Ce que j’aime avec Internet et la télé, c’est que parfois je tombe sur des endroits que je connais et les souvenirs me reviennent. Une photo de Prague sous la neige : été 2014, avec deux copines, on avait fait une teuf d’enfer la veille et on avait pique-niqué près du château. Ce que j’aime aussi, même si c’est un peu différent, c’est que mon cerveau, à force d’être confronté à ce flux perpétuel de représentations diverses, tend désormais à toujours chercher un lien quelconque à leur égard. Par exemple une scène dans un café à Paris, et je regarde l’arrière-plan, les rues qui le bordent, la devanture, pour savoir si j’y suis déjà allée – ou si au moins je sais où il se trouve – et, le cas échéant, ce que j’y ai fait et avec qui. C’est devenu comme un jeu, le souvenir. La dernière fois, un micro-trottoir à Bayonne : j’essaie d’observer les signes de la saison pour voir si, peut-être à ce moment-même, j’étais à la maison avec ma tante ou bien au chevet de mon oncle à l’hôpital.
J’ai beaucoup de mal à prendre des décisions. Je me fixe des objectifs insignifiants au fil de ce qui me tombe sous la main. Par exemple si je vois ma gourde je me défie de boire dix gorgées d’eau. Alors je les compte, une, deux, trois… jusqu’à dix, et puis je m’arrête pour respecter mon contrat, mais immédiatement je réalise que c’est idiot de laisser si peu d’eau au fond d’une gourde, autant la boire et la remplir ensuite. Onze. De là, je me félicite de m’hydrater et ai le sentiment de m’être bien occupée de moi.
Cette année le slogan c’est self-care. Chacun l’interprète ou le gère à sa façon. Comme nous sommes confinés, plutôt seuls, en tout cas concentrés sur nous-mêmes, le self-care est un passage obligé, très personnel qui plus est – pour moi, parfois, c’est me féliciter d’avoir bu onze gorgées d’eau d’affilée. Le repli est effectif dans les corps alors il faut bien que les esprits suivent aussi. Mais qui, avant mars 2020, savait s’occuper de soi ?
Moi, je pense qu’on peut avoir l’impression de bien se gérer tout en se laissant aller, en oubliant ces rigueurs qui font du quotidien une machine bien agencée. On fait moins de sport, on boit plus et on mange mal plus souvent ? C’est 2020 qui veut ça. On se sent moins bien, un peu perdus, désorientés ? Oui, c’est normal, on est dans une période terrible et incompréhensible. Il ne faut pas se flageller, il faut faire de son mieux, ou comme on peut (phrase prononcée dans 95% de mes appels téléphoniques cette année). Se laisser aller, à court terme, c’est notre salut à tous. Mais combien sortiront de là ankylosés après des semaines assis, voir allongés ? Ou myopes à cause du temps passé sur les écrans, qui a explosé ? Ou muets, car trop longtemps isolés ?
Cette année la pratique c’est self-care imposé – au bout de 10 mois, moi, je le subis plus qu’autre chose.
Merci pour ce partage. La première partie me rappelle une habitude que j’ai également 😉
"Se laisser aller, à court terme, c’est notre salut à tous. Mais combien sortiront de là ankylosés après des semaines assis, voir allongés ? Ou myopes à cause du temps passé sur les écrans, qui a explosé ? Ou muets, car trop longtemps isolés ?", oui, les répercussions risquent d’être là…