Où sont-ils passés les oiseaux ?
Je ne les entends plus chanter matin.
Pourquoi ne viennent-ils plus me souhaiter la bonne journée ?
Aurais-je fini, comme pour tant d’autres, par les lasser ?
Ont-ils pris peur,entendant le battement sec et irrégulier du poids informe qu’on me dit être le cœur ?
Ont-ils senti ce qui me ronge ? Ce qui résonne dans ma coquille vide ?
Non, je ne les entends plus chanter. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils ne chantent plus.
Seulement, je ne les entends plus, les oiseaux.
Où sont-ils passés les Hommes ?
Il est vrai que je n’ose plus guère leur adresser la parole mais je me délectais de les regarder du coin de l’œil.
Je ne les vois plus passer à toute allure, la peur de ne pas arriver à l’heure guidant leurs pas. En retard pour quoi ? Perdre leur temps?
Éviteraient-ils mon regard… ? Ne veulent-ils pas que je les juge, assis au sommet de la montagne qui me sépare de leurs
vies inutiles ? Je ne puis être juge et accusé, je le leur accorde.
Mais, hommes, femmes, laissez-moi, laissez-moi vous regarder!, laissez entendre le grondement de vos vies inutiles!, parlez-moi!
Je ne vous répondrais certainement pas, mais je vous en supplie, parlez-moi !
Parlez-moi et, un jour, lorsque de vous entendre déblatérer j’en aurais perdu l’envie de me taire, écoutez moi.
Où sont-ils passés, les vautours ?
Où sont ces nobles volants, qui nettoient le corps putréfié ?
Qu’attendent-ils pour venir déchirer ma chair ?
Pour mettre à nu la bête immonde qui a fait de moi son hôte.
Qu’ils viennent, les vautours, qu’ils viennent, me dévorer, me délivrer de l’infâme malédiction
que la vie a enfantée dans le creux de mes viscères.
Surtout qu’ils prennent leur temps !
Je n’ai pas peur de la douleur.
On ne peut avoir peur du mal le plus pur quand on vit avec, chaque fichu jour depuis le premier dont la mémoire peine à se rappeler.
Où sont-ils passés les anges ?
Ils fuient. Ils se dérobent. Ils n’osent faire face à leur crime.
Cupidon! qui préféra une dague enduite de poison visqueux à la douce flèche chaude et futile, qu’il se sente coupable de m’avoir
fait oublier ce qu’est l’amour.
Et celui là! Dont j’ignore le nom, qui fit de mon esprit une tempête aux multiples vents incessants, qu’il se sente coupable de
m’empêcher de perdre la raison.
Et lui encore, qui se tord d’un rire foudroyant me voyant misérable cloué au sol, incapable de sourire tout comme
de voler, qu’il se méfie car lorsque mes ailes pousseront, lorsque les oiseaux chanteront, lorsque je me joindrai à eux dans leur valse aérienne…!
Alors, au détour d’un courant d’air, au dessus de son nuage, pour soulager tant mon esprit que mon envie, je me laisserai
aller, pour souiller son doux visage, et pour l’éternité le maudire de n’avoir su m’accompagner vers la liberté.
Enfin,
les entendre à nouveaux,
les oiseaux.