Un jour j’ai eu douze ans, et j’ai rêvé de toi. 9/3

4 mins

Des petits points lumineux de toutes les couleurs, je ne sais pas quoi chercher avec l’aide de mon pote, je tape des mots au hasard, sentiment, couleur, ressenti, expression, le tout me renvoie dans le meilleur des cas à synesthésie et autisme, encore des mots que je ne comprends pas, je déchiffre vaguement que les colorations peuvent être associées à des chiffres, des mots, des odeurs, des sensations ou bien de la musique, et encore je n’ai pas tout lu, mais j’ai la vague impression si je me résume bien, que pour certaines personnes qui ont du mal à exprimer, les choses ou bien les mots se colorent pour elles, mais là j’étais dehors, je n’ai vu aucuns cônes, que des arbres et des plantes, l’idée me semble absurde, tellement irréelle, comme ce que je possède, que je suis en train de croire que tout ce qui est le parc est en train de rêver, d’exprimer quelque chose, que j’arrive à sentir, je suis abasourdi, la nature est en train de rêver, il n’y a pas que les gens.

Je suis scotché à l’écran, j’ai l’impression bizarre d’avoir trouvé quelque chose, la nature est vivante, justement c’est la phrase que je tape, mais là je tombe sur du délire, je ne sais plus quoi penser, je lis une hypothèse Gaia, ça part dans tous les sens, je crois que je vais laisser tomber pour rester à mon petit niveau, je verrais mieux plus tard quand j’aurais plus de temps à m’y consacrer.
Le brin d’herbe qui rêve, l’arbre qui se met à songer, je nage en plein roman, là c’est de la science-fiction, mais je ne sais pas quoi dire, j’ai ressenti des choses que j’ai du mal à m’expliquer, et ce n’est pas mon ami qui arrive à m’aider, c’est bien le genre de travers si j’en parle à quelqu’un, qui me ferait passer pour un dingue, je suis bon pour les fous à me faire découper en rondelles, mais ça m’a donné une idée sur mon voisin de palier, celui accidenté et ses grandes lumières blanches, l’impression de tristesse que je ressens les fois où j’y suis allé, ce n’est pas une odeur comme je le croyais, mais plus une émotion qu’il envoie, quelque chose de visuel que j’adapte à mes sens quand j’arrive à comprendre, comme les petites sensations quand j’étais dans le parc, mais là c’était plus bref, comme des choses plus basiques qui n’ont pas tout à fait le même langage, mais sans doute les mêmes sentiments.

Tant que je tiens le clavier, j’en profite pour demander à maman de penser à mon sac, il ne me reste plus grand-chose à grignoter, le plus tôt sera le mieux et ça me fera une visite dans la semaine vu que je suis tellement débordé à ne rien faire.
L’après midi va être longue encore une fois, je crois que je vais descendre au patio me chercher des friandises, pas besoin de me laver, tous les malades sont en pyjama, on ne verra pas la différence, peut être mon odeur, cette pensée me fait rire.
Je m’arme de béquilles et j’avertis le bureau des infirmières en passant, je pense tout le long du chemin, à faire mes exercices, ce n’est pas vraiment évident, non que ce soit difficile ou douloureux, mais ça me contraint à délier le mouvement de la marche pour tirer sur la jambe, alors que mon réflexe naturel, je m’en aperçois quand je ne suis pas attentif, est de me reposer sur les aides et mes bras, ça ne va pas encore être simple si j’en ai pour des semaines ou des mois et surtout avec l’autre qui me torture quand il vient. Si j’avais le pouvoir de reconnaître les gens quand ils dorment, je lui ferais passer l’envie de me faire des misères, ça c’est la chose qui me manque.
Peu de monde à cette heure, le repas est passé, je prends des chocolats dans la machine à pièces et je m’installe dehors sur un banc, je regarde les arbustes dans les pots d’une drôle de manière maintenant, il ne reste que le personnel d’entretien, je peux fermer les yeux et tenter de sentir.
Les pots sont à côté, je n’ai pas besoin d’aller loin, maintenant que je fais plus attention, je vois bien toutes ces petites lueurs, il y en beaucoup moins que je croyais, j’essaie de m’approcher pour voir si je peux comprendre, je passe au travers et je sens  quelque chose, c’est assez difficile à comprendre, je ressens que ça vibre, et c’est assez furtif, on dirait de la force, de la tranquillité, il y a bien autre chose, mais je n’arrive pas à saisir, je crois je ne reconnais pas les mots qui devraient s’adapter, on ne parle pas pareil sans doute, on dirait bien que c’est vivant, ça me fait vraiment drôle de le savoir, et surtout d’être le seul qui le sache, tout au moins le seul qui puisse le voir à ma manière, parce le peu que j’ai lu c’était du grand n’importe quoi.
Il est temps de rentrer, je tourne autour des pots, j’ai le sourire aux lèvres, non pas que je les prenne pour des choses conscientes, mais je n’arrive pas à m’y faire, j’en touche quelques-unes, je viens d’un seul coup de comprendre pourquoi il y avait si peu de lueurs, certaines que j’ai palpée sont faites de plastiques, le mort et le vivant, je vois bien la différence de deux mondes, et un arbre coupé, une fleur arrachée, je ne sais quoi penser.

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