Un jour j’ai eu douze ans, et j’ai rêvé de toi. 3/3

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Je suis rentré dans la chambre au moment du repas, j’ai aperçu le chariot tout au fond du couloir, le plateau est bien posé sur la petite desserte. Je pense m’être assez bien débrouillé avec les béquilles, mais surtout, j’ai pu voir du monde autrement qu’en restant enfermé. Il faudra que je demande de l’argent pour pouvoir acheter à manger et à boire, maman m’a dit passer pendant le week-end, il faudra que je vérifie, je perd un peu la notion des jours, surtout penser à lui envoyer un message après manger et lui parler de mes progrès. Le dîner expédié comme à son habitude de pauvreté, je repousse le plateau pour installer l’ordinateur et lister mes messages, je peux enfin m’asseoir autrement que dans le lit en relevant le dossier, ça me fait tout drôle.
Comme tous les soirs, quelques mots de ma mère et de Marie-Cécile, plus rien de mes copains d’école, il faut que je  les sollicite pour avoir une réponse ou que l’on puisse échanger. Nous ne sommes plus ensemble à chahuter les cours, à rire et discuter, je suis ici, ils sont là-bas, comme ça me paraît loin en temps et en distance, ils doivent être occupés moi je n’ai rien à faire si n’est qu’attendre pour voir du monde, le moment des repas, le lever, le coucher. Je devrais être en colère de tout ce qu’il m’arrive, je n’y arrive pas vraiment, plutôt de la tristesse et une grosse boule au ventre qui m’angoisse sur mon devenir. Il faut que je m’oblige à avoir des choses à faire, le fait de me déplacer librement est déjà une bonne avancée, j’attends impatiemment que l’on me retire les derniers pansements de la tête et du cou, et je serais sans doute prêt à sortir.

Toutes ces nouvelles choses aujourd’hui, je me sens fatigué, maman m’a répondu, elle passera demain puisque on est vendredi, et me félicite pour la marche, je n’ai pas la force de lui écrire une longue phrase, juste le «  je t’embrasse » habituel qui clos la discussion.
J’entends frapper légèrement, j’ai le temps de répondre avant que la porte ne s’ouvre.
« Bonsoir Monsieur, vous avez terminé ? Je viens récupérer le plateau. »
Un visage inconnu, décidément c’est la journée des nouveautés. J’avais appris à faire la différence entre toutes ces blouses blanches que je croyais docteur ou infirmières, c’était une aide-soignante, parce qu’elle n’avait pas de carte épinglée sur sa poche, juste un nom cousu et un sigle.  Ce personnel changeait souvent parce que leur travail demandait une grande disponibilité pour un travail prenant, j’avais entendu une conversation entre des infirmières dans ma chambre.
« Oui, prenez le, j’ai fini. »
« Bonne nuit Monsieur. »

J’ai rabaissé l’écran, je n’ai que quelque pas à faire pour me coucher. J’avais réussi a trouver une chaîne musicale dans les programmes de la télévision, mais en général ça débutait tard, et je n’ai pas trop envie de veiller ce soir. La lumière est éteinte, je distingue quelques pas dans le couloir que je connais mieux, au-delà de ma chambre, je sens que je m’endors.
Quelle étrange sensation quand je vais m’endormir, je me sens  glisser dans un état ou mon corps devient flasque, je l’ai appelé le « demi sommeil », parce que je cherche ou se trouve mes membres, je tente de bouger mes doigts, mais je ne sais pas ou ils sont, comme si les ordres que je donne, c’est  assez impropre, mais je ne sais pas décrire, restent dans mon cerveau. C’est à ce moment là que je commence à voir mes fameux tourbillons, je les vois apparaître autour de moi, je devine les bourdonnements. Ce soir, cette nuit, tout me paraît étrange, d’avoir fait de nouvelles choses ? D’être très fatigué ?
Je pense à ce que j’ai accompli la journée, le plâtre, la marche, le patio, et en même temps, je vois et  j’entends mon rêve, j’ai la sensation que mon sang bat à mes tempes, je pourrais toucher du doigt ces battements, si je savais ou se trouvent mes mains. Je n’ai plus peur maintenant, je me suis habitué, ça tourne et ça vibre autour de moi, j’ai l’impression de m’étirer pour toucher le plus prés, je vois mieux maintenant que j’ai envie d’oser, ce n’est pas dur, ce n’est pas mou, juste impénétrable, mes battements s’accélèrent, j’entre dans quelque chose.  Je passe une frontière que je ne ressens pas, je sens une chaleur en arrière de ma nuque, j’ai vraiment l’impression que tout le sang qui irrigue mon corps est en train de monter et inonde ma tête.

Je cherche encore ou se trouve mes membres, je cherche du physique, plus rien ne me répond, je suis quelque part dans ce grand tourbillon, et je sais également que je suis dans mon lit en train de rêver que je rêve, je n’ai plus les mots. Je n’ai pas peur, mais j’ai l’impression d’être terrifié, deux personnes sont en moi, celle qui sent les battements qui irriguent ma tête, et l’autre plus diffuse qui semble évanescente au milieu de ce rêve. Je décide d’avancer si l’action est exacte, je suis là, je découvre, je regarde ou je suis, je ne sais pas lequel des Moi décide, mais je crois que j’en suis un troisième qui unit. Tout est gris près de moi, tout semble noir au plus loin, mais ce n’est pas le mot, inexistant, inintéressant, seraient plus correct. Je reste au milieu de ce qui me semble gris et je m’efforce de colorier ce que je sens au plus approchant de mon ressenti. Je suis vraiment surpris par ma vision, je ne m’attendais pas à ça. 
Une dame âgée se tient au milieu d’un champ, semblant tenir la main de quelqu’un, mais il n’y a personne. Pourtant, je sais que quelque chose est au bout de son geste, je la vois se tourner et sourire  à quelqu’un, mais je ne vois rien d’autre. La dame, par intermittences devient jeune, beaucoup plus jeune, beaucoup plus belle, les images alternent et j’ai du mal à suivre. Je m’avance au plus près, j’essaie de comprendre, la jolie demoiselle devenue, se tourne vers moi, son bras retombe, plus personne au bout semble t’il. Elle me voit, je sais qu’elle me voit, je vois ses lèvres bouger, comme si elle me parlait. Je n’ai jamais vu cette personne, je me serais souvenu de sa drôle de coiffure, on aurait dit des vagues comme sur certaines photos de vieux magazines ou émissions que j’ai dû voir à la télévision  en noir et blanc. D’un seul coup, comme une prise de courant que l’on débranche, tout disparaît, je ne suis plus dans rien, je vois d’autres tourbillons comme au début de mon endormissement, j’entends une sonnerie, des pas dans le couloir au-delà de ma chambre. Je crois que j’ai bougé mes doigts, je me suis endormi de nouveau.

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