COURIR OU PARCOURIR

34 mins

C’était un mardi soir fin juillet et Johnny était ravi. Il entamait son deuxième mois de travail et finissait sa journée à la ferme. Il était employé pour cueillir des myrtilles dans les champs. Il faut savoir que la cueillette est un travail rude et fatiguant. Il était ravi car il venait d’accomplir un nouveau record personnel  : 27Kg. Soit deux kilogrammes de plus que son ancien record  ! A ce rythme là il allait avoir un joli salaire à la fin du mois. 

 

 Johnny Bigson, jeune homme de 17 ans, vivait à la campagne en France près d’un petit village. Imaginez-vous le village campagnard typique orné d’anciens bâtiments riches en histoire, et bien, c’était ça. Aux alentours vous ne verrez que des champs jusqu’à l’horizon parsemés de sous-bois. C’est ici qu’il avait grandi dans une petite famille modeste, nourri par les chants d’oiseaux et par la tranquillité de la campagne. Ce Johnny Bigson avait la carrure du marathonien  : grand et mince. Ses cheveux noirs dépassaient de son précieux chapeau en paille qui le protégeait des rayons de soleil. Il travaillait toute la matinée, attaquant tôt le matin et en fin d’après-midi afin d’éviter les heures les plus chaudes de la journée. Entre, il mangeait et dormait sous un grand hêtre bien rond à l’ombre. 

 

 Ce jour là, comme de nombreux étés auparavant, il se retrouvait dans les champs à cueillir. Mais il aimait son métier. Il se retrouvait loin de la ville près de la nature et de toute façon il avait besoin de dépenser son énergie superflue. Les champs sont des endroits très paisibles, encore plus le matin quand la chaleur du soleil ne rend pas saoul. Au petit matin ce sont les doux rayons qui viennent s’infiltrer à travers les branches des hêtres, grands et majestueux, qui ornaient les contours de la propriété pour venir leur caresser la peau. Dans les champs, sur le flanc de la colline, on pouvait voir très loin. Les différentes nuances vertes, la brume du matin et le chant des oiseaux, tout cela rendait ce travail rude moins fatigant. Il aimait son métier aussi parce que les myrtilliers sont à une hauteur idéale, qui ne lui cassait pas le dos, contrairement à ses camarades qui cueillaient les fraises non loin de là. D’ailleurs, il était essentiel pour lui de rester en forme physiquement car il pratiquait le cross country. Un sport réservé aux plus déterminés, aux plus rapides et surtout à ceux qui n’ont pas peur de souffrir pour une belle victoire. 

 

 Durant le temps passé sous son arbre préféré, il pensait à la suite. En se perdant dans l’infinité de possibilités et de choix. Que faire de sa vie  ? Une fois la dernière myrtille cueillie, récurrentes étaient les fois où il passait longtemps à flâner. 

 

 Dans une semaine il allait participer à une course. Ce n’était que les championnats régionaux mais il fallait s’y préparer. Étant fidèle à la ferme, on lui avait déjà accordé son jour.

 Il se levait donc à six heures, avalait son petit déjeuner et s’entraînait avant de se rendre à la ferme à huit heures. Il n’appartenait pas à un club ayant horreur des pistes d’athlétisme. Il préférait courir dans sa petite campagne qu’il connaissait si bien au bout de 17 ans. Ses entraînements étaient très rigoureux, allant des sorties longues aux fractionnées le tout parsemé de musculation. Il gagnait les petites courses locales mais la semaine d’après c’était autre chose, tous les meilleurs athlètes juniors allaient être réunis ce jour-là. Il doutait de ses capacités. 

  

 A six heures le réveil sonna, et de la même façon qu’un chat, il fut instantanément debout la tête dans l’évier rempli d’eau froide. Aussitôt le bol de flocons d’avoine avalé et les baskets enfilées il s’élança sur le sentier en terre qui continuait après le cul-de-sac. Il serait revenu avant même que ses parents ne se réveillent. Il ne put s’empêcher de renifler profondément l’air frais du matin. Qu’est-ce que c’est revigorant  ! C’est de là que l’on puise notre énergie. Comment font les autres encore dans leurs lits  ?  se demanda-t-il. Les cheveux au vent et le sourire aux lèvres il enchaînait les belles foulées à travers forêts et champs sur des kilomètres avec une telle aisance que l’on pouvait le croire à moitié loup  ! Ses parents bien sûr étaient très contents de le voir évoluer dans son domaine sportif mais estimaient qu’il devait plus se reposer parfois. 

 

 La journée se poursuivait à la ferme. Les muscles déjà chauds contrairement à ses camarades, il était toujours le premier à enfiler son petit panier autour de la taille et à descendre dans le champs. Johnny retira cinq cagettes de la camionnette en les mettant sur son épaule et partit retrouver l’endroit où il s’était arrêté la veille. 

  

 Il fallait cueillir en suivant la rangée et remplir des cagettes qui étaient ensuite ramenées à la camionnette où elles étaient pesées sous l’œil attentif des deux patrons. Elles devaient peser deux kilogrammes, être dépourvues de queues et le plus important était que les fruits ne soient pas abîmés. Les patrons étaient sûrs de renvoyer chez eux les employés qui ne s’appliquaient pas. L’année précédente il avait rendu une mauvaise cagette la veille de la fête de la myrtille, l’occasion phare pour les patrons de vendre leurs produits, et il s’était pris une telle fumée que depuis il produisait un travail minutieux en vérifiant chaque cagette avant la pesée. 

 

 A midi trente, il s’installa sur le banc où il pique-niquait. Ensuite, on ne change pas ce qui n’est pas cassé, il se posait sous son arbre avec un livre philosophique. Pendant sa dernière année d’étude il avait fait beaucoup de mathématiques, maintenant il voulait étendre ses connaissances. Il est vrai qu’il existe de nombreuses «  sciences  » les mathématiques étant d’après lui la «  science exacte  ». Johnny il en savait des choses sur tout cela, mais il ne peut y avoir de sciences de l’Homme, car nous interagissons en tant que personnes. Il n’y a pas une science qui explore ce que nous sommes l’un par rapport à l’autre. Johnny n’était pas le plus sociable, sûrement la raison pour laquelle il étudiait d’avantage la philosophie pendant son temps libre, il voulait connaître la vie. Evan, son ami, travaillait dans la même ferme. C’était un gaillard du même âge, petit et corpulent. Il avait un fort caractère qui ressortait d’autant plus quand il buvait, ce qui arrivait souvent. A ce moment précis il le regardait d’un œil défiant  et lui conseilla  : 

«  – Bon dieu mon vieux Bigson, repose-toi  ! D’ailleurs, il te faut du repos avant mardi prochain. On sera tous là à t’encourager  ! Et n’oublie pas de venir au bal après, si tu gagnes je paye ma tournée. Il regarda ses pensées s’envoler avant de lui répondre, un peu perplexe  :  

– Quoi  ? Non non ça va, la philosophie m’endort. Et oui le bal, et bien je ne sais pas si…  

– Une fois que tu auras gagné tu pourras bien te relâcher un peu voyons.  Tu es trop sévère envers toi-même. 

– Oui, oui tu as raison.  » Les bals. Voilà la pire phobie de Johnny Bigson. La foule intoxiquée, éviter ceux que l’on apprécie moins, les rires forcés, et les filles en guise de proies… Il ne pouvait pas supporter la foule et le sentiment de s’étouffer dans la chaleur des corps serrés. Non ce n’était pas ce qui lui plaisait le plus. Il préférait l’air libre. Après la course, qu’il gagne ou non, il irait dans son jardin regarder les étoiles et sentirait ses muscles congestionnés se détendre. Ou encore mieux  ! Il irait bivouaquer au loin dans la forêt dans son hamac toujours plus près des étoiles. 

 

 Le jour de la course approchait à grand pas, déjà il commençait à alléger les entraînements. Les journées se ressemblaient et défilaient rapidement. Le temps qu’il passait à ne rien faire et ne pas s’entraîner lui semblait au premier abord être du temps perdu mais il savait qu’elle était là la clef de la victoire. 

 

 Il avait peu dormi la veille de la course, sûrement à cause du stress et de l’anxiété. Le soleil brillait fort dans un ciel bleu. Mais à présent Johnny était dans son élément. Habillé simplement de son short blanc, d’un débardeur rouge et de ses chaussures à pointes, il s’échauffa au niveau d’un petit sentier sans issue loin des autres trente minutes avant le départ. Son dossard était déjà accroché. Le cœur battait fort et l’adrénaline commençait à se faire sentir mais il savait que le taux doublerait au moment du départ avant de disparaître comme par magie au coup de feu. La solitude était importante pour lui avant un tel événement, il avait besoin de tranquillité et de ne pas entendre les commentaires des autres sur la qualité du chemin, la distance, les montées et descentes, les stratégies de course… Oh  ! La stratégie de course il l’avait. Il commença à se diriger vers la ligne de départ et le jeune coureur fut impressionné par le monde. Le nombre de coureurs participant à la course ne devait pas être loin de la centaine. Et le public  ! Qu’est-ce qu’il était nombreux lui aussi  ! Son nom se faisait entendre plusieurs fois dans la foule, Bigson a l’air en forme par-ci, tu vas voir sa foulée, j’en ai jamais vu une pareille  par là. Ces petits commentaires qui lui sautèrent aux oreilles de temps à autres lui faisaient plaisir. Deux minutes avant le départ, son cœur commençait à envoyer le sang très rapidement dans tout son corps et il se sentait comme s’il allait s’évanouir mais il connaissait cette sensation, il l’avait vécue tellement de fois déjà. Il sautilla sur place et tourna sa nuque tout en recevant des tapes amicales dans le dos de la part de ses camarades. – Départ dans une minute, les mots furent prononcés par un monsieur moustachu parlant dans son haut-parleur. Johnny fixait le premier virage du regard quand  :  

–  Trois  ! Tout son corps se mit en tension, prêt à recevoir des coups de talons, de pointes, les bousculades parfois volontaires mais nécessaires au départ d’un cross country.  

– Deux  ! Mille pensées lui passèrent par la tête rendant cette dernière seconde infiniment longue.  

– Un  ! Paf  ! 

Son corps entra en mouvement et une vitesse excédant la vitesse maximale des autres fut atteinte en quelques secondes. Il se trouva parmi les dix premiers, en tête du gros du peloton, dans un endroit stratégique pour affronter le premier virage. Étonné par les quantités de boue, il resta fort sur ses appuis pour cette tâche. Une dizaine de coureurs avaient offert un spectacle amusant en patinant sur place et s’éboulaient quelques instants plus tard. La distance de la boucle était de de 2.1 kilomètres et il fallait l’accomplir deux fois. Au bout de trois minutes et demi le premier kilomètre fut abattu, il était en tête. Les autres n’étaient pas très loin derrière lui mais il savait qu’il lui restait encore des paquets d’énergie en réserve. Sa respiration régulière suivait le rythme de ses foulées. Ce n’était qu’au début de la deuxième boucle que la course commença pour lui. Au bout de dix minutes d’effort Johnny fut pris de transes, il était hors de lui-même, il volait! Il était vrai qu’il avait beaucoup de respect pour les autres coureurs, non seulement parce qu’ils arrivaient à tourner en rond sur une piste comme des hamsters sans devenir fous mais parce qu’il s’agissait de vraies bêtes contrairement à lui. On pouvait croire que leur vie en dépendait. Johnny paraissait beaucoup plus tranquille, passant presque inaperçu. Il ne prêtait même plus attention aux exclamations des spectateurs venus voir les fauves se battre jusqu’à l’arrivée. Ses longues jambes couraient presque par réflexe sans efforts. Deux coureurs qu’il ne reconnût point tenaient bien à sa cheville. Ses deux coureurs le doublèrent par l’intérieur d’un virage glissant. Cet événement le ramena au monde réel. Il allait maintenant pouvoir appliquer une stratégie de course  : il les tiendrait sans dépasser en attendant d’être à cinq cents mètres de la ligne d’arrivée et ensuite sera le moment de déverser toute sa force et toute sa vitesse. Ce fut comme cela que la course continua, non sans douleurs. Johnny était comme tous les autres. Il souffrait. Mais peut-être qu’il le supportait mieux et il arrivait donc à puiser de la force quand les autres n’en avait plus. On peinait, à trois quart de la course, de reconnaître les coureurs. A présent Johnny, couvert d’une couche de boue de la tête jusqu’aux pieds, fusionnait très bien dans le décor. Le moment important arrivait. Il était épuisé. Mais l’adrénaline revint quand il pensa à l’accélération, au spectacle qu’il allait offrir aux spectateurs. Son cœur battait donc très fort, cela le tuait de se retenir mais c’était sa stratégie. Cinq cents mètres avant l’arrivée il déclencha la vitesse supérieure, les foulées se rallongèrent et la plus grande satisfaction pour Johnny fut de voir l’expression des visages des braves coureurs anonymes lorsqu’il passa à côté d’eux. Oubliant sa course, il en rigola. Un grand brouhaha de la part des spectateurs survint simultanément, peut-être qu’ils s’y attendaient. Johnny était bel et bien un champion. Il remporta la course sans décevoir. 

 

 Après arriva le moment gênant  : la remise des prix. Il en profita tout de même en saluant tout le monde et en jouant la célébrité. Le même homme moustachu lui remit sa coupe et lui serra la main. Après tout il était jeune  ! Ces moments-là le feraient bien sourire quand il y repenserait plus tard. Une fois l’affaire terminée il fut heureux de s’échapper discrètement. A la maison ses parents le félicitèrent de ses prouesses et parurent fiers de leur fils, ce qui fit beaucoup plaisir à Johnny. Il fallait maintenant pour lui, gagner les sous-bois et se détendre dans son hamac. L’idée ne l’avait pas quitté tout ce temps. Même que pendant la nuit insomniaque avant le jour de la course il s’était rendu compte qu’il pensait peut-être plus à sa petite escapade du soir qu’à la course en elle-même. Sa tête se remplit d’images insolites de nuit en pleine forêt, probablement des images fidèles aux descriptions des grands écrivains aventuriers. Il se rendit donc dans sa chambre pour rassembler ses affaires et les ranger dans son sac car il était déjà treize heure trente. Mais tous ses projets furent mis en suspens lorsque Evan vint frapper à la porte. La première chose qu’il fit c’était de mener un monologue racontant la course en détail comme si Johnny ne s’était pas présenté au départ.  

«- Et ensuite tu les as vraiment fumés à la fin hein  ! C’était impressionnant  ! J’comprends pourquoi les filles demandent de tes nouvelles alors que tu ne sors jamais, t’es une machine de guerre  !  

Cette remarque lui fit du mal. Comment osait-il dire qu’il ne sortait jamais alors que pendant son sommeil Johnny, lui, foulait la campagne. Sans montrer le moindre sentiment il répondit d’un simple rire un peu forcé. Evan le regarda quelques instants sans rien dire. Johnny lui communiqua presque tout ce qu’il avait à dire à travers son regard car Evan marmonna  :  

– Tu ne viens pas dis  ?  » 

L’ami de Johnny le connaissait bien, rares étaient les fois où il acceptait ses propositions. Il n’était pas étonné lorsque Johnny hocha les épaules et inventa une excuse sûrement pas crédible. Ils discutèrent tout de même pendant un certain temps avant que Johnny, soulagé, claqua la porte derrière lui. 

 

 Ses affaires étaient étalées sur le parquet de sa chambre. Parmi ces objets il y avait son couteau avec un manche en bois, de la corde, une bâche et un réchaud à gaz pour manger son riz au chili con carne. Il allait dormir dans son hamac, un système simple, confortable et léger. Il connaissait bien la forêt ici, peut-être mieux que tout le monde, voilà pourquoi ses parents ne s’inquiétèrent point lorsqu’il débarqua avec son sac à dos en leur disant où il comptait dormir. Il ne se donna pas la peine d’expliquer pourquoi, ils ne comprendraient pas. 

 

 C’était une marche relativement facile jusqu’au lieu où il construirait son campement. Le ruisseau était quasiment à sec à cause de la sécheresse et donc facile à traverser. Il contourna un étang où pêchait comme à son habitude le héron, et traversa deux champs pour arriver à l’entrée du bois. La chaleur devenait insoutenable et il fut obligé de s’arrêter. Johnny avait pensé à emmener une bonne quantité d’eau avec lui pour se réhydrater de sa course et aussi car les températures dépassaient les trente degrés. Il essuyait son front régulièrement. Johnny repéra facilement, avec son œil déjà assez bien éduqué pour ce genre de tâche, une petite clairière parfaite pour créer son campement qu’il rafistola avec des bouts de cordes. Il dut seulement abattre une ou deux branches pour se faire de la place et enlever du houx qui menaçait son hamac d’une méchante déchirure pouvant rendre sa nuit très mauvaise. Ce dernier fut suspendu entre deux charmes, arbres charmants qui redoutent le plein soleil et qui préfèrent l’ombre du chêne, dont les troncs élancés poursuivent jusqu’à la cime et dont les feuillages sont très denses. Toutes ces petites tâches furent plus difficiles qu’elles ne devaient l’être à cause de l’intervention de deux frelons. Pourtant il n’avait pas vu de nid lors de l’inspection de l’entourage. Un hamac protégé par une moustiquaire et une bâche sur un support de branches mortes, voilà en quoi consistait sa nouvelle maison. Elle lui convenait parfaitement même si elle fut maladroitement construite. A une dizaine de mètres se dressait un mur en pierre très ancien. Juste à coté passait un sentier tracé par le gibier. 

 

 A la tombée de la nuit, le carnaval produit par les animaux diurnes se transforma en une autre mélodie créée par les animaux nocturnes comme les criquets et les hiboux que Johnny s’amusait à imiter et attendre leurs réponses en se convainquant que c’était à lui qu’ils s’adressaient. Ce que faisait Johnny dans la forêt, c’est ce qu’il avait fait toute sa vie. Bien sûr, au début, l’aventure se produisait dans son imagination d’enfant capable de transformer une action assez banale en quelque chose d’héroïque ne pouvant être autre chose que le fruit d’un aventurier. Mais il remarqua ce soir-là qu’il avait évolué. Beaucoup évolué. Il avait gagné en autonomie, pouvant maintenant construire des maisons et dormir dans la nature en se nourrissant convenablement. Johnny lisait tranquillement son livre dans son hamac. Il en sortit pour regarder les étoiles comme promis. Il ne connaissait vraiment rien sur ces petits points qui brillaient dans le ciel. Il les admirait tout de même. Regarder l’infinité de l’espace lui rappelait à quel point nous sommes petits et que l’on doit mener une existence au mieux que l’on puisse. Il repérait facilement Mars, comprenait bien sa rétrogradation dans le ciel et distinguait d’autres astres également. Une étoile filante lui fit palpiter le cœur. Assis sur une pierre en bordure de la forêt son corps se détendait, il se sentait bien. 

 

 Johnny remonta au campement pour s’enfouir dans son hamac et cette fois-ci pour se laisser glisser dans un sommeil profond. Il dormit entièrement habillé (il n’avait pas de sac de couchage), pieds nus, avec une lampe frontale et son couteau à porté de main. Sa capuche était tirée au-dessus de sa tête et les ficelles bien serrée ce qui lui donnait un air d’esquimau. Il ne se réveilla qu’une fois pendant la nuit car il avait froid et il se faisait bombarder par les frelons énervés à cause de l’imprégnation «  antimoustique  » de sa moustiquaire. Ces deux frelons ne lui laissèrent pas une seconde de paix pendant la nuit. Ils partaient et revenaient sans cesse en suivant des intervalles de trente secondes. Il se réveilla ensuite à six heures du matin sans le bruit strident du réveil mais avec le cri d’un coq au loin et le bourdonnement des frelons toujours là. Johnny se sentait remarquablement bien, malgré un mal de tête causé par les frelons, et avait comme l’impression d’être ivre.  Magnifiques étaient les silhouettes des arbres qui se dessinaient dans la faible luminosité de l’aube. Le dernier hululement du hibou se fit entendre. Ce jour-là le temps était nuageux et nettement moins chaud que les jours auparavant. Un bon café agrémenté de l’odeur matinale des bois le réveilla à merveille et le retour fut sirupeux, sans difficulté. Une journée de travail l’attendait à présent. Sa victoire l’avait rendu joyeux, même s’il ne le montrait que très peu. Il était allé à la ferme avec son sac et ne s’était pas changé ou lavé car il n’avait pas vu le temps filer lorsqu’il sirotait son café. Il ne manquera plus qu’à aller chercher un sandwich à la boulangerie l’après-midi. En s’y rendant, il vit qu’il apparaissait sur la première page du journal  ! Il y était inscrit  : JOHNNY BIGSON  : CHAMPION avec une belle photo d’un jeune homme sale et fatigué qui lui ressemblait. Le ciel était toujours couvert et la matinée de travail fut donc plus supportable. Sans la crainte du soleil, qui le confinait souvent à l’ombre de son arbre, il put se balader non loin de la ferme et emprunter des nouveaux sentiers jusqu’alors inconnus pour lui. Une fois de retour, il pensa raisonnable de se reposer et il songea à son avenir. Pour la première fois, il en fut inquiet. Il était inquiet car il ne trouvait rien, rien qui lui plaisait. Pourtant il était si passionné et si déterminé dans les domaines qui l’intéressait. On lui disait souvent  : sers-toi de tes qualités  ! Johnny voulait vivre, il voulait être heureux. Athlète professionnel ne lui correspondait pas car pour faire cela il fallait s’inscrire dans un club mais il avait la phobie des pistes et aussi de la célébrité. Rester dans cette ferme n’était pas une option non plus car les fruits se cueillaient seulement deux mois dans l’année et les revenus n’était pas suffisants pour faire des économies. Il préféra sur le coup dormir et remettre tout cela à plus tard. 

 

 Il est facile de procrastiner et de remettre les choses à plus tard, car on a peur, on regarde la grande vague qu’est la vie passer sous nos yeux malheureux. La vague qui ne cessera d’accroître, de gagner en force pour ensuite se disséminer et devenir, plus tard, une simple brise de mer. Les grands aventuriers ont compris que pour profiter de toute la puissance et la beauté de la vague il est nécessaire de la surfer, on devient ensuite plus grand et on voit plus loin. Bien sûr cette «  philosophie  » de vie s’applique à tous mais tous n’iront pas à la chasse sur la Côte Est du Groenland ou conduire leurs rennes dans la toundra du Grand Nord, cette aventure peut être vécue n’importe où, n’importe comment, et avec n’importe qui mais l’essentiel étant qu’elle nous apporte du bonheur. Le week-end arriva et Johnny avait repris son strict programme d’entraînement. Les deux jours furent agréables, le temps passé avec sa famille lui faisait du bien. Il avait fait une promenade avec sa mère en parlant de tout et de rien, il avait également rendu visite à son voisin, une personne âgée avec les histoires les plus intéressantes à raconter. Il se reposait dans sa chambre en lisant et parfois en se laissant bercer par une musique émise par le tourne disque. Toutes ces choses lui faisaient oublier ses soucis. Le mois d’août prenait fin, son travail aussi et il fallait prendre des décisions rapidement. En plus de tout cela il se préparait pour les championnats de France qui auraient lieu en Corse, mais il voyait s’étaler devant lui une carrière d’athlète et cela le rendait malade. Il avait des papillons dans le ventre, comme quand les vacances d’été prenaient fin auparavant et que la rentrée à l’école allait avoir lieu. Les nuits de Johnny Bigson devinrent longues et pénibles car il ne dormait presque plus.  

 

 Un matin il partit tôt de la maison et alla flâner dans le village voisin. Les pièces d’argent lui remplissaient les poches et s’entrechoquaient entre elles, depuis qu’il avait fini de travailler il n’avait dépensé presque aucun sou. Johnny avait bu un café deux jours auparavant avec une amie, Ludivine. C’était une fille élégante, aux cheveux courts et bruns. Il la voyait de temps en temps et c’était avec elle qu’il arrivait à discuter et à s’exprimer comme il en avait envie. Johnny lui avait expliqué sa situation. Elle lui suggéra mille et une choses à faire mais aucune ne lui convenait. En passant le long d’une petite ruelle il se demanda, Pourquoi je ne fais pas comme tout le monde  ? Serveur, ouvrier, menuisier, voilà des métiers intéressants où j’apprendrais bien des choses et je pourrais en vivre… Je deviens peut-être trop difficile à satisfaire. Johnny Bigson se sentait bien différent des autres, comme s’il possédait en lui quelque chose d’unique mais de tout à fait naturel. Tous les ingrédients se trouvaient à sa disposition et tout se tenait à lui pour en concocter quelque chose. A cette période de l’année il avait l’habitude d’aller acheter ses fournitures scolaires. Voyant les autres étudiants faire ainsi, presque jaloux, il alla faire un achat. Il se fit plaisir et s’offrit un cadeau. Johnny se rendit dans une boutique d’antiquités. Ici il savait que se trouvait son bonheur. La boutique exhumait une odeur particulière et débordait d’objets, petits et grands, tous aussi intéressants les uns que les autres pour des raisons différentes. Plusieurs fois il faisait halte devant la vitrine pour regarder un globe terrestre pas bien grand mais magnifique à ses yeux. Le pied en bois soutenait la boule sur laquelle étaient inscrits d’innombrables noms de villes, de fleuves et de massifs. Ce qu’il aimait le plus c’était le relief , la surface n’était point lisse mais bosselée. Les «  bosses  » s’accentuaient d’avantage à trois endroits différents, les Alpes, la Cordillères des Andes, et bien sûr le Népal  : le toit du monde. L’homme heureux se trouvait à la sortie de la boutique avec son précieux objet dans les mains. Depuis lors, ses rêves devinrent formidables. Son globe terrestre le faisait dormir tard avec des belles images plein la tête. 

 

 Mais l’idée lui vint soudainement, comme une étincelle. Son cœur battait tellement fort, comme avant une course ou avant de commettre une bêtise que l’on fait car on aime l’adrénaline, car on aime prendre des risques. Johnny allait prendre un risque  ! Peut-être que ce qu’il allait entreprendre n’était pas raisonnable de sa part mais il le fit tout de même. Johnny Bigson alla chercher ses fournitures scolaires, il deviendrait élève du vagabondage. Il passa par deux boutiques seulement, une de chasse où il acheta une bonne paire de chaussures de marche en cuir, une autre pour faire des provisions en nourriture comme du riz et des boîtes de conserve. De l’aide fut nécessaire afin de choisir ses chaussures de marche car toutes ses connaissances en chaussures concernaient uniquement les chaussures à pointes de cross-country. Le reste il l’avait déjà  : un sac à dos, un réchaud, une gourde, une tente. Oui une tente, il fallait laisser son hamac et se préparer au mieux. Dans d’autres lieux les conditions n’allaient pas être aussi favorables que dans la petite campagne au mois d’août. Ses connaissances lui permettraient de s’en sortir. Il commençait déjà à délimiter et à choisir les terres qu’il allait fouler d’ici peu. Il se procura également une veste en jean qui tiendrait bien le coup et un gros bonnet en laine à mettre par temps froid. Une fois rentré, il mit ses nouveaux achats sous son lit. Son cœur battait toujours assez fort et il avait encore des papillons dans le ventre mais cette foisci, c’était bien à cause de l’excitation. Des images de grandes montagnes couvertes de neige qui brillent au loin dans le soleil du crépuscule, de mer salée dans laquelle disparaît un navire à l’horizon ou des terres d’un autre pays comme la Toscane en Italie lui remplissaient la tête. C’était vraiment formidable comme sentiment. Durant les jours qui suivirent on lui faisait des remarques à tous les moments de la journée. Son sourire était jusqu’alors inconnu aux autres. Ludivine en fut également surprise, elle qui le connaissait si bien. Les traits de visage de Johnny avaient changé. Ses yeux brillaient et il s’y trouvait une lueur qui n’existait pas avant. Une énergie positive se dégageait de lui et se faisait ressentir tout autour. Il partagea ses projets avec Ludivine et, sans voir le moment arriver, elle tenta de remettre ses idées en place. En apprenant son départ elle fut attristée. Johnny, seul et rêveur, n’avait peut-être pas très bien formulé ses projets de A à Z. Il y restait beaucoup de blancs à combler. Ludivine appréciait beaucoup Johnny et, voyant son désappointement dû à sa réaction, elle essaya de le réconforter. Mais il n’en n’avait pas besoin et ce qui l’inquiétait le plus c’étaient ses parents. 

 

 Parfois nous avons du mal à accepter et à comprendre ce qui est hors normes. Ce fut le cas des proches de Johnny, qui le décevaient. Il nageait contre le courant de sa société et devenait mal à l’aise. Ici, on ne partait pas sans «  motif  ». Une maison, une situation et le prestige de son statut social constituaient les principes et presque les raisons de vivre de son entourage. Pas pour lui. De toute façon, il ne reviendrait pas sur ses pas et son enthousiasme ne s’altérerait aucunement. Il avait fait un choix. Pris d’une force immense, ajouté à sa détermination et à son intelligence, personne ne pouvait l’arrêter. Personne. Il s’envolait. Sa mère lui demanda d’une voix douce  :  

«  – Mon bébé, tu t’emballes si souvent dans tes idées farfelues. Nous pouvons en parler.  

Elle fut interrompue par le père de Johnny qui s’était mis en retrait et qui tournait ses pouces en s’agitant un peu. Il prononça les mots suivants de façon autoritaire et ironique et comme il l’avait fait si souvent  :  

– Tu penses que t’iras loin avec ton baluchon  ? Fiston ne joues pas la comédie, le vagabondage est synonyme de sans-abris, mais le sans-abris qui essaye vainement de se conforter en se disant qu’il «  vagabonde  ». C’est stupide. Rembobine tes envies d’enfant et sois sérieux  ! 

Le visage de son père était devenu rouge. Johnny ne se souciait point de ce qu’il se passait car il s’agissait de choses que ses parents ne comprendront jamais. Il répondit en toute tranquillité  : – Papa, tu m’as toujours laissé faire mes propres choix et tu ne peux négliger que je suis avant tout quelqu’un de raisonnable et de logique. Ce que j’entreprends correspond à une étape de ma vie, j’ai besoin de voir les spectacles extraordinaires que le monde a à offrir sinon j’en mourrai d’envie. Ce n’est pas ce que vous voulez. » 

La conversation n’était pas allée beaucoup plus loin. Toute la colère s’était dissipée rapidement car ses parents ne pouvaient rien changer à sa décision. Il les dépassait sur ce sujet et ils ne furent pas en capacité de rivaliser avec lui. Johnny savait qu’il était l’auteur du mécontentement de ses parents et qu’il leur faisait du mal. Il devint sans aucun doute une honte pour la famille et au village car il ne comptait plus participer aux championnats de France de cross-country. Il se présentait maintenant comme candidat à l’école du vagabondage, voilà comment sa situation se présentait dans sa tête. Johnny avait comme l’impression de devenir un disciple et d’ adhérer à la philosophie de l’errant. Il voyagerait léger et heureux, affamé de paysages nouveaux qui font rêver jusqu’à la fin de nos jours. Tout se mettait en place à merveille, il ne manquait plus rien à Johnny, il était enfin prêt. Il allait poursuivre son éducation sur la route. 

 

 Un matin ensoleillé au début du mois de septembre, les oiseaux chantaient encore, mais Johnny Bigson ne foulait plus les sentiers campagnards comme à son habitude et son gentil voisin ne reçut pas sa visite du dimanche. Johnny se montra capable de rompre ses habitudes. La rumeur à propos de lui s’anéantissait déjà, devenue un simple souvenir, celui d’un jeune gaillard parti à la quête de «on ne sait trop quoi  » comme une sorte de pèlerinage. Un mois après son départ, les idées et les envies de Johnny devenaient de plus en plus claires. Il prenait son temps. Comme il le fallait. Avait-on déjà vu un nomade se dépêcher  ? Sautant, telle une grenouille, de village en village dans lesquels les habitants doutaient même de l’existence de Johnny Bigson qui passait comme l’ombre d’un oiseau. Il avançait à l’allure de son regard qui était si souvent fixé sur l’horizon. Et un jour, après avoir parcouru ce qu’il estimait être plus de cinq cents kilomètres, il aperçut quelque chose. Une vue qui lui fit palpiter le cœur mille fois plus qu’une étoile filante. 

 

 Depuis un mois il foulait des endroits qui ressemblaient beaucoup à chez lui  : des champs, des collines et des villages qui, eux, variaient et étaient différents les uns des autres. Il passait sans se faire remarquer et vivait paisiblement. Johnny se nourrissait encore de ses provisions et dormait confortablement dans sa tente. Il fut nécessaire de se réapprovisionner en gaz pour son réchaud même s’il comptait supprimer cet outil superflu et opter pour le feu de camp. Sa tente fut montée dans des endroits très différents comme dans un champs, en pleine forêt ou en bord d’étang par exemple. Le jeune homme se testa parfois en construisant des abris de branches lorsque dormir dans sa tente semblait trop facile. Il se servait alors du tronc d’un arbre tombé en guise de poutre et les branches non abattues constituaient les parois le protégeant du froid et du vent. Ses nuits-là furent moins agréables mais il en était toujours très fier. Il essaya de compter le kilométrage quotidien. Il en marchait cinq un jour et vingt-cinq l’autre, son allure n’était absolument pas constante. 

 

 L’abeille qui butinait la fleur, le cours d’eau de la rivière et le café au réveil, ces petites choses devenaient de plus en plus appréciées. Sa vie simplifiée était la plus heureuse qui ne pouvait exister. Ses entraînements ne lui manquèrent point. Les cinq cents kilomètres ne furent pas abattus à pieds uniquement. Johnny Bigson avait sauté dans un bus une ou deux fois et une excursion dans une ancienne Fiat avec un type inconnu mais fort sympathique lui avait fait perdre la direction et le sens de sa ligne droite. Il est vrai que Johnny ne savait pas où il allait. Peut-être que c’était ça le vagabondage. Une ou deux fois, lorsqu’il fixait l’horizon, il s’était demandé ce qu’il cherchait. Les journées devenaient de moins en moins chaudes et le teint des feuilles tendait plus vers le rouge-orange. Nombreux furent les matins où il dut mettre son bonnet. Début octobre, les températures durant la nuit n’excédaient plus les dix degrés Celsius. Son sac de couchage lui tenait plus ou moins chaud, il dormait tout de même pas trop mal. 

 

 Il contournait alors la ville de Lyon, où il était passé la veille. Il avait caché son sac à dos en dehors de la ville et il était parvenu à s’y rendre en auto-stop. Johnny Bigson ne ressemblait pas à un sans-abri. Ses muscles se dessinaient à présent et il avait pris de la couleur grâce aux derniers rayons de soleil de l’été. Ses cheveux qu’il essayait vainement de peigner sans y réussir étaient devenus assez longs donc un tour chez le coiffeur lui fit du bien. Même si cela piochait méchamment dans ses économies d’argent. Et le jour vint où l’horizon lui fit palpiter le cœur. En escaladant la colline pour visiter la basilique Notre-Dame de Fourvière il vit, au loin, la plus belle chose sur laquelle ses yeux ne s’étaient jamais posés. Comme un papillon de nuit attiré par la lumière, il avança en sa direction jusqu’à une barrière. Alors pressant son visage contre les barreaux comme un prisonnier il fut pris de transes comme lors d’une de ses courses de cross-country. Elles étaient magnifiques  ! Si grandes, si majestueuses  ! Il s’imaginait déjà perché à la limite entre la terre et le ciel bleu sur les sommets de ses magnifiques montagnes qui scintillaient sous le soleil. Les Alpes. Il regretta que Ludivine ne soit pas là car il l’aurait pris pour la première fois dans ses bras tellement il était envahi de bonheur et d’admiration. Mais elle n’était pas là. Il était seul. Le chemin jusqu’à ce lieu divin allait se faire en compagnie de lui-même. Johnny s’était dit, Oh  !Mon bonnet de laine va me servira à merveille là-bas. Mon bonnet qui vient de ma petite campagne, si lointaine… Il eut presque le mal du pays et la compagnie des personnes qu’il aimait beaucoup commençait à lui manquer mais son caractère déterminé se manifesta juste à temps. Toute cette mélancolie disparut en un instant et il fit volte-face pour retourner chercher son sac en dehors de la ville. Le phénomène était pareil à celui qui attire les pôles opposés de deux aimants. Il se tenait comme une particule parallèle à toutes celles qui constituent les montagnes qui, maintenant, prenaient l’apparence d’une gigantesque masse d’acier. Johnny n’avait guère besoin d’une boussole, il était devenu l’aiguille. La direction qu’il empruntait n’était plus incertaine mais innée. Il devenait comme un oiseau migrateur, ne pouvant être plus sûr de sa trajectoire. Cette attraction était bien plus forte que Johnny Bigson. Il partirait demain à l’aube. 

 

 L’excitation à la vue des montagnes l’avait rendu malade. Johnny Bigson marchait d’un pas vif et déterminé et se retrouva tantôt en dehors de la ville. N’ayant vu personne depuis l’excursion dans la Fiat de l’homme inconnu, voir des gens, parler avec eux, entendre les rires de la jeunesse qui s’amuse lui fit un grand bien. Johnny souffla quand même de soulagement lorsqu’il atteignit là où son sac se trouvait. Le monde l’épuisait. Ce soir-là il ne put avaler quoi que ce soit et regarda les étoiles plus longtemps que d’habitude. Il ne pouvait pas s’empêcher d’appréhender, rien qu’un peu, ce lieu divin où il savait se trouvaient de très belles choses mais aussi des conditions et des climats rudes qui l’angoissaient. Tout d’abord le froid, il fallait à tout prix s’en protéger. La montagne avec son dénivelé et sa roche escarpée, il ne saurait comment se déplacer d’un point A à un point B. Ceux-ci étaient les points qui concernaient le plus Johnny. Il médita dessus durant la nuit. 

 

 C’est comme un oiseau qu’il s’envola le lendemain dès l’aube, parcourir les plaines et les collines jusqu’à un village proche où il se procura tout ce qu’il y avait sur sa liste  : un manteau en fourrure, des gants, du silex, des boîtes de conserve et une carabine. La carabine s’agissait d’un calibre 22 Long Rifle légère à transporter, précise et fiable. Cet achat important lui coûta cher. Il ne lui restait vraiment plus grand-chose, c’était presque suicidaire ce qu’il venait de faire et il en était conscient. Mais il était aussi en toute confiance, il croyait en lui et en réalité il n’avait plus vraiment besoin d’argent. Dans ce village on le considérait comme un héros qui partait en expédition, il en avait l’apparence certes mais il fut rapide à se débarrasser de ces personnes-là. Après ce point, il n’y aura plus grand monde sur son chemin. Il quitterait la civilisation. Les villages qu’il avait fréquentés durant son voyage étaient bien nombreux et peut-être que cela le réconfortait car à présent il avait peur. Peur de la solitude et du danger qu’il encourait à parcourir les montagnes, ces formidables montagnes  ! Johnny Bigson remettait en question son périple et les décisions qu’il avait prises. Qu’est-ce que je fais sérieusement  ? se demandait-il. Pourquoi entreprenaitil un tel voyage  ? Les locaux lui posaient la question et la seule réponse qui lui sortait de la bouche était Parce que. Le même soir il décida d’aller au cinéma, pour profiter de ces petits luxes. Un western projeté sur un grand écran l’ennuya un peu et il ne se sentait pas très bien. La même sensation qu’il avait eue au niveau de la basilique à Lyon, ressemblant au mal du pays. Cette fois-ci c’était plus difficile à surmonter. Une dizaine de personnes seulement se trouvaient dans la salle de cinéma et lui il était à l’écart. Ce moment «  civilisé  » lui donnait bien envie de retourner chez lui voir des films avec les copains. Il alla se présenter à une auberge où il passa la nuit et partit le lendemain sous les exclamations et les encouragements des villageois. Ils ne comprenaient en rien le motif de son voyage mais ce fut un moment inoubliable tout de même. En s’éloignant il retrouva le bonheur de marcher, d’avancer sur le terrain. Les sentiers étaient supers  : faits d’une terre sèche, dure et compacte qui n’avait pas eu beaucoup d’eau à absorber pendant ce mois d’octobre plutôt sec. Des forêts de hêtres, une biodiversité surprenante et une journée chaleureuse avec son soleil venu le réchauffer et lui apporter un peu de confort. Cet endroit correspondait, d’après Johnny, plus au Grand Dehors. Le terrain était vallonné, interminable et vêtu d’un manteau orangé magnifique. La tranquillité y régnait, et la vie sauvage ne porta point attention à la présence de Johnny qui était ravi de ce qu’il lui arrivait. La litière épaisse exhumait une odeur qui lui procurait un plaisir immense. Il respirait alors le même dioxygène que les animaux les plus sauvages dont les citadins des grandes villes ne connaissent l’ existence qu’à travers des livres et des photographies. Tant de surprises se cachaient par là. 

 

 Un matin il dormit tard et fut réveillé par le brame du cerf . Debout et d’emblée dans le feuillage dégageant les branches d’un bras agacé il se précipitait vers le son étrange non sans discrétion. Un cerf se trouva figé devant lui. Ses grands bois, épais et dotés de nombreux andouillers reflétant sa bonne santé, étaient tout simplement magnifiques. La bête ne tarda pas à sentir l’odeur de l’homme et s’en alla au galop. Une journée qui commençait merveilleusement pour Johnny même si le réveil fut difficile. Il se sentait bien, tout à fait comme chez lui. Ici, pendant deux semaines, il se nourrit de châtaignes et de champignons principalement et il abattit un faisan pour la première fois avec sa carabine. Même si précis avec son arme, le geste d’enlever les plumes et les boyaux fut compliqué. Il mangea bien ce jour là. Ce fut la première fois, depuis un mois et demi, que Johnny Bigson resta au même emplacement mais tantôt il fut pris d’envie de belles découvertes et de nouveaux lieux. Le sac sur le dos et le ventre bien rempli le jeune homme abattit kilomètres sur kilomètres. Dormir et marcher se succédaient au fil des jours. Beaucoup de personnes auraient viré vers la folie mais Johnny était différent, il était loin d’être fou, c’était toujours le même homme. Ses traits de visage s’endurcirent durant les deux cinquante prochains kilomètres et son corps s’adaptait à l’effort physique journalier. Les paysages n’étaient pas semblables à ceux qu’il avait vus avant et se transformaient en pics et roches escarpés. Ce fut très progressif . Il évoluait avec le climat. Il respira l’air frais en altitude et dut grimper maintes fois. Parfois pour s’assurer de sa direction, d’autre fois pour le plaisir tout simple. Les températures, venu le mois de novembre, étaient très basses. Son corps s’adaptait et se durcissait, son cerveau évoluait également apprenant de nouvelles choses dans des endroits qu’il n’avait guère foulé auparavant. Il se dépassait. Imaginez un jeune homme ayant parcouru sept cent cinquante kilomètres pour se retrouver en équilibre sur des pics du massif montagneux des Bauges. Au-dessus des nuages, ici même les arbres ne s’y aventuraient plus et des sommets par-ci et par-là dépassaient comme des fantômes en disparaissant parfois. Perché là haut, le lieu divin se tenait maintenant très près, peut-être à quelques dizaines de kilomètres seulement. 

 

 La pluie arriva. Dure à supporter au début après l’été chaud qu’il venait de vivre. Johnny devait maintenant faire sécher ses habits régulièrement, faire un feu non seulement pour se nourrir mais aussi pour se réchauffer. Parfois il avait froid et avait peur de ne jamais retrouver sa famille. Une fois la dépression hivernale passée les choses allèrent mieux pour lui. Il commençait à apprécier le moment quand il fallait se mettre en route, car cela le réchauffait. Les arbres dépourvus de feuilles semblaient plus misérables. Johnny avait du mal à gérer sa situation et devait faire preuve d’intelligence et de persévérance. Johnny Bigson oubliait tout simplement la raison de son voyage. S’il voulait voir de belles choses et bien il ne fallait pas s’arrêter là où les autres auraient cédé. C’était comme un jeu vidéo, on bat le record et on ne se soucie donc plus du score alors qu’on pourrait aller bien plus loin encore. Il battait des records en quelque sorte comme en athlétisme mais ce n’était pas un sport qu’il avait adopté mais un mode de vie. Les meilleurs effets se feraient ressentir plus tard et il fallait donc prévoir au long terme. Même si la route n’était plus aussi simple qu’en été elle n’allait pas s’arrêter. A un moment donné il plut tellement qu’il dût rester dans sa tente pendant quatre jours consécutifs sans la quitter. Cette période le déprimait. Johnny n’eut plus envie de se lever les matins et ne s’occupait plus de lui. Il était pourtant venu de si loin et le voilà au pieds des Alpes  : son rêve depuis un mois. La plupart des tâches au quotidien devenaient difficiles à cause de ses doigts gelés. Il ne mangea pas pendant deux jours et but du café du matin jusqu’au soir. Il criait de temps en temps quand le froid devenait insoutenable. Le jour où la pluie s’arrêta il tendait déjà vers la folie, mais le soleil revînt et son enthousiasme également. L’hiver allait être long. 

 

 Il fallait être précautionneux, Johnny Bigson ne devait pas changer. Il avait une famille, une vie et une fille qui l’attendait dans son petit village de campagne. A cette heure-ci elle se peigne les cheveux devant le miroir se dit-il. Elle doit se trouver dans sa chambre bien chaude et redouter les révisions du soir et encore plus les cours du lendemain. Pense-t-elle à moi  ? Ou peut-être qu’elle m’a déjà oublié, sûrement oui, des films rendaient son cerveau bien lourd et il alla se coucher. Lui il se souciait bien d’autres choses. Tomberait-il bientôt sur un village qui lui permettrait de se réapprovisionner et de se nourrir convenablement  ? Le beau temps durera-t-il bien longtemps  ? Quelles bêtes chasserait-il dans un mois ou deux  ? Johnny savait se nourrir et il se sentait à présent comme un homme, un vrai. Plus semblables à ces bêtes qui avait participé à sa dernière course. Johnny ne devait plus être autorisé à courir. Il était devenu beaucoup trop féroce, ses chers camarades auraient eu peur de lui ! 

 

 Les muscles biens développés et le cœur tendre il continua sa route. L’aiguille qu’il était devenu fut fidèle à la boussole et il parvînt jusqu’à son lieu divin. Une vallée interminable entourée de sommets glacés l’accueillit avec froideur et sans compassion. Un nouveau chapitre commencerait pour Johnny Bigson. 

 

 Alors que courageux Bigson survivait dans les Alpes basculant entre la raison et le délire, Ludivine suivait sa routine paisiblement dans son village. Il lui manquait. Johnny était toujours la dernière personne à qui elle pensait le soir et également la première le matin. Mais où pouvait-il être en cet instant précis  ? Se demanda-t-elle un jour. N’ayant donné aucune indication de sa direction personne ne pouvait le savoir. Tout était un mystère pour le village. S’il revenait un jour tout le monde le regarderait d’un œil méfiant, comme s’il était fou. Un fort lien existait entre la famille de Ludivine et celle de Johnny. Plusieurs fois ils se réunirent en son absence autour d’un bon repas et ne parlaient que très rarement de lui. On ne parlait pas de lui comme s’il était mort, ni comme un homme porté disparu mais on parlait de lui comme s’il reviendrait demain. 

 

 Au mois de décembre la situation de Johnny Bigson devenait grave, il attendait un miracle. Demi-gelé, affamé et barbu personne n’allait l’aider. Il aurait péri au pied d’un grand sapin parmi des centaines de milliers d’autres sans la présence d’Édouard. Son apparence était la même que celle d’un homme d’affaire de cinquante ans qui allait atteindre sa retraite. Souvent habillé d’une chemise, d’un blazer et d’un béret on pouvait croire qu’il allait au bal du village ou au marché du dimanche. Mais cet homme était un alpiniste avec les muscles bien gonflés comme devenaient ceux de Johnny. Son œil observateur ne manquait rien lorsqu’il se posait sur le terrain auquel il devait se confronter. Et ce fut lui qui ramassa un jeune homme mourant adossé au pied du sapin et l’avait ramené jusqu’à chez lui. Au bout de vingt-quatre heures le jeune garçon fatigué et malade cassa le silence avec un sanglot. Voilà longtemps qu’il n’avait pas pleuré, d’ailleurs il ne se souvenait même pas de la dernière fois. Ses yeux se mouillaient alors qu’il regardait le plafond d’un air las. Le Grand-dehors ou comme disait Édouard, le «  wilderness  », l’avait démantelé. Et ce fut avec l’inconnu qu’il pleura. Comme l’homme était assis sur une chaise à côté de lui, compatissant, il donna deux tapes sur son épaule et chuchotait  :  

«  – Ce n’est pas grave, ce n’est pas grave…  

Édouard avait plutôt bien analysé le jeune homme à qui il avait affaire, et demanda  :  

– Que fais-tu par là  ?  » 

Johnny ouvrit les yeux en entendant la question et examina la chambre avant de répondre. Il se trouvait en position allongé dans le lit d’une petite pièce qui ne correspondait pas vraiment à une chambre mais plutôt à une pièce de vie. Le bois dominait, sûrement du pin avec sa couleur claire et son odeur de résine qui errait dans l’atmosphère de la pièce. Le plafond était bas. Une cuisinière s’y trouvait ainsi qu’une petite table en bois, la chaise sur laquelle était assis Édouard, un lavabo, quelques bougies, un placard et une unique fenêtre. Il finit par répondre  envahi par une honte inexplicable:  

«  – Je passais seulement.  

– Aucune ville ne se trouve par là sur un rayon de trente kilomètres et vous passiez seulement  ? Je vous ai sauvé la peau dehors l’autre jour et j’aimerais plus d’explication. 

– J’en suis reconnaissant monsieur, mais comprenez que notre rencontre ne devait aucunement avoir lieu. J’ai choisi la route et non une situation. Mon échec me rend malade vous savez. Je ne suis pas d’ici et je ne connais le climat que très peu, j’ai étudié beaucoup… 

Édouard l’interrompit  :  

– Mon ami, ne vous hâtez pas ainsi. Vous n’êtes pas un imbécile, je peux voir dans votre regard que vous venez de loin. Comment vous vous appelez  ? 

– Johnny Bigson. Et vous  ? 

– Je m’appelle Édouard mais appelez-moi Ed. A présent il vous faut impérativement du repos Johnny. Soyez fort.  » 

 

 Il ne s’en alla pas très loin restant dans la pièce, qui, Johnny le découvrit plus tard, était la seule de la petite cabane, et il se pencha par-dessus des manuscrits étalés sur la table en bois. Il gribouillait quelque chose et semblait très occupé par son activité. Johnny ne tarda pas à faire une sieste après avoir avalé un bol rempli d’une soupe brûlante et du pain beurré qui fut le meilleur qu’il goûta de sa vie. Son long parcours et les émotions du présent l’avaient épuisé. Le lendemain il put se lever et regarder par la fenêtre. Il vit Édouard couper du bois à la hache. Johnny se hâta de le rejoindre. Les deux travaillèrent ensemble durant la matinée et du bois fut coupé pour deux ou trois jours. Johnny aimait travailler et le faisait très bien. La synchronisation du geste qu’il répétait machinalement lui plaisait. Il devenait ainsi une vraie machine. Les deux hommes avalèrent le déjeuner bien mérité et ce fut ainsi que Johnny remboursa les repas les jours suivants. Les sorties en pleine nature furent nombreuses et Johnny apprenait beaucoup grâce à son enseignant, Édouard. Il apprit à chasser et à escalader en utilisant cordes et pioches. Le savoir-faire de Johnny était bien plus décent qu’à son arrivée, jamais il n’aurait cru à une avalanche  ! Tous deux mangèrent bien et nul mot ne fut prononcé par Édouard concernant le départ de Johnny. 

 

 Johnny eut raison de rester jusqu’aux fêtes de fin d’année car l’hiver s’installait et se manifesta très rude. Le nouvel an fut un des meilleurs pour lui. Une bouteille de rouge à table et la cuisinière dégageait une chaleur étouffante qui les obligeait à ouvrir la porte parfois. Johnny n’avait pas bu depuis des années. La sensation de devenir saoul lui était inconnue. Ses habitudes changèrent car il se sentait tout simplement chez lui et en bonne compagnie. A minuit aucune cloche ne sonna par là mais ils décidèrent d’allumer un feu en extérieur. Des belles rondelles de bois furent utilisées pour la construction de ce dernier et du petit bois pour que les premières flammes apparaissent. Une cérémonie dont il n’était pas au courant commença à ce même instant. Le but était le suivant  : écrire ses nouvelles résolutions sur un bout de parchemin, les lire à haute voix et ensuite les jeter dans les flammes. Ils en écrivirent cinq chacun. 

 

 Après la cérémonie, près du feu, il y eut un blanc. Ils se regardaient. Un réel lien d’amitié s’était créé entre les deux personnes, parfois Édouard prenait un air plus paternel. Pourquoi ne voyait-il personne  ? Avait-il une famille ou des amis  ? En tout cas ils passaient des bons moments ensemble et le soir du nouvel An allait rester gravé dans sa mémoire pour toujours. 

 

 Le lendemain ils se levèrent plus tard et avaient mal à la tête à cause du vin. Johnny dormit beaucoup le jour, et lut entre les siestes. Édouard passa la journée se consacrant à son activité encore inconnue pour Johnny qui vint à lui poser la question. L’homme lui sourit en répondant  :  

«  – Si je viens m’isoler ici c’est bien pour une raison. Je suis étonné, curieux comme tu es, que tu me poses la question si tardivement.  

– Ce ne sont pas mes affaires. 

– Je suis écrivain. Je viens ici pour écrire. Mes pensées sont plus romanesques et intéressantes. Lorsque je réside près de la civilisation elles deviennent ainsi plus fades et ennuyeuses. 

– Aurais-je un jour le privilège de lire un de vos livres  ? En achevant sa phrase, Édouard fouillait déjà dans un meuble et en sortit un livre de petite taille intitulé Comme Neige en Été. 

– Tiens, prends, c’est un cadeau. Ça t’occupera le temps que le printemps arrive et au moment où tu continueras ton chemin.  » 

Il avait compris. Johnny avait l’impression, pour la première fois, de se faire comprendre. Il arracha le bouquin de ses mains en s’écriant merci Ed  ! 

 

 La neige devenait épaisse et le temps glacial. Ils utilisèrent souvent des raquettes pour se déplacer dehors. Tout était couvert d’un manteau blanc, c’était vraiment beau à voir mais la vie était difficile. La chasse, couper le bois et les autres activités devinrent dures à exécuter. Johnny était formé à tout. Il chassait le lapin, s’occupait du feu de la cuisinière, déneigeait l’entrée de la cabane, et connaissait les environs aussi bien que Ed . Même que deux ou trois fois lorsque Ed devait partir emmener ses manuscrits en ville, ce qui lui prenait trois jours à pied, Johnny restait seul à la cabane. 

 

 La lecture du livre de Ed était merveilleuse. Le livre contenait tellement d’aventures et de descriptions magnifiques qui font rêver. Le contexte participa d’autant plus à la beauté du livre. Il en félicita Ed plus d’une fois. Son respect pour lui était devenu très grand au cours des mois, mais il fallait bientôt partir. Les deux hommes allaient partir, Édouard retournerait vers la civilisation et Johnny, lui, devait rester en ce lieu divin où il grandissait à chaque instant. Mais le départ se ferait fin mars quand il fera meilleur et quand les journées deviendront plus longues. 

 

 Tout allait pour Johnny jusqu’au moment où, un matin, Il reçut la plus grande gifle de sa vie. Non par une main mais par la réception d’une lettre adressée à lui. Étourdi, il dut s’asseoir un moment. Comment une lettre, envoyée depuis sa petite campagne à sept cent cinquante kilomètres de là, aurait pu arriver jusqu’à lui  ? Et comment avaient-ils découvert l’adresse de la cabane, avait-elle même une adresse  ? Aucune émotion ne fut extériorisée. Il ouvrit l’enveloppe en regardant Ed d’un œil interrogatoire. 

 

“Cher Johnny, 

Cela fait longtemps que tu es parti mon f ils. C’est impressionnant de savoir que tu as parcouru une telle distance, mais quand reviendras-tu  ? Tu es allé si loin et tu nous manques. Les repas du dimanche sont nettement moins gais depuis ton départ et Ludivine demande de tes nouvelles chaque jour. J’espère tout de même que tu te plais là où tu es. Ton père aimait beaucoup la montagne lui aussi quand il était jeune. Ton nouvel ami a l’air très gentil. Nous sommes ravis de savoir que tu as de la bonne compagnie. N’oublie pas que nous t’aimons très fort. 

 

Nous pensons à toi, reviens vite. 

 

Maman” 

 

 Cette lettre lui fit beaucoup d’effet. Cinq mois sans nouvelles c’est long mais il dut avouer qu’il n’en avait pas donné non plus, il n’avait guère vu le temps passer. Ed se tenait toujours debout devant lui. Johnny affirma qu’il serait revenu dans une heure et qu’il devait prendre l’air. Une fois bottes et raquettes de neige enfilées, le manteau en fourrure sur le dos et son fidèle bonnet sur la tête il sortit de la cabane. Johnny marcha dans la neige, d’un pas lent et en traînant des pieds, pendant une minute jusqu’à l’endroit où il coupait le bois. Assis sur une rondelle de bois regardant ses pieds il prenait l’air d’un enfant vexé. Perdu dans ses pensées, il jouait avec la neige avec le talon d’une de ses raquettes.  

 

 Johnny, le déjeuner est prêt  ! Il n’avait pas faim, mais pour faire plaisir à Ed il se traîna jusqu’à la cabane. A table, le silence régnait. N’ayant plus de neige, il jouait avec la nourriture dans son assiette. Ed entama la discussion  :  

«  – C’est pour ton bien que j’ai fait cela. A mon âge tu comprendras que la famille c’est ce qu’il y a de plus important. Tu cherches quelque chose, peut-être que tu te cherches toi-même mais si tu continues ta route de cette manière tu finiras embauché dans une meute de loup  ! J’espère que tu reconnais mes bonnes intentions et que tu répondras à la lettre. Je retourne en ville la semaine prochaine.  » 

 

 Le soir, à la lueur des bougies, Johnny répondit à la lettre. Il écrivit une dizaine de ligne sur un parchemin un peu froissé qu’il glissa dans une enveloppe que Ed embarqua avec lui la semaine d’après. Il resta longtemps figé, les pensées ailleurs. Cet endroit l’avait purifié au cours des mois précédents et prospérer devait être son principal objectif . Il affirma dans la lettre qu’il serait de retour à temps pour travailler à la ferme. Son globe terrestre resté à la maison l’emmènerait sans aucun doute vers d’autres lieux mais ce lieu divin représentait la fin de son pèlerinage. Avant le long retour il avait envie d’une dernière aventure, d’un moment revigorant. Un moment pareil ne pouvait que se passer en haut d’une des plus grandes crêtes. Il aurait besoin d’Ed. 

 

 Johnny fit connaître ses projets. Ed suivait sagement les demandes de Johnny en acquiesçant de la tête et ayant l’air de savoir déjà comment les satisfaire. Ed lui promis de l’emmener là où il désirait aller à tout prix, après la fonte des neiges, entre le ciel et la terre, afin de rassasier le jeune aventurier. 

 

 Ce qui arriva à Johnny Bigson fut tel que raconté par Édouard dans son livre  : 

 

L’ascension lente et silencieuse fut éprouvante. J’étais hypnotisé par le mouvement de mes jambes au sein d’un carnaval de bruits de pas contre la roche dure du sentier. Au sommet je me trouvais dans un état de sagesse et de pureté, les soucis fondant comme neige en été.

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