Il sait, il a prévu, juste un petit détail, il ne sait comment faire, il n’a pas l’habitude, ce sera la première fois, ce sera un défi.
Il fouille son cendrier, recherche une cigarette parmi tous les mégots, quelque chose de potable qui fasse de la fumée. Hier il a épuisé le fond de ses paquets, cela fait des semaines qu’il ne veut plus sortir. Les doigts noircis de cendres il tente bout à bout de rouler les morceaux qui lui semblent fumables, il recherche un briquet, il n’a même plus de feu, l’un donne l’étincelle l’autre crache un fond de gaz, il allume le peu qu’il lui reste à fumer, la première bouffée lui racle le palais, il se met à tousser mais il a vu bien pire, un temps il n’existait que Gauloises ou Gitanes. Il se lève de sa chaise, son estomac renâcle, il va dans la cuisine, cherche le menu du jour. Il ouvre les placards entrebâille le frigo, ils sont tous affamés de fonds de boites ouvertes, un peu de riz par ci, quelques pattes par là, le tout dans de l’eau chaude feront un bon repas, il va attendre ce soir, son repas quotidien.
Il retourne s’assoir, surveille son mégot, qui colore ses doigts en une couleur sale, dire qu’il y a quelques temps il faisait attention à l’image qu’il donnait. Il a toujours fumé, ce n’est pas un secret, mais il était soigné, ses ongles étaient coupés, ses mains étaient lavées des traces de fumées, maintenant il s’en fout, plus personne à montrer.
Il sait, il a prévu, juste un petit détail, il ne sait comment faire, il n’a pas l’habitude, ce sera la première fois, ce sera un défi.
Il pense par bouffées en tirant sur sa clope, quelques années plus tôt d’un parcours exemplaire, de petites anicroches, mais rien de bien marquant, en bon chef de service d’une petite entreprise. Il arrivait souvent qu’on le cite en exemple, mais son état présent, juste des circonstances qu’il n’a su maitriser. Il venait travailler mais il n’était plus là, ses manques répétés commençaient à peser sur le bon fonctionnement des taches de chacun. Il s’est fait débarquer, il n’a pas protesté l’esprit était ailleurs. Depuis il accrochait quelques petits boulots quand on voulait de lui, il a un certain âge, ce n’est pas pour aider, ça payait les factures au moins celles qu’il pouvait. C’est à peu prés l’époque de ses premiers courriers, ceux en recommandés qui réclament la suite de défauts de paiement, il en retarde certains et tente de négocier, mais la plupart du temps, il ne veux plus se battre, il n’en a plus envie.
Il sait, il a prévu, juste un petit détail, il ne sait comment faire, il n’a pas l’habitude, ce sera la première fois, ce sera un défi.
Il pense par bouffées en tirant sur sa clope, il se souvient encore de son dernier passage, le secours catholique, les restaurants du cœur, il ne se sent pas pauvre, il est juste malheureux, même s’il a encore faim, il se donne l’impression de voler la pitance à ceux qui n’ont plus rien. Il a encore un toit, il a encore un lit, il ne reviendra pas, il ne reviendra plus, il garde sa fierté, il a honte de lui, juste retour des choses il aurait du prévoir. Le temps pas si lointain, son caddy débordait de choses inutiles, il n’a jamais pensé, il n’a jamais donné, pas qu’il soit hermétique à la douleur des autres, mais il ne croyait pas qu’un peu de son chariot pouvait aider du monde, il n’a rien à reprendre il n’a jamais laissé.
Il sait, il a prévu, juste un petit détail, il ne sait comment faire, il n’a pas l’habitude, ce sera la première fois, ce sera un défi.
Il pense par bouffées en tirant sur sa clope, il remonte le temps en cherchant les visages, les amis d’autrefois et ceux qu’il croit encore, tous ceux qu’il a aidé et qu’il a dépanné. Il n’était pas bien riche mais il pouvait offrir, certains dans le chagrin et d’autres les fin de mois. Il n’a rien réclamé, il n’a rien demandé, il sait, c’est de sa faute, il devrait appeler, pour dire qu’il a besoin et qu’il est malheureux, mais il a sa fierté, il a juste un peu faim.
Il sait, il a prévu, juste un petit détail, il ne sait comment faire, il n’a pas l’habitude, ce sera la première fois, ce sera un défi.
Il pense par bouffées en tirant sur sa clope, c’est la fin du mégot, il ne reste plus rien.
Il pense à toutes celles qu’il a pu côtoyer des mois ou des années, il aurait pu rester, il pensait reconnaitre un verbe dans la suivante.
Un jour il a trouvé, celle qui a conjugué quelques mois, quelques temps, tout le temps ses pensées, jusqu’à la fin des temps, mais il est plus que temps, le temps est dépassé.
Il sait il a prévu, juste un petit détail, il ne sait comment faire, il n’a pas l’habitude, ce sera la première fois, ce sera un défi, il regarde le monde en bas de sa rambarde, comme un oiseau sans ailes…
Tout ce que je puis écrire, est une triste vérité, passé, présent, futur, ce jour j’étais absent, j’ai lu mon répondeur et j’ai écrit ces mots…