâles du garçon toujours couché :
_ Pa… papa…
Des larmes plus grosses échappèrent à Edouard, un rire saccadé de sanglots sortit du fond de sa gorge se mit à bruire, bientôt, une infirmière alertée par le bruit le rejoignit dans la chambre avant d’en ressortir pour ameuter ses collègues. A leur arrivée dans la chambre, ils trouvèrent Conrad assis sur son lit, le torse contre celui de son père, qui ne parvenait pas à s’arrêter de pleurer.
Superbe description de l’accident Fani, bravo.
J’avoue honteusement avoir décroché car le chapitre est trop long.
J’ai fait pareil auprès d’un autre auteur de ce site, après m’être excusé.
ne t’en fais pas, tu mon lecteur le plus fidele , je ne t’en veux pas
Merci, je ne pleure plus.