En contre plongee Chapitre XIII

9 mins

La fin de la journée arriva comme un événement attendu de tous, les classes se vidaient peu à peu, les bavardages incessants des nombreux élèves de l’établissement se dissipaient à mesure que l’après-midi avançait. Le concierge du lycée, entra brusquement dans la salle de retenue des secondes, sans frapper, d’un signe de tête, il avait invité les deux prisonniers à gagner la porte, libérant les deux jeunes hommes de leur punition. Dans la cour, quelques élèves traînaient le pas en direction de la sortie, le soleil courait vers son couchant, appelant la fraîcheur du soir. Comme un seul homme, Conrad et Tommy prirent le chemin de leurs domiciles respectifs, il était trop tard pour faire un détour, et puis, de toute façon, Tommy semblait de plus en plus faible, bien qu’il tenta vainement de faire croire le contraire à Conrad. Le trajet du retour leur paru plus court, tout à leurs conversations, ils n’avaient pas vu la distance se réduire. Conscient des soupçons que le Père de Tommy nourrissait à son égard, Conrad ne se força pas la politesse d’entrer le saluer, il voulait épargner à Tommy plus de misères, ils se quittèrent donc deux rues plus loin et se donnèrent rendez-vous le lendemain. Bien qu’il ait senti de la sincérité dans les propos de Tommy, Conrad sentait qu’il ne lui disait pas tout, il avait exposé les soupçons de son père et son désaccord par rapport à leur amitié, mais encore une fois, il était resté très évasif sur les réactions de ce dernier, Conrad ne craignait que la peur que Tommy ressentait ne vienne du fait que son père le battait. Il savait Tommy trop fière pour l’admettre, il lui faudrait donc le découvrir de lui-même.

En arrivant dans son quartier au moment où le soleil disparaissait à l’horizon, Conrad croisa Connie, elle tenait son chien en laisse et rentrait chez elle. Il la salua brièvement d’un geste de la main et allait rentrer chez lui, lorsqu’elle l’interpella :

_ Hey Conrad !

_ Salut Connie !

_ T’as l’air en forme dis donc.

_ C’est gentil, merci.

_ T’as déjà repris les cours ?

_ Oui, aujourd’hui !

_ Cool, tu t’ennuieras moins, et puis tu verras du monde.

_ Ouais, c’est vrai que j’ai croisé du monde aujourd’hui.

_ Qu’est-ce qui t’est arrivé au visage ? T’es tombé dans des ronces ?

_ Non, c’est un petit cadeau de bienvenu de trois de mes camarades de classe.

_ Ce n’est pas vrai ! Qu’elle bande de cons ! Tu dois en parler à ton père au plus vite.

_ Je n’ai pas trop le choix, avec la gueule que je me paye…

_ C’est vrai qu’ils ne t’ont pas raté. T’as beaucoup mal ?

_ Non, ça va, j’ai pris des calmants au lycée et depuis je me sens bien. Merci quand même.

_ Je t’en prie !

_ Bon, il faut que je te laisse, je dois rentrer.

_ Oui, à plus !

Dans l’allée du jardin, garée devant le garage, Conrad reconnu la voiture de son père, il soupira, l’idée de ce qu’allait être leur conversation de ce soir le frustrait, il avait assuré à son père plusieurs heures plus tôt que tout se passerait bien, il s’était visiblement trompé. Il passa difficilement la porte d’entrée, le dos voûté et les poings serrés dans les poches comme s’il s’apprêtait à recevoir la foudre.

Édouard savourait un verre de vin blanc, confortablement installé dans l’un des sofas du salon, épuisé de sa journée de travail, lorsqu’il entendit la porte principale s’ouvrir. Instinctivement, il se retourna tout souriant, mais défit sa mine bien vite en constatant l’état dans lequel se trouvait le visage de Conrad.

_ Mais qu’est-ce qui t’est arrivé, Conrad ?!

_ Des camarades de classe m’ont souhaité la bienvenue !

_ Tu trouves ça vraiment drôle ou tu te fous de moi ?

_ Calmes toi, je vais bien, j’ai fait un tour à l’infirmerie du lycée, et puis, le proviseur a déjà réglé leur cas aux idiots qui m’ont fait ça.

_ Pourquoi il ne m’a pas appelé alors ?

_ Pour ne pas de déplacer inutilement.

_ Inutilement ?! Mon fils se fait tabasser et m’avertir serait inutile ?! Tu t’entends parler ?

_ Écoutés, si tu veux en avoir le cœur net, tu peux appeler le proviseur toi-même, mais je te rappelle que tout est réglé, il n’est plus nécessaire de t’énerver. Surtout maintenant qu’ils sont dans un état pire que le mien…

_ Comment ça ?!

_ Tommy leur a réglé leur compte à tous les trois !

_ Tommy ?!

_ Oui, je t’expliquerai tout à table, OK ?

_ Très bien, allez, vas prendre ta douche, je t’attends.

Le visage levé vers le robinet de la douche, les yeux clos, Conrad sentait ses muscles se détendre, sous la pluie d’eau chaude, il avait ré ouvert la coupure que Scott lui avait fait au nez, en se passant le gratte corps sur le visage, et elle saignait légèrement, mais ses idées étaient à des kilomètres de son corps et de ses souffrances physiques, il repensait à sa conversation avec Tommy, il avait du mal à assembler tous les éléments dans sa tête, pourtant, les choses lui semblait avoir plus de sens désormais. Les détails qu’il avait tout d’abord ignoré, lui revenaient maintenant. Lorsque Tommy avait inventé ces cours du soir, ils ne s’étaient plus vu que dehors ou chez Conrad, jamais chez lui, ensuite, chaque fois qu’il l’avait appelé cette période-là, il l’avait fait hors de chez lui, en venant le chercher… Il en arriva à entrevoir les raisons pour lesquelles Tommy ne portait jamais de vêtements légers, il était toujours couvert, comme s’il cachait quelque chose, des bleus ? des cicatrices ? des hématomes peut-être ? Il comprenait mieux le comportement de Tommy, même s’il ne lui pardonnait pas totalement, il lui reprochait de ne pas lui avoir fait assez confiance pour lui parler de tout ça, au final, c’était toujours de sa faute. Conrad comprit tristement qu’il ne lui pardonnerait jamais vraiment. Et il en souffrit intensément sur l’instant.

En sortant de la douche, il traîna le pas jusqu’à la porte de sa chambre devant laquelle il s’arrêta net, il aurait voulu arrêter le temps pour se donner quelques heures de répit, tout allait trop vite. La pression devenait de plus en plus forte. Plus tôt dans la journée, il avait eu de la difficulté à cacher ses nouveaux dons à Tommy, et il sentait son cœur suffoquer chaque fois qu’il voyait Sally, il n’en pouvait plus, garder les derniers événements secrets étaient plus durs qu’il ne le pensait, il avait dû abandonner le fantôme d’un SDF à son triste sort pour ne pas éveiller les soupçons de Tommy. Et depuis, il ne parvenait pas à oublier son air désespéré, ses cris, la façon qu’il avait de supplier les passants qui ne le voyaient même pas. Toujours ainsi pensif, il tourna la poignée et poussa la porte de sa chambre, et alla s’asseoir sur son lit.

La sonnerie de son téléphone, posé sur l’un de ses oreillers, le sortit de ses sombres pensées, c’était Tommy, Conrad décrocha :

_ Hey frangin, bien rentré ?

_ Ouais, tranquille.

_ Comment a réagi ton père quand il a vu ton visage ?

_ ça aurait pu être pire…

_ Tu vas bien ? Tu m’as l’air ailleurs.

_ Non, je suis juste un peu fatigué.

_ Tant mieux !

_ Dis-moi, Élysée et toi, comment ça se passe ?

_ Oh, elle m’a fait la tête quand je lui ai dit la vérité, tu sais comme elle est sensible, mais depuis quelques jours ça va mieux, on s’appelle, elle chez une de ses tantes, on est sensé se voir ce weekend.

_ Ah bon ?! Où ça ?

_ Au lac, tu devrais venir…

_ Oui, pourquoi pas, ce serait cool, et je peux amener quelqu’un ?

_ Bien sûr, on n’est pas une secte.

_ Super ! On se voit ce weekend alors, je te laisse, mon père m’attends.

_ OK, à plus !

_ à plus !

Conrad regarda l’écran de son portable de longues secondes après avoir raccroché, comme s’il attendait que l’appareil réponde aux nombreuses interrogations qui papillonnaient dans sa tête. Il pensait à ce weekend, et pensa presque malgré lui à inviter Sally, non seulement pour se faire pardonner, mais aussi, pour la revoir…

Cette virée au lac allait marquer le début de ses investigations sur les rapports que Tommy entretenait avec son père, ce n’était pas par hasard qu’il avait demandé des nouvelles de Élysée, il la savait tout aussi proche de Tommy que lui, sinon plus, si quelque chose clochait, elle pouvait l’aider à le découvrir. Il s’arracha à ses pensées pour ne pas se laisser complètement absorbé. Se rappelant que son père l’attendait toujours dans le salon, il se dépêcha de s’habiller, et le rejoignit pour le dîner.

°°°

Le Mercredi matin commença mal pour Conrad, des courbatures et des cicatrices de la veille. Ces deux derniers jours, qui avaient marqué son retour au lycée, avaient été plus qu’éprouvant pour lui, des révélations aux confrontations, et effusions de sentiments aux réconciliations, sans compter les épuisantes heures de sport auxquelles il avait eu droit en deuxième heure. Il en avait eu pour son matricule. Le jour avançait doucement dehors, et Conrad ne parvenait pas se lever de son lit, il croyait revivre ses réveils difficiles qui avaient fait son quotidien trois années durant, à la différence que cette fois, il ne se laissa pas abattre. Lentement mais sûrement, il sorti ses jambes de sous sa couverture et les posa sur le parquet froid, l’un après l’autre. Murmurant des jurons, la mine défaite, il se dressa sur ses jambes, mais, en posant les yeux sur sa serviette, installée à quelques pas de lui, il s’imagina le supplice que ce serait de marcher jusqu’à la salle de bain, le calvaire que cela représenterait pour lui de prendre une douche, et la souffrance que lui causerait le froid et la marche retour, et il se défendit à lui-même de le faire. Il détourna le regard et le posa cette fois sur son armoire, d’un pas de phaon, il marcha jusqu’à elle et y choisit à la va vite un ensemble de sport gris, chaussa des baskets, et se chargea de son sac à dos. Puis, sans plus de cérémonie, il sortit de sa chambre.

Quand il arriva dans le salon, il n’y avait personne, le soleil se promenait dans le séjour et une douce chaleur l’accompagnait, en regardant par l’une des immenses baies vitrées, il s’aperçut que la voiture de son père n’était plus garée devant la maison. Il s’en étonna, jetant un regard inquiet à l’horloge qui trônait au-dessus de la télévision, il sursauta : 8 :46 AM, il était en retard. D’un coup, il accéléra le pas, il sortit en trombe de la maison, claquant la porte derrière lui, qu’il verrouilla mécaniquement, avant de s’en aller en courant…

Il fallut à Conrad une trentaine de minutes pour arriver à destination, il s’était arrêté plusieurs fois en route pour souffler, et avait plus d’une fois, manqué la chute. Le rez-de-chaussée du bâtiment principal était désert, les multiples voix des élèves bavards, dans les classes alentours, lui parvenaient tandis qu’il traversait le couloir qui menait aux escaliers. Il avançait, essoufflé par tant d’efforts, quand la voix de Mr Fredrik l’interpella :

_ Dis donc jeune homme on peut savoir où vous comptez aller comme ça ?

_ Pardon Mr, mais…

_ Il n’y a pas de mais qui tienne, si vous ne pouviez pas être à l’heure, il fallait rester chez vous. Suivez-moi !

_ Hein ?! Mais où ça ?

_ En retenue bien sûr, où pensiez-vous aller, en classe ?

Disant cela, il lui emboîta le pas jusqu’à la salle de retenue des secondes, où il le laissa seul.

Conrad soupira, décidément, cette semaine était un enfer, une seule pensée l’obsédait maintenant, voir venir le weekend, pour profiter d’une journée de répit au lac avec ses amis. Il s’imaginait déjà les pieds dans l’eau, lorsque la sonnerie vint le sortir de ses pensées. En regardant son poignet, il constata qu’il avait de nouveau oublié sa montre, il secoua la tête, décidément, certaines choses ne paraissaient pas vouloir changer. Mr Fredrik vint le libérer au bout de cinq minutes, un sourire aux lèvres :

_ Allez, tu es en liberté conditionnelle, tâche d’arriver à l’heure la prochaine fois, et pas à l’heure du déjeuner !

_ Oui, promit, cela ne se reproduira plus Mr Fredrik.

_ J’espère ! Allez, vous pouvez y aller.

_ Merci !

Conrad sortit de la salle de retenue tel un agneau blessé, il sentait ses muscles battre comme des tympans agressés par les sons brusques d’une batterie, ses jambes peinaient à le soutenir, sans doute encore endormies.

Conrad arpentait le couloir qui menait à la cafeteria d’un pas lourd, le cours de sport de la veille, associé à la fâcheuse rencontre qu’il avait fait, lui avait engourdit les muscles, il avait mal à des endroits de son corps dont il ne soupçonnait, jusqu’à lors, pas l’existence. Il marchait doucement pour ne pas souffrir plus, le front tourné vers le sol et les épaules courbées, lorsque la voix de Mme Either l’interpella :

_ Mr Davis !

_ AH, Mme Either, comment allez-vous ?

_ Très bien, merci. Mais vous alors, vous ne m’avez pas l’air au mieux de votre forme.

_ Si, si, c’est juste que le cours de sport d’hier a été assez long.

_ Vous êtes sûr qu’il n’y a rien d’autre ? Vous savez, si vous n’êtes pas totalement remit, vous devez vous reposer, il sera toujours temps de reprendre les cours, votre santé passe avant tout.

_ Ne vous en faites donc pas, je vais bien, j’ai juste besoin de me remettre des centaines de pompes que j’ai faites et des milliers de mètres que j’ai parcourus en courant hier. C’est tout.

_ Si vous le dites, alors je vous crois. Mais dites-moi, votre jeune amie vous a-t-elle rendu votre montre ?

_ Ma montre ? Quelle jeune amie ?

_ Une jeune brune, Sally je crois. Hier votre professeur de sport a retrouvé votre montre sur le terrain de basket et me l’a remise, je vous ai cherché pour vous la rendre, mais lorsque je vous ai enfin trouvé, vous étiez sur le départ. C’est alors que j’ai croisé une élève de troisième qui m’a dit vous connaître, alors je lui ai donné et elle vous a suivi.

_ Sally m’a suivi ?! Vous en êtes sûr ?

_ Oui, pourquoi ? Elle ne vous a pas remis votre bien ?

_ Non, mais ce n’est pas grave, elle me la rendra sans doute aujourd’hui. Excusez-moi Mme Either, mais, je dois y aller…

_ Oh, oui, bien sûr. Passez une excellente journée…

_ Merci, vous aussi.

Le cœur de Conrad battait un rythme de samba dans sa poitrine. Il se repassait les événements de la veille, tentant de se rappeler chaque moment, il n’en fut pas moins sûr de ne pas avoir vu la jeune femme, une idée effrayante le harcelait, et si jamais, elle avait assisté à la scène de la veille, si jamais, elle avait surpris son étrange monologue dans la rue… Il devait la retrouver au plus vite et s’assurer que ses doutes concernant la miraculeuse résurrection du jeune homme, ses supposés dons ou visions, ne s’étaient pas ranimés.

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3 Commentaires
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bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Toujours aussi passionnant et bien écrit. Chouette l’idée d’alterner les points de vue.
Et surtout de laisser en suspens bien des questions qui donnent envie de lire la suite.

bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Tu ferais aussi bien!

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