Un jour j’ai eu douze ans, et j’ai rêvé de toi. 2/2

4 mins

« Chut, taisez vous, il a bougé. »
Je ne reconnais pas la voix. Je ne vois rien, j’entends un son lointain, comme les appels de haut-parleur du lycée quand ils convoquent quelqu’un. On dirait que je suis couché sur le côté, je n’arrive pas à ouvrir les yeux, je veux me gratter le nez, j’ai quelque chose dedans. J’essaie de bouger ma main, je ne sais pas où elle est, je n’y arrive pas, j’ai envie de m’endormir, je m’endors.
« Mon Dieu, mon Dieu. »
Je connais l’expression de ma mère quand j’ai fait une bêtise, mais je n’ai rien fait, je suis couché dans mon lit. Je n’arrive pas ouvrir les yeux, j’ai mal derrière. Je crois qu’il y a quelqu’un avec maman, j’entends bouger plusieurs bruits de vêtements, et je sens une mauvaise odeur, on dirait un de ses produits de nettoyage. J’essaie de bouger mon bras, on dirait que je tire des fils avec, quelque chose résiste. J’ai des larmes qui montent, mais rien ne coule, je ne vois pas, j’ai comme un coussin sur la tête. Je sens une main dans la mienne.
« Doucement, s’il vous plaît, doucement. »
Une voix d’homme que je ne connais pas. Je dois rêver, je n’aime pas ce rêve, comme l’autre jour quand, quand,… J’ai oublié ce que je voulais dire. Il faut que je me réveille, je n’aime pas ce rêve, j’ai envie de dormir.

« Il ouvre les yeux, regardez, ils bougent. Maman, regarde.»
Une drôle d’odeur, je crois que c’est ça qui m’a réveillé, et la voix de Fabienne. Elle fait quoi dans ma chambre ? j’ai mal aux yeux, j’ouvre doucement, je sens quelque chose qui me serre le front, on dirait un foulard ou un bandana comme les filles. Le plafond est blanc, je tourne de partout, que du blanc, des appareils accrochés aux murs et au-dessus de moi, je ne suis pas dans ma chambre. J’essaie de tourner la tête pour regarder ou se trouve ma sœur, ça me tire dans le cou.
« Mon Dieu, mon Dieu. Mon chéri, tu te réveilles. »
Je bouge mes lèvres, je voudrais parler, c’est sec, tout est sec, je n’arrive qu’a murmurer :
« Aie. »
J’ai envie de pleurer, je ne sais pas pourquoi.
« Je vais chercher le docteur madame, s’il vous plaît, ne lui racontez pas. »
J’entends une porte qui se ferme.
« Maman, où tu es ? »
Je sens sa main prendre la mienne, une douceur que je reconnais entre tout, qui me caresse le front quand je suis malade, qui me lisse la joue quand je me fais mal, qui me tire le nez quand elle sait que je mens. j’ai légèrement tourné la tête, je crois que je pleure quand je la vois assise  sur une chaise à côté de mon lit. Elle s’est penchée vers moi, sa tête sur ma poitrine, j’ai vu du coin de l’œil ma sœur qui s’avançait.

« Bonjour jeune homme, Mesdames. »
Je n’ai pas entendu frapper, il est là, devant mon lit.
« Pouvez vous me parler ? Sinon, je reviens plus tard. »
Ma mère est en train d’essuyer une larme, pendant qu’elle se lève sans me lâcher la main. On aurait dit un professeur de chimie, avec sa blouse blanche, si ce n’est un badge accroché à sa pochette. Je hoche légèrement de la tête en essayant de faire remonter de la salive.
« Maman, j’ai soif. »
Je n’ai pas reconnu ma voix, mais ma mère me lâche la main pour me tendre une paille dans un gobelet qu’elle approche de mes lèvres. L’eau n’est pas fraîche, mais que c’est bon de pouvoir humecter ma bouche.
« Oui Monsieur, ça va mieux maintenant. »
« Je suis le Docteur Moreau, Neuropsychiatre de l’hôpital ou vous êtes. Vous souvenez vous de quelque chose pour être ici ? »
Le temps qu’il me parle, tout me revient d’un coup, l’arbre, la chute. J’ai dû me faire très mal, me cogner la tête et m’assommer. Je crois que j’ai dormi toute la nuit, mais je me sens fatigué, comme dans du coton.
« Je suis tombé de l’arbre, je crois que je me suis cassé quelque chose, mais je ne sens rien. »
« Bien, bien, je vois que vous réagissez bien. C’est mon collègue, le professeur Munoz qui vous a opéré, il viendra vous voir plus tard. Je viens juste tester vos réflexes, vous avez dormi longtemps. »
« Longtemps ? »
« On vous a fait dormir une semaine, ce qu’on appelle un coma artificiel, pour permettre à votre corps de se réparer des conséquences de votre chute . »
Je me suis tourné vers ma mère, elle a les main devant la bouche, comme si elle prie. Je lui demande silencieusement de confirmer ce que j’entends. Une mère ne ment jamais. Elle hoche de la tête pendant tout le temps qu’il continue à me parler. Avec ses mots à lui, il est en train de m’expliquer que dans la chute, j’ai entraîné des branches, dont  l’une s’est plantée à l’arrière de ma tête. Le cortex cérébral avait été pénétré au niveau d’un des ponts de liaison. Ils ont pu tout extraire, sauf un microscopique débris végétal, qui avait pénétré trop profondément dans la moelle épinière. Je risque de garder la nuque légèrement raide, mais ils espéraient en la dissolution naturelle de ce morceau étranger. Il est possible que je doive faire une certaine rééducation, parce qu’en plus j’avais une jambe brisée en de multiples fractures, mais tout avait été réduit. Ils verraient au moment opportun, quand je pourrais me lever et tester la marche. Ma main fonctionnait bien, puisqu’il m’a vu tenir celle de ma mère. Il promène une lampe sur mes yeux, tout en tirant sur mes doigts, que je serre par réflexe.
« Bien, bien, vous réagissez bien à tous niveaux, je pense que vous pourrez vous lever d’ici quelques jours, mais ce n’est pas moi qui décide. Vous êtes un petit gars costaud, tout se répare à votre âge. »
Il est  en train d’écrire quelque chose sur une feuille au pied du lit, je vois Fabienne derrière maman  qui est train de pleurer. Elle baisse la tête quand je la regarde. Je me met à pleurer également. Je n’ai pas tout compris, mais la tension d’avoir saisi des mots qui me parlent, d’avoir entendu coma, rééducation, cerveau. J’ai peur de n’avoir pas tout compris.

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