« Bonjour jeune homme, on a passé une bonne nuit? »
Comme d’habitude, ses paroles ne demandent pas de réponse, elle pose le plateau et s’en retourne, mais là surprise, elle s’approche de la fenêtre, qu’on ne peux ouvrir d’ailleurs, et regarde au dehors.
« Bonjour, vous allez bien ce matin? »
Formule de politesse, je viens de me réveiller quelque peu fatigué, je suis pris de court, je n’ai pas pris le temps de commencer un début de pensée. Je n’ai qu’une envie, me jeter sur le mini plateau repas, je ne tiens pas vraiment à ce qu’elle me voit ramasser jusqu’à la dernière miette et lécher le pot de confiture. Elle ne bouge toujours pas, je me lève néanmoins et dévore mon petit déjeuner aussi proprement que possible.
« Je finis dans quelques minutes, je reste un petit peu avec vous sinon on risque de m’appeler, j’ai déjà eu la nuit chargée. »
Il ne reste plus rien, j’ai été prendre quelques biscuits qui me restent dans un des tiroirs ainsi qu’un fond de jus de fruits, je demanderais à maman de m’en apporter d’autres.
« Un vieux monsieur a eu une attaque cette nuit, tout le service de nuit a été mis à contribution. Le pauvre, il est sorti des soins intensifs tout à l’heure, mais ils ont trouvé étrange qu’il soit autant fatigué et affaibli. «
« Ah bon ? J’ai cru entendre du bruit cette nuit, mais je pensais être dans un rêve. »
« C’est un gentil Monsieur, très âgé, deux à trois chambres de la vôtre. Vous n’avez sûrement pas dû le croiser, il a une fracture de la hanche, il est cloué au lit. »
Je ne sais pas quoi lui répondre, elle ne parle que pour occuper son temps et finir son service au plus tôt d’après ce que j’ai compris. De toute façon, à part le personnel soignant qui passe ici, je ne connais personne.
« Je crois qu’ils sont en train de lister ses feuilles de soins et ses prises de repas, ça va sûrement retomber sur l’interne ou la responsable d’étage, il faut bien qu’il y ait une raison, je fais bien de rentrer chez moi avant que ça ne fasse des histoires.»
Sur ce, elle se tourne vers moi :
« Bon, je vous laisse, j’ai fini mon service. Surtout marchez bien comme je vous l’ai expliqué et d’ici un mois, vous n’aurez plus besoin de béquilles. Je ne reviens que lundi, passez un bon week-end à vous entraîner. »
Dès qu’elle est partie, j’en profite pour ouvrir mon ordinateur et envoyer un message à maman.
« Bonjour, surtout n’oublie pas les gâteaux et les jus de fruits, je suis vraiment en rade. Bisous. »
Un peu de gant de toilette, un coup de brosse à dents, et je suis prêt, mais à quoi faire ? Si c’est pour sortir dans le couloir et risquer de croiser des morts vivants comme le vieux de cette nuit, et je n’ai pas d’argent pour acheter des trucs en bas, je vais attendre ma mère pour bouger cet après-midi. Quelques vidéos ou alors une petite sieste, mais je suis un peu naze, ça c’est une bonne idée. Quelle drôle d’impression, plus de lourdeur à la jambe, je me recouche sans avoir besoin de m’aider à lever ce qui n’existe plus.
Partir tout doucement, j’ai le drap remonté juste en dessous des lèvres, je peux me regrouper, j’ai les jambes repliées, les deux en même temps, j’ai juste un peu de mal pour orienter ma tête, le carcan de pansements me limite le geste. Je suis roulé en boule, mes mains jointes entre les cuisses, tourné sur le côté, je glisse calmement vers un sommeil léger. Je vois un peu de jour à travers les paupières, et j’entends vaguement des bruits dans le couloir, je remonte le drap et je fixe le noir qui emplit ma vision. J’oublie que j’ai des membres, je suis bien ou je suis, je sais bien ou je suis, j’ai envie de dormir, j’ai besoin de dormir, j’ai comme une impression de préparer un songe, et je sens des battements qui résonnent à mes tempes, et je vois sans dormir. Je me vois dans mon rêve.