Second séjour dans le vaisseau
A bord du vaisseau, j’ai repris ma vie d’avant et au fil du temps, les événements de la Terre me concernaient de moins en moins. J’étudiais beaucoup pour comprendre moi aussi les secrets de l’Univers. Un seul but pour tous: accéder à l’information initiale avant la fin du cycle et espérer acquérir ainsi l’immortalité. Mais avant de vraiment participer aux recherches, il me faudrait sûrement plusieurs centaines d’années terrestres pour assimiler les informations données, soit par les extraterrestres, soit par le cerveau central, soit aussi quelquefois par des survols en navette de planètes inconnues. C’est ainsi que je me souviens d’une planète, qui sans nul doute était habitée, le cerveau central qui recevait les analyses le confirmait. Pourtant, il n’y avait aucune trace au sol. Jamais n’a été détecté un être vivant en déplacement. Pouvait-il exister du vivant invisible? Ce vivant vivait-il dans les profondeurs de la planète? Au moment où j’écris, je suppose que cette planète est toujours à l’étude.
A propos de voyages dans l’espace et avant qu’il ne soit trop tard, je vais essayer de te donner quelques explications sur ces voyages. Pour cela, il me faut parler du cosmos. Pour les extraterrestres du vaisseau, les voyages dans le cosmos ne dépendent ni de la vitesse de la lumière, ni de la gravité des corps célestes, ni du temps et ni de l’énergie utilisée pour pousser une fusée. L’Univers est en expansion. De plus, cette expansion s’accélère continuellement. Il est donc illusoire de croire que l’on peut, avec une fusée quelle que soit sa puissance, rattraper un système qui s’éloigne et accélère à des vitesses qui peuvent être supérieures à la vitesse de la lumière dans un temps local. En effet, plus la “taille” d’un objet est importante, un système autour d’une étoile par exemple, plus son temps propre est lent. De même plus un objet est petit, plus son temps propre est rapide. En raison de cette constatation, les extraterrestres ont trouvé un moyen de voyager dans l’espace-temps. Ils se servent de l’infiniment petit. Il existe peut-être d’autres moyens. C’est pourquoi les extraterrestres ne veulent pas perturber la vie sur une planète habitée. Si relation il y a entre deux civilisations, la moins évoluée va copier celle de la plus en avance.. De ce fait, elle ne se tourne pas vers des recherches originales. Même une civilisation moins avancée peut trouver une direction de recherche à laquelle les extraterrestres n’ont pas pensé. C’est difficile pour moi de t’expliquer ces choses, car les concepts scientifiques des extraterrestres et ceux de la Terre sont différents et les mots me manquent. Pour les extraterrestres, le cosmos est comme un ballon qui non seulement grossit sans arrêt, mais ce grossissement s’accélère en permanence. A l’intérieur se trouve l’information initiale, pensent-ils. Mais il y a une différence entre la représentation terrienne du cosmos et celle des extraterrestres.
Pour les Terriens, les galaxies, visibles ou non, c’est le cosmos, dont le système solaire fait partie. Pour les extraterrestres c’est, si tu veux, comme la peau d’un ballon. Les galaxies sont sur la peau de ce ballon. Notre système solaire aussi bien entendu. Ces galaxies, avec de grandes distances entre elles, sont étagées au-dessus de l’intérieur du ballon. A l’intérieur du ballon, l’espace, le temps, les distances sont fluctuants. Pour aller d’un point à un autre sur la peau du cosmos, il faut passer par l’intérieur du ballon. Le moyen c’est l’infiniment petit qui seul peut réduire l’espace-temps. Imagine un objet de la taille d’une ville par exemple, dont on réduirait le volume en un point presque immatériel. La ville n’est plus ni visible ni détectable. Pourtant elle existe et possède encore un résidu de son propre espace-temps. Si un vaisseau ou une navette est réduit en un point immatériel, l’un ou l’autre peut traverser la peau du cosmos et voyager sur de grandes distances quasi instantanément et dans son propre espace-temps très court. C’est une sorte de compression d’énergie, si tu veux. J’espère avoir le temps d’y revenir et essayer de t’expliquer comment les extraterrestres procèdent, à la fin de cette lettre.
Fin de l’aventure?
Dans le vaisseau, j’étudiais toujours beaucoup. C’était un vrai plaisir. Par curiosité je voulais tout savoir. Grâce aux émissions radio de la Terre, je savais un peu ce qui s’y passait, mais j’étais de moins en moins intéressé. J’assimilais doucement les concepts scientifiques des extraterrestres, tout en étudiant le néerlandais, avec la vague idée d’exécuter peut-être quelques missions de correspondant sur Terre.
Début 1945, les extraterrestres considèrent que les conditions sont favorables pour envoyer de nouveau des correspondants en Europe. Les envoyés passeraient inaperçus en raison des mouvements de population très importants. On m’a demandé si j’acceptais de retourner sur ma planète. Je ne m’y attendais pas, mais j’ai accepté. Il me faudrait encore jouer mon rôle, et c’est au sein de ma famille que je serais le mieux intégré afin de ne pas attirer l’attention. Toujours cette obsession de ne pas perturber les habitants de la Terre. Ce fut donc le retour à l’endroit habituel, mais ce n’était pas le même correspondant. Cette fois, il m’a habillé d’un bleu de travail et d’une veste de soldat américain. J’avais aussi une petite valise avec beaucoup d’argent, des billets neufs, et dans les musettes, du linge et des journaux récents contenant des articles sur le retour des prisonniers et déportés. Mon correspondant m’a informé de la date du futur contact, et je suis arrivé la nuit suivante chez nous. Je pense que tu t’en souviens car il me semble que tu bavais d’admiration devant ma veste américaine. L’argent posait un problème, pendant le trajet à pied de Busseroles à Poitiers, j’ai eu le temps de trouver une explication.
Après avoir confirmé à ta mère que les Allemands m’avaient arrêté en ville en 1942, puis envoyé le jour-même en Allemagne travailler dans une usine de munitions, sans autre explication que celle donnée par eux, à savoir la nécessité de remplir un train en partance, personne n’a mis en doute mon histoire. Pour l’argent, j’ai raconté l’histoire suivante: au cours d’un bombardement le groupe de Français de l’usine s’était réfugié dans une ancienne caserne de la ville, supposant que détruite, elle ne le serait pas de nouveau. Dans les gravats, nous avons trouvé un coffre éventré, bourré d’argent de tous les pays. Nous nous sommes partagé l’argent français et avons attendu l’arrivée des Américains. C’est passé comme une lettre à la poste.
Par contre, un peu plus tard, la radio et les journaux annonçaient que les billets devaient être changés. Au-dessus d’une certaine somme, il faudrait en justifier l’origine. Cela, je ne l’avais pas prévu. Impossible de contacter mon correspondant avant la date prévue de l’échange. Au contact suivant, supposant que mon correspondant devait être au courant, j’ai apporté les anciens billets. Il avait en effet tout prévu. Nous avons brûlé les billets anciens dans le pré, et il m’a remis un autre paquet de billets nouveaux. A ta mère, j’ai dit que mon patron avait un moyen de les changer après la date obligatoire et qu’il avait pu me changer les miens. Ta mère semblait douter, mais n’a rien dit.
Je me souviens aussi, mais je ne sais plus si c’est à la même époque, les journaux faisaient grand cas des explosions atomiques sur le Japon. Cela me semblait important d’en discuter avec mon correspondant. Les extraterrestres ne pouvaient qu’être au courant. Mais je voulais savoir si je devais orienter mes recherches de livres scientifiques dans cette direction et ne voyais pas très bien comment faire à partir d’une petite ville française. J’ai donc abordé le sujet avec mon contact au rendez-vous suivant. A lire les journaux français, il me semblait que c’était une affaire très importante et dénotait une avancée considérable de la science sur Terre. Mais j’ai été surpris de sa réponse. Il m’a dit en résumé qu’il n’y avait pas de demandes particulières des extraterrestres à ce sujet. Pour eux, c’était l’aboutissement normal d’un certain programme de recherche propre aux Terriens. Ils n’en faisaient pas grand cas. Au pire, me disait mon correspondant, une certaine forme de civilisation pouvait disparaître, mais l’humanité ou la Terre, sûrement pas.
Notre point de contact devait être changé. En effet, le pré habituel était cerné de plus en plus par de nouvelles constructions. L’endroit ne permettait plus l’arrivée d’une navette en toute discrétion. Le prochain rendez-vous aurait lieu dans la région toulousaine (carte à l’appui). Pour les suivants, ce n’était pas encore fixé. La région toulousaine, c’était loin et ça ne m’arrangeait pas. Et puis nous étions maintenant en 1979, j’avais un peu marre de cette vie sur Terre. A part mes missions, je n’avais pas grand chose à faire. Pour m’amuser j’apprenais un peu de swahili car j’avais souvenance que tu avais été en Afrique*. Et puis tu étais casé depuis longtemps et ta mère pourrait vivre avec le reste de l’argent. Je prenais de l’âge sur Terre. J’avais quelques petits ennuis de santé. Bien que je savais qu’au vaisseau on me redonnerait une bonne santé et que je pourrais débarrasser ma mémoire des scories inutiles, il ne convenait pas que je traîne sur Terre trop longtemps. Bref, je devais fixer avec mon correspondant la date de mon retour définitif au vaisseau.
Hélas, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. J’avais pris mon billet de train pour Toulouse depuis longtemps. Mais le jour du départ coïncidait avec un changement d’horaires. Si bien que j’ai raté le train.
Arrivé à Toulouse, je suis allé dans un hôtel pour attendre le rattrapage, qui comme toujours était la nuit suivante du rendez-vous. J’espérais même partir avec cette navette. Mais le soir-même, à l’hôtel, j’ai eu un malaise, début probable de la maladie mortelle dont je suis maintenant atteint. Je me suis réveillé à l’hôpital de Toulouse, bien après l’heure de la navette. Ce fut pour moi une catastrophe. De retour à Poitiers, je ne cessais de me torturer l’esprit pour trouver comment joindre mon correspondant dont je ne connaissais ni le nom ni l’adresse. Lui ne m’avait jamais demandé la mienne. Je n’avais rien dit à ta mère dans l’espoir que mes amis extraterrestres trouveraient le moyen de me localiser. Finalement j’ai pris la décision de te laisser une trace de mon histoire, sans te le dire cependant car j’espère toujours qu’ils viendront me tirer de là d’une manière ou d’une autre. Il me reste encore beaucoup de choses à te dire. J’en viendrai à bout.