2016 – Après les attentats de Nice

3 mins

Le 7 janvier 2015, j’ai 20 ans. Je me réveille à 7 heures : c’est un jour important pour moi. Comme de nombreux étudiants, je passe mes premiers partiels aujourd’hui. En arrivant à Gare du Nord où je prends mon train, on annonce des retards, encore. À cause d’un « accident grave de voyageur », encore. 

Alors que je patiente docilement comme autant de passagers autour de moi j’en apprends plus : un Homme s’est tué à la station où je dois me rendre, Laplace. Je connais bien la région, et use de mes tactiques ratpéennes pour arriver à l’heure. N’empêche : cet Homme me met dans une situation délicate, me fait suer d’angoisse dès le matin, contrainte d’arriver en courant, et très gênée de me rendre à l’endroit exact où il s’est donné la mort à peine une demi-heure plus tôt.

Je suis de nature conciliante. Je n’aime pas quand les gens se fâchent contre un suicide : il est toujours désagréable d’avoir du retard mais un Homme a perdu la vie, l’insulter c’est outrancier. Je prends mon mal en patience, rédige ma composition, et sors de là, la boule aux ventres comme à chaque fois que je termine un partiel.

Et j’allume mon téléphone. Une fusillade, en plein Paris. Plusieurs morts, au centre de la capitale. Je travaillais ce matin-là sur de l’Histoire Ancienne. En en sortant elle me gicle à la gueule, l’Histoire. Elle me prend aux tripes. Violemment je suis adulte. La boucle ne s’est pas refermée.

Depuis, je pense à cet Homme. Pas un jour ne passe sans que je me dise qu’il a, quelque part, bien fait : de ne pas voir toutes ces horreurs, de ne pas sentir cette peur, de ne pas vivre cette angoisse qui nous habite tous depuis. Je me demande ce qu’il aurait fait s’il ne s’était pas suicidé. Se serait-il engagé politiquement ? Aurait-il mis une fleur sur la République ? Ou fait la queue pendant des heures pour acheter un numéro spécial de Charlie ? Serait-il allé au Bataclan, danser et boire ? Aurait-il été à Nice, en juillet, pour se détendre et oublier sa triste vie parisienne ?

Je ne le saurai pas. Mais aujourd’hui, 15 juillet 2016, je n’ai qu’une envie : le faire regretter de s’être tué. Qu’il voie de l’espoir dans cette France meurtrie. Qu’il ait envie, là-haut, de revenir parmi nous et de batailler. Qu’il sente cette ferveur qu’on appelle parfois populaire, que je nommerai française, qui nous unit contre la haine.

Malheureusement de là où il est il ne la verra pas. Sans doute préférera-t-il rester au paradis, avec le Dieu qui lui convient. La France est divisée ; nous sommes 70 millions de connards réunis sur un même territoire avec nos personnalités et nos aspirations, toutes contradictoires. Il ne voudrait pas revenir et d’ailleurs beaucoup songent à le rejoindre.

Moi, je ne suis pas prête à hisser l’étendard, à crier mon patriotisme, à appeler à l’union parce que je sais que peu d’entre nous s’y rallierait.

Mais je veux le rendre jaloux. Je veux le rendre envieux. Je veux qu’il se morde les doigts d’être parti, parce que malgré tout nous avons tous envie ; d’aller mieux, de vivre ensemble, de rendre les choses plus logiques et humaines, de croire en l’avenir et d’espérer. Je veux le rendre vert de notre confiance malgré toutes ces épreuves.

Il pleurera de son suicide. Je ne parlerai jamais de renaissance de la France car nous ne sommes jamais nés ensemble. Sur les cendres de nos morts, nous allons construire un départ. Créer une France où nous serons tous inclus. Ne laisser personne sur le côté. Arrêter de vouloir la changer avec des phrases étendards, mais la rendre vivante par des actions concrètes : favoriser la culture au détriment de la répression, encourager l’enseignement plutôt que la sanction, favoriser la diversité au lieu de la réprimer. Changer d’état d’esprit. Changer la France.

Que vous soyez Président normal ou Français exceptionnel.

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