Tu ne me vois pas, tu m’ignores

4 mins

Je suis caché dans l’embrasure de la porte, bien au fond, collé contre le mur, et le jour va bientôt se lever, je suis trempé, j’ai mal aux pieds, j’ai froid.
Je ne sais plus ou j’ai mes clefs, je ne peux plus entrer, comment en suis-je arrivé là ?

Aussi loin que je me souvienne, jamais je n’ai été important, enfant non désiré, je suis arrivé là, rien de plus, je n’ai jamais dit que l’on me déteste ou que l’on m’aime, je suis juste là, sans contours définis, sans poser de problèmes, sans doute inconsistant, une assiette et un lit, marquent simplement ma présence.
Jamais je n’ai su ce qu’ils pensent de moi, je suis dans leur quotidien, tellement habitués de me voir, qu’ils ne me voient plus.

Mes années lycée, mes années de fac ne m’ont rien apportées.
” Élève moyen dans tous les domaines, rien ne le caractérise, ni mauvais, ni bon. On ne sait pas vraiment s’il est là.”
C’est ainsi de tous mes bulletins scolaires.

Quand il faut former des équipes, je suis choisi le dernier, ou tout simplement oublié.
Pas que je sois un trublion, mais je sers de bouche-trou, parce qu’il faut compléter.

J’ai réussi à trouver un travail dans une banque, presque tout c’est fait par le biais d’internet.
Au moment de mon entretien d’embauche, je suis engagé, parce les autres candidats se sont désistés.
C’est ainsi.
Personne ne me voit derrière mon comptoir, ils viennent juste pour leurs opérations, un “bonjour” de façade, “au revoir” sans me voir, ils ont eu ce qu’ils veulent. Je sais que mes collègues sortent quelquefois prendre un verre, personne ne m’a jamais rien proposé. Aucunes remarques à mon encontre, ni réflexions, pour les subir, encore faut-il se démarquer, en bien ou mal.
Je ne suis ni mauvais, ni bon, ni enjoué, ni cordial, ni laid, ni beau, rien de plus, indéfinissable sans doute.
Si j’avais été fade, peut être aurais je compté, mais non, je dois être transparent à leurs yeux.

Un jour, j’ai eu très peur.
Une tache indéfinie, comme une pièce de monnaie, apparait sur ma joue, je prends un rendez vous chez le médecin du coin.

    “Je ne vois rien à l’endroit, vous êtes sûr de votre fait ? “

Dès que je suis rentré, je regarde dans ma glace, j’ai tout un coté, qui se décolore.
Je retourne le voir encore une fois, il me tâte et me palpe, mais sans me regarder, comme des gestes mécaniques, visiblement, mot inapproprié, je ne l’intéresse pas plus que ça.
Quand je reviens chez moi, ça c’est accéléré, mon miroir fait apparaitre ma chemise cravatée, je ne me vois plus, je sens mes mains qui palpent mon visage, mais rien d’autre, je me déshabille, plus rien de visible.
Je peux me toucher, me pincer, me faire mal, mais je ne vois rien, affolé, je sors dans le couloir de mon immeuble pour appeler à l’aide.
L’ascendeur arrive, on va pouvoir m’aider, des gens en sortent, sans doute des voisins, ils passent tout autour, m’évitent, comme un rocher dans le fleuve. Je viens de me souvenir que je suis nu, les mains croisés sur mon bas ventre, je n’ose pas bouger.

Je me mets à crier ” Aidez moi ! “

Une porte s’ouvre, puis deux, les gens se saluent et puis referment, je ne comprend pas, je rentre chez moi, je m’assieds pour réfléchir, ils ne m’ont pas vu.
Je connais Wells, Chesterton, mais ça ne se passe pas comme ça dans les films ou les romans, je ne suis pas un scientifique, juste un caissier de banque, je suis en train de chercher une explication plausible.

Extra terrestres – Non
Expérience laboratoire – Non
Rayon de l’espace – Non
Lampe Aladin – Non
je ne sais pas…

Si j’avais les moyens, je pourrais peut être me venir en aide, je décide donc de retourner sur mon lieu de travail habituel.
J’ai beau avoir vu certains films, se déplacer sans vêtements ni chaussures, n’était pas inclus dans le scénario, j’ai les pieds en sang à sautiller entre les obstacles et les saletés, une chose bien visible, mais il fait nuit.
J’arrive devant la banque, j’ai tous les codes du caissier principal, normal, à force d’y travailler, je connais les pass de chacun.
Dès que je pénètre, l’alarme se déclenche. On me voit ?
Mais non, les détecteurs de chaleur m’ont décelés, tant mieux, le caissier principal ou le directeur vont devoir ouvrir le coffre avec la police pour vérifier.

Des gens pénètrent enfin dans la banque, surpris que le coffre soit ouvert, le lieu est cerné, mais personne ne me voit, je suis en train d’entasser des billets, Il faut que je prenne le maximum avant qu’ils ne repartent, ce que je fais au mieux.
 A chaque fois, je me fais délester, prétextant un vent imaginaire, une onde quelconque, ils ne comprennent pas.
Ils n’ont aucune conscience de ma présence, me cognent, me bousculent mais aucun ne me voit, j’évite tant bien que mal.
Ils sont perplexes, surpris, ils ont sortis leurs armes, je n’ose pas faire de bruits. Le manège dure de longues minutes, et de guerre lasse je ressors de la banque.

Je suis devant la porte de l’immeuble, je n’ai rien emporté, je suis frigorifié, fatigué, les pieds ravagés de douleur,  je ne peux pas entrer. Plus personne ne me voit, mais ils peuvent me faire mal.

A force de m’ignorer,
Je me suis dilué,
Dans mon inconsistance
Ne rien faire dépasser, je voulais être normal
Je me suis atténué
Pour ne pas m’illustrer
Je vois les conséquences
A trop ne pas s’aimer, on en devient banal
Et l’on se fait rayer
Donc pour être agréé
Soyons des fers de lance.

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