C’est l’histoire qui commande.

5 mins

J’ai fini tous mes textes, tout au moins la plupart, l’éditeur pour une fois va me féliciter que je sois dans les temps, j’exagère un petit peu, mais à force de remettre en retard, on a beau travailler ensemble depuis des années, tous les jours j’ai droit à une relance, il sait que je réponds rarement à ses appels, je suis noyé de mails, je lui réponds groupé ” Je t’envoie toute l’histoire, il me manque le début, quelques lignes sur le passage d’un l’enfant au début, mais ce n’est qu’un détail pas vraiment important, on en avait parlé pour faire le nombre de pages. Tu peux déjà envoyer en relecture tout le reste, j’ajoute quelques virgules et je t’envoies cette partie.”

J’avais mon petit succès dans le monde de l’intrigue, chaque année c’est pareil, à la fin de l’été, dans les salons d’hiver qui vont se préparer, il fallait que l’objet soit présent avec l’auteur, c’est le moment que je déteste le plus. Les voyages en Europe quelquefois au Québec, j’étais plus casanier qu’autre chose, d’où mon goût de l’écriture et mes premiers romans, d’abord sur des plates-formes virtuelles, ma sélection à un concours et la proposition d’un célèbre éditeur, c’était il y a cinq ans, le temps passe quand j’y pense, mon loisir est devenu un métier qui rapporte, pas à être millionnaire, mais enfin, un à deux livres par an, c’est rémunérateur, assez pour que j’ai une jolie maison maintenant.

Cela faisait plusieurs mois que je butais sur mon dernier roman, pas que je sois à court de mots, l’intrigue et les idées, j’avais tout mis en place, mais pour respecter un format, aux dires de l’éditeur, il me fallait quelques signes de plus, j’avais refusé de rallonger, d’écrire des platitudes, au final je me suis résolu à créer un personnage de plus, une histoire banale en début de l’intrigue, mais qui n’apporte rien et ne retire rien, un enfant qui est là et qui sert à décrire une rue, la virgule d’un enfant qui passe dans la rue, rien de plus rien de moins, il n’a pas existé, et c’est là mon problème, je n’arrivais pas à le voir.

” Les gens se bousculaient à cette heure matinale, le métro et les bus vomissaient des cohortes, les trottoirs encombrés d’un peuple qui se bouscule, et un petit garçon comme un anachronisme évite …”

Je n’arrivais pas à le voir, il n’avait rien à faire ici, il fallait que j’arrive à décrire la rue et le nombre de gens en faisant appel à une autre personne, mais ils sont déjà plein dans la rue, comment faire ? Pas de petit garçon, il faut que je trouve autre chose, quelqu’un d’autre qui ne soit qu’un détail anonyme, un passant, mais qui soit remarquable et qui ne doit plus exister.

“Les gens se bousculaient à cette heure matinale, le métro et les bus vomissaient des cohortes, les trottoirs encombrés d’un peuple qui se bouscule, et le Monsieur là-bas…”

Mince, pourquoi un mec, il y en a déjà plein dans la rue, une femme ce sera pareil, un chien ? un chat ? et pourquoi pas un rat ? Merde, fais chier, quelques signes de plus, et j’ai fini, pas de petit garçon, je vais faire quelques pas, je verrais en rentrant.

Je regarde les gens, je cherche une idée de génie, j’avance dans ma rue il n’y a pas grand monde, je suis dans ma pensée, j’entends quelqu’un courir, un grand coup dans la jambe, on vient de me cogner derrière, je me retourne en criant ” Vous ne pouvez pas faire attention ? “, une dame me regarde, elle est loin, je me retourne de nouveau, il n’y a personne, qu’est ce que c’est cette histoire, les personnes que je voies sont trop loin, je regarde les portes, aucune ne se referme, c’est incompréhensible, mais je sens la douleur, je rentre sans comprendre. En remontant la jambe du pantalon, une marque de bleu, j’ai bien reçu un coup ou alors, je ne suis plus très jeune, comme je n’y connais rien, sans doute une sorte de maladie, j’appellerais le toubib plus tard, en attendant, j’ai un texte à finir.

“Les gens qui se bousculent à cette heure matinale, des bus et du métro…”, non, ça ne va pas.

“Les bus et le métro répandent sur les trottoirs…”, non !

“La rue emplie de gens, des bus et du métro…” Et merde, non, ça ne me va pas, il me faut quelqu’un qui serve de support.

J’ai les mains en suspend sur le clavier, prêt à lâcher mes doigts si la tournure me vient, un bruit dans la cuisine, le chat doit être sur la table, une assiette qui tombe, je me lève du fauteuil, il va prendre cher le matou, déjà que je suis énervé, je cours pour le surprendre, il s’est barré ce con, il n’y a plus personne, il a dû m’entendre me lever, je le cherche du regard, il n’est pas dans sa panière, je regarde par hasard dans le jardin, au fond tapi dans l’herbe, il est blanc je le vois, il jure parmi le vert il a l’air de dormir, soit il est très rapide, soit ce n’est pas le mien. ” Minou, Minou, Abruti.” Ben mince, c’est lui, il reconnait son nom, je ne comprends rien, il vient se frotter à ma jambe, je ne sais pas quoi faire, je lui laisse quelques croquettes et je ramasse les débris de l’assiette, j’ai dû mal la poser. Je retourne au bureau, il faut vraiment que j’appelle mon toubib, j’ai un truc qui va pas.

Mon texte, il faut que je le finisse, je me remets en position prêt à écrire, on sonne à la porte, c’est pas mon jour, je passe sur le programme caméra de mon ordinateur, je ne vois personne, merde encore un de ces gamins qui jouent, je reprends mon texte, ça sonne de nouveau, vite le programme, personne, c’est quoi encore ce truc là, l’ordinateur déconne, et ça sonne de nouveau, je me lève énervé du fauteuil et je vais à la porte, comme sur la pointe des pieds pour ne pas faire de bruit, je me colle à l’entrée, ça sonne de nouveau, je tourne le verrou et j’ouvre d’un seul coup pour surprendre l’amuseur, il n’y a personne devant, aussi loin que je peux voir, des passants mais ils sont hors de portée, Flash n’est pas encore de ce monde.

Je ne vais vraiment pas bien, je me sens mal en refermant la porte, je vais me faire un café, si ça ne m’énerve pas, au point ou j’en suis ça va me rassembler, ou alors je suis fou, je prends rendez-vous tout à l’heure, ce que j’ai à écrire, je m’en balance maintenant, un expresso bien chaud, plutôt non, ce n’est pas encore l’heure, mais un petit remontant dans le salon, ce faisant je passe devant le bureau, mon fauteuil est par terre, merde, je suis vraiment devenu dingue, je n’ai pas souvenir de l’avoir fait tomber, le chat, ça ne peut être que le chat, c’est déjà arrivé une fois, il avait voulu sauter du dossier, je ne le vois pas, je ne veux pas regarder dans le jardin, je m’approche du bureau pour redresser le siège, le clavier cliquette, un texte sur l’écran :

” C’est un petit garçon, qui perdu dans la foule de gens sur le trottoir, se demandait pourquoi on l’a sollicité. Il n’est pas un détail, ni quelques signes de plus, c’est une vraie personne qui a besoin d’exister, tout le monde à son histoire, dans la vie, dans les livres …”

J’ai envoyé un nouveau texte à mon éditeur, une nouvelle intrigue, un nouveau personnage, depuis je suis tranquille, et j’ai foutu la paix à mon chat, le livre s’est bien vendu…

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2 Commentaires
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Galindo Gaëlle
4 années il y a

C’est un peu comme ça que ça se passe dans ma tête.

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