« Ce monde fut créé il y a 4,6 milliards d’années. Il y a 65 millions d’année, l’homme commença à évoluer en la version que nous connaissons tous, l’homo-sapiens. Les bactéries, les végétaux ainsi que les animaux ont aussi évolué et recouvrent avec nous la majeure partie de la planète. De nos jours, l’homme a découvert seulement 80% de ce monde. Malgré les machines intelligentes qu’il construit, les profondeurs des océans et l’infinité de l’espace ainsi que quelques facettes de la vie échappent encore à l’être humain.
« Depuis son apparition, l’homme ne cesse de donner des noms à tout ce qu’il découvre ou invente et trouver des significations à tout ce qu’il voit. La météo, le feu, la mort, les maladies, les guérisons, les éléments, les animaux, la femme… les dieux. Or, durant les siècles, la connaissance, les expériences et les découvertes ont prouvé maintes et maintes fois la signification de tous ces signes. La pression, la température, les atomes, les molécules, les cellules, l’hémoglobine, les anticorps, l’ADN … l’évolution.
« La religion fait progressivement place à la science. Comme elle avait pris la place d’autres croyances. Le polythéisme. Devenues mythologies, folklores, contes et légendes. Et que se passerait-il si vous appreniez soudain que les vieux grimoires de vos ancêtres ne faisaient que relater la réalité d’époque ? Une époque à laquelle les créatures telles que les gobelins, les fées, les elfes ou les vampires et loup-garous côtoyaient les humains ? Je vous parle, bien sûr, d’une époque antérieure à celle de la publication des premiers livres. Et que, pour une raison encore inconnue, ce « petit peuple », ce Småfolk, ait décidé de rester caché et disparaître ainsi de la mémoire des hommes ? Devenant, par la suite, des légendes. »
-Vous insinuez que les dragons, les lutins, toutes ces bestioles magiques existent ?
Les regards se tournèrent vers le chancelier autrichien, puis sur la femme en tailleur, face à eux, parfaite inconnue au sein du conseil de l’Union Européenne.
-Oui, mesdames et messieurs, ceci est, à quelques détails près, ce que j’insinue. Bien sûr, les histoires ont été transformées, enjolivées, exagérées. Les dragons de dix mètres tels qu’on les voit sur les illustrations de livres n’ont jamais existé mais une branche reptilienne a un jour évolué pour devenir le dragon de nos légendes.
-Oui, ça s’appelle un varan, continua l’autrichien.
-Ou une salamandre, ajouta le premier ministre d’Italie.
-En effet, il y a beaucoup d’espèces de reptiles mais où voulez en venir ? Trancha la première ministre britannique.
-C’est simple, madame la ministre, toutes ces créatures du Folklore existent.
Elle se retourna vers la toile blanche qui pendait rigide sur le mur en face de l’assemblée. Une image apparue, le portrait en trois quarts d’un homme au teint extrêmement pâle, presque translucide, des cernes violets sous les yeux, un regard sans éclat. De visu, cet homme était mourant, mais son visage dégageait le bonheur et la paix.
-Un vampire, expliqua-t-elle, puis elle changea d’image et accompagna chaque diaporama d’une explication.
Sur l’image qui suivait, le même homme souriait de toutes ses dents d’un blanc éclatant, y compris deux canines extrêmement pointues et proéminentes.
-Un loup-garou.
Elle montra un homme lambda de plein pied. T-shirt et pantalon trop grand, cheveux bruns en bataille sur sa tête. La photo suivante était un gros plan de ses yeux aux pupilles devenues dorées. Et suivit une représentation de sa transformation en un loup gigantesque au poil brun soyeux aux reflets gris, une pile de vêtements soigneusement pliés en arrière-plan.
-Une famille de fée.
Trois personnes prenaient la pose, l’air décontracté, souriant à l’objectif. Le père, grand et solidement bâtis, avec une ceinture abdominale anormalement fine, les cheveux châtains et bouclés, tenait la mère par la taille, une tête de moins que son mari, les cheveux blonds chatouillant ses épaules fines elle-même tenant sa fille par une épaule, blonde comme sa mère, les épaules carrées et les hanches larges. Leurs yeux étaient très grands et d’un vert pétillant.
L’image qui suivit fut un quarantenaire à la barbe et aux cheveux grisonnants, l’œil malicieux et le sourire en coin. Il tenait une boule de feu dans sa paume ouverte.
Un autre saluait la caméra de sa main droite, alors que l’autre moitié de son corps disparaissait, laissant apparaître le mur derrière lui.
Une femme faisait pousser ses ongles et ses cheveux, un adolescent faisait jaillir de la lumière de ses mains, un vieil homme présentait ses doigts palmés. Les photos se multiplièrent jusqu’à devenir une mosaïque, les rectangles rapetissant progressivement.
-Les mutants, des humains à l’ADN modifié par l’évolution.
La mosaïque changea légèrement, cette fois les petites créatures des livres d’histoire apparurent dans de petites vidéos. Un petit dragon jouait avec une balle de tennis comme un chat, une sorte de gros radis potelé tout en bourrelés mais avec des yeux creusés et une bouche béante, gigotait dans une danse frénétique, de minuscules fées luminescentes aux ailes de libellules voltigeaient comme des vers luisants,
Les politiciens regardaient le diaporama comme on regarde une fiction au cinéma, avec une pointe d’ennui.
-Et les élémentaux, ajouta Arduinna, donnant sa touche finale, la raison de sa venue.
Les schémas défilèrent, introduisant tous les éléments connus sur des silhouettes humaines.
-Les élémentaux sont la symbiose entre un corps humain et une pierre d’élément, aussi appelée cristal d’énergie. Ils sont les protecteurs, les représentants et les canalisateurs d’un élément présent sur la planète. Par conséquent, il en existe des centaines, certains même encore inconnus. Ils ont tout âge, toute origine mais un ADN différent des êtres humains, un ADN complexe.
Une spirale granuleuse fit son apparition sur l’écran de toile. L’ADN à double hélice si commune à l’homme.
-Un ADN en quatre dimensions, à quatre brins.
Deux brins torsadés s’ajoutèrent de part et d’autre de la double hélice, leurs liaisons se croisant en leur centre formant une spirale compactée, surchargée et conique.
-De ce fait, le corps qui sert d’hôte est capable de, non seulement supporter mais aussi s’adapter à une pierre d’élément.
Un dessin de diamant brillant.
-Une pierre d’élément. Aucune photo n’existe car il est impossible de la voir ou de la toucher, elle est abstraite. Nous pouvons cependant la représenter car seuls les elementaux peuvent la voir. Un humain ou un surnaturel ne verrait qu’un cœur humain tout à fait normal et en parfaite santé.
Elle éteignit le projecteur et les laissa mijoter. Contrairement à ce à quoi elle s’était attendue, ils ne débâtèrent pas entre eux, le silence régna alors qu’ils semblaient chacun plongé dans une réflexion intense. Croire ou ne pas croire.
« Les élémentaux existent. »
Ce que Arduinna Nérée essayait de faire était d’ouvrir les yeux aux pays Européens sur l’existence du « second peuple » ou « peuple caché » ou « peuple de l’ombre » ou « Småfolk » (petit peuple), en bref, toutes les créatures et espèces ressortant des folklores des cinq continents. Ce peuple vivant dans l’ombre des humains depuis si longtemps, autrefois persécuté et traqué. La fin du vingtième siècle était arrivé et eux aussi voulaient vivre en paix sur cette terre.
Malheureusement ce n’était pas mince affaire et les dirigeants de l’Europe n’étaient guère convaincus par la présentation de cette inconnue sortie de nulle part. Et pourtant … chaque pays avait fait faire des recherches sur cette femme avant l’entretien et elle existait belle et bien.
Officiellement, Arduinna Nérée était née en France, à Brest, en 1928 de parents danois et avait souffert, comme beaucoup, de l’occupation allemande lors de la seconde guerre mondiale. Sa mère était morte à ses trois ans et son père à ses onze ans. Elle avait été gardée par des voisins jusqu’à la fin de la guerre. De 1945 à 1969, plus aucune trace d’elle. En 1981, une jeune fille s’inscrivait dans une école politique de Paris sous le nom de Arduinna Nérée. Elle obtint son diplôme et disparut à nouveau jusqu’à ce jour de 1995, à Bruxelles en Belgique, sous les traits d’une jeune trentenaire.
Cette étrange biographie laissait supposer deux choses : soit elle était une voleuse d’identité et elle utilisait le nom d’une orpheline de guerre disparut, soit elle était ce qu’elle prétendait être ; un être surhumain insensible aux ravages du temps.
-Vous avez une preuve de ce que vous affirmez ? Demanda le chancelier allemand. Je veux dire, une vraie preuve, se reprit-il, pas d’autre photos ou vidéos truquées de votre diaporama. Pour l’instant c’est comparable aux Star-Wars.
-Je comprend tout à fait, je m’attendais même à cette question.
Elle posa ses feuilles sur le pupitre et recula d’un pas. Soudain sa peau se dématérialisa et ondula comme l’eau à la lumière. Elle ne fut bientôt plus qu’une silhouette liquide à son effigie.
Des exclamations très rapidement contenues jaillirent des gradins.
Elle reprit forme humaine et leur laissa un temps de réflexion.
-Voilà, mesdames, messieurs, ce qu’est un élémental, conclue-t-elle calmement. Nous sommes bien réels.
Elle sentit venir les commentaires sur les hologrammes et les effets spéciaux très modernes. Trop peut-être.
-Nul besoin d’ordinateur pour faire cela.
Et elle agita la main pour faire tomber des flocons sur l’assemblée ; bien qu’elle n’ait nul besoin de geste mais ils comprendraient ainsi qu’elle en était l’auteur. Mouvement artificiel mais aussi utile que l’abracadabra d’un illusionniste.
Un ministre du dernier rang se leva d’un saut.
-C’est impossible !
-Calmez-vous, l’intima-t-elle levant la main d’un geste apaisant et stoppant la neige.
Il se rassit nerveusement, conscient -et légèrement honteux- d’avoir été le seul à paniquer. Un homme du premier rang se pencha pour chuchoter à l’oreille de la femme à côté de lui, tous se désintéressèrent du dernier rang et reportèrent leur attention sur la scène.
La première ministre belge posa alors la question que tous pensaient en silence et que Arduinna attendait avec impatience.
-Que voulez-vous, exactement ?
Arduinna sourit, cette demande déclencha chuchotements et acquiescements dans l’assemblée.
-Que l’Union Européenne reconnaisse l’existence du second peuple et accepte sa présence parmi les humains.
-Il y aura beaucoup d’agitation et de discrimination, les peuples auront besoin d’être dirigés, conseillés, apaisés.
-Je compte sur vous tous pour veiller à ce que tout se passe dans l’ordre et la paix.
-Et que gagnerions-nous, en échange ?
Arduinna analysa d’un regard froid l’expression d’insensibilité du chancelier allemand.
-Vous évitez une révolte ? Une guerre civile. Vous enrichissez votre patrimoine culturel, le bien-être de vos populations…
-Rien de bien concret, à l’évidence, la coupa-t-il.
Arduinna puisa dans ses réserves de patience et diplomatie.
-Monsieur le chancelier, si accepter la vérité et aider votre prochain n’est pas dans vos plans alors je ne vois pas ce que je puis faire de plus.
Quelques rires contenus l’accompagnèrent. Le chancelier ouvrit la bouche pour répliquer mais le président du conseil européen mis fin au débat.
-Bien ! Procédons au vote.