Mon histoire débute en 1953, en pleine campagne Louisianaise.
Ma mère avait été engagée comme bonne à tout faire chez Madame Taylor. Nous arrivâmes tôt le matin et pourtant l’air était déjà lourd. La carriole qui nous avait emmenés nous déposa devant une grande bâtisse blanche qui comportait plusieurs étages et s’étalait sur des dizaines de mètres. Les volets bleu pétrole donnait un peu de couleurs à cet ensemble monochrome. Nous nous dirigeâmes vers la porte d’entrée et ma mère tira la lourde chaine qui faisait tinter la cloche. Quelques instants plus tard, l’un des battants s’ouvrit sur une femme à l’allure hautaine. Elle portait un tailleur beige avec une chemise blanche, des bottines noires complétaient sa tenue. Ses cheveux bruns étaient tirés en un chignon sévère ramené sur sa nuque. Elle avait des yeux marron perçants, un nez aquilin et une bouche aux lèvres pincées.
– Je n’ai pas de temps à perdre, de quoi s’agit-il ? demanda-t-elle avec mépris
– Madame Taylor ? questionna ma mère.
– Oui, et vous êtes ?
– Je suis Cora Finnigan et voici ma fille, Kara. Je vous ai appelé il y a quelques jours pour la place …
– Ah oui, bien sûr. Suivez-moi.
Elle nous fit entrer dans un grand vestibule immaculé faisant ressortit le sol au carrelage noir et blanc. Elle nous fit rapidement visiter la maison.
Au rez-de-chaussée, se trouvait la cuisine, le garde-manger, la salle à manger et une salle de réception. Au premier étage se trouvaient les chambres, une salle de bain et au fond du couloir, la porte s’ouvrit sur l’immense bibliothèque au milieu de laquelle trônait une grande table ; des étagères pleines de livres étaient disposées de chaque côté de la pièce. Un garçon et une fille était assis à la table. Quand ils entendirent la porte s’ouvrir, ils levèrent le nez de leurs ouvrages et nous fixèrent, le garçon avait le même regard méprisant que sa mère. Madame Taylor les présenta rapidement :
– Voici mes enfants, James et Mary. Il est bien entendu que votre fille ne les côtoiera pas !
– C’est évident, pensais-je ironiquement.
Enfin au deuxième étage, les chambres des domestiques.
Lorsque le tour du propriétaire fut finit, la maitresse de maison ordonna à ma mère de se mettre au travail. Je décidais alors d’aller dans la chambre qu’elle m’avait attribuée afin d’y déposer mes affaires. C’était une petite pièce carrée avec une fenêtre ronde qui laissait à peine entrer la lumière. Il n’y avait qu’un petit lit défoncé, une commode et une table de nuit sur laquelle était posé une petite lampe de chevet à trois sous. Je défis mon sac et déposais mes vêtements dans la commode crasseuse, non sans avoir passé un coup de chiffon. Puis je descendis voir si je pouvais aider ma mère.
– Profite un peu de ton temps libre, va prendre l’air, ou profites-en pour visiter la propriété. Je t’appellerai si j’ai besoin d ‘aide.
Je n’avais que 16 ans et pourtant j’étais déjà habituée aux corvées et au dur labeur
Lorsque je n’avais que 5 ans, mon père est mort à la guerre. Ma mère a donc du trouver un emploi et dès que j’ai su tenir un chiffon ou un balai, j’aidai ma mère à effectuer des travaux domestiques afin de gagner quelques sous de plus. Mais j’écoutais ma mère et m éloignais.
Dans le couloir, je croisais James qui m’arrêta et me dit :
– Ne crois pas que tu vas pouvoir faire ce que tu veux, je t’ai à l’œil !
– Cela commence bien, pensai-je intérieurement. Ca va être sympa !
Je sortis et m’assis dans le jardin quand je vis un labrador beige s’approcher de moi. Je lui caressai doucement la tête.
– J’ai au moins un ami. Comment tu t’appelles ?
Je regardais son collier, il était en cuir beige incrusté de diamants et une médaille en argent indiquait « Ramsey » en lettres d’or.
– Tu dois avoir une belle vie, hein ? Manger des choses hors de prix, porter un collier qui vaut une fortune, faire ce que tu veux quand tu veux…
Je poussais un soupir, imaginant un instant ce qu’aurait été ma vie si mon père était encore en vie.
Il me regardait comme s’il avait compris ce que j’avais dit.
– Voilà que je parle à un chien. Mais au moins toi, tu ne me critiqueras pas, dis-je en le grattant derrière les oreilles.
L’animal se laissait faire mais soudain il y eu un coup de vent puissant qui s’arrêta aussi brusquement qu’il s’était levé. Ramsey aboya et se dirigea vers la maison. Il s’arrêta et se retourna comme pour voir si je le suivais. Intriguée, je pris sa suite. Il s’engouffra à l’intérieur en courant, puis monta les escaliers.
– Eh attends-moi, m’écrais-je, où vas-tu ?
Le jeu de piste s’arrêta devant une petite porte du deuxième étage. Le chien était assis et regardait la porte comme s’il n’attendait qu’une seule chose, c’est qu’on lui ouvre.
– Il y a quelque chose derrière cette porte ? questionnais-je.
Avec étonnement, Ramsey aboya comme s’il avait compris ma question.
– Très bien, je vais ouvrir, acceptais-je peu rassurée.
Je posais la main sur la poignée et la tournais doucement, la porte s’ouvrit en grinçant.
C’était une petite pièce vide à l’exception d’un grand miroir sur pied et d’une commode. Ramsey se planta devant celle-ci. Voulant comprendre ce qui se passait, j’ouvris un à un les tiroirs du petit meuble, mais ils étaient complètement vide.
– Je ne comprends pas, c’est vide. Qu’est-ce que tu cherches à me dire ?
Mais bien entendu, l’animal ne me répondit pas et continua de fixer la commode.
– Il n’y a absolument rien d’intéressant ici, allez viens, redescendons.
Mais le chien ne broncha pas.
Alors comme pour me justifier, j’ouvris le tiroir du haut :
– Tu vois bien qu’il n’y a …, Je m’interrompis.
Sur le fond, était posé un collier. Il était composé d’un cordon de velours vert et d’un médaillon en argent au milieu duquel était incrusté un saphir
Je tendis la main et l’effleurais du bout des doigts. Puis je le pris et délicatement je l’attachais autour de mon cou. A ce moment-là je sentis comme un courant électrique traverser mon corps comme si le bijou m’avait transmis son énergie. Je l’enlevais aussitôt et le lâchai sur la commode. Après avoir repris mes esprits, je le ramassais et l’examinai de plus près. Il n’avait pas l’air vieux, il n’y avait aucune inscription, somme toute on aurait dit un bijou ordinaire. Mais je doutais que ce soit le cas. Il se passait vraiment de drôle de choses dans cette maison.
En pleine réflexion, je n’entendis pas James approcher. Le son de sa voix me fit sursauter :
– Qu’est-ce que tu fais là toi, on ne t’as jamais dit que ce n’était pas bien de fouiner ?
Je me retournais et instinctivement, je cachais mes mains dans mon dos :
– Je ne fouine pas, je visite, c’est tout.
– Ah oui, alors qu’est-ce que tu caches? demanda-t-il en désignant mes mains.
– Rien du tout.
Mais James refusa de lâcher prise, il m’attrapa le bras et me força a lui montrer ma découverte :
– Pas seulement menteuse, mais voleuse aussi, vociféra-t-il
– Je ne suis pas une voleuse, … je l’ai trouvé dans le tiroir, tentais-je d’expliquer
– Tu l’as trouvé et donc tu crois qu’il t’appartient ?
– Non protestais-je, je venais de le trouvais quand tu es arrivé, je n’ai jamais eu l’intention de le garder.
– Alors rends-le-moi, sale voleuse, commanda James, en tentant de s’emparer du collier.
Mais pour une obscure raison, je ne voulais consentir à sa requête et éloignais prestement le bijou de son emprise en le plaçant dans mon dos.
– Ah tu veux jouer petite peste, d’accord, mais je te préviens, tu ne gagneras pas.
Il se jeta sur moi et tenta de m’arracher l’objet de la dispute.
– Lâche-moi, tu me fais mal …
Mais au contraire, le jeune homme resserra son emprise. Il était presque collé à moi et tentait d’attraper le collier que je refuser de lâcher.
– Mais qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi vous criez ?
Ni James, ni moi n’avions entendu la petite fille approcher, tellement absorbés par notre dispute.
– Cela ne te concerne pas, tu devrais retourner dans ta chambre, déclara son frère.
Aucun de nous ne voulait céder. Il me toisait de toute sa hauteur, mon coeur battait à tout rompre. S’il n’était pas aussi arrogant et prétentieux, j’aurai pu le trouver charmant avec ses grands yeux bleus, ses cheveux châtains dont une mèche rebelle retombait sur son front et sa bouche si parfaite.
– Mais laisse-là tranquille. Pourquoi faut-il toujours que tu sois méchant ? s’exclama Mary en poussant son frère.
Il faillit tomber, son étreinte se desserra et profitant d’une seconde d’inattention, je me dégageai de son étreinte et vacillais. Pour ne pas tomber à la renverse, je me retins au miroir. C’est alors qu’une drôle de sensation m’envahit comme si nous étions tombés dans un gouffre. James me tenait toujours le bras et la petite fille était accrochée à son grand frère. Mary et moi, nous regardâmes comme si nous avions compris que quelque chose clochait, mais James, trop obnubilé par notre désaccord n’avait pas senti le changement. Il m’arracha le collier des mains :
– Je vais le rendre à ma mère, et je ne manquerai pas de lui dire que tu as essayé de le voler, cracha ce dernier.
Il sortit de la pièce mais s’arrêta net, aucun mot ne sortit de sa bouche. C’était bien la première fois depuis que j’étais arrivé qu’il ne trouva rien à dire. Je le rejoins donc et compris son silence : la maison n’était plus du tout la même.
– Mais qu’est-ce que tu as fais ? M’accusa James.
– Moi ? Mais je n’ai rien fait, j’étais avec toi, je te rappelle. Ce n’est pas de ma faute
Je retournais dans la pièce pour comprendre ce qui c’était passé. C’était une petite pièce exigüe qui comptait le miroir, une fenêtre, une petite armoire et quelques tableaux entreposés sous un drap. Mais où étions-nous ? Et surtout comment diable étions nous arrivés là ? Autant de questions qui se bousculaient dans ma tête auxquelles il allait falloir trouver des réponses.