♤ Jared ♤
Ça me fait chier d’être là. J’aurais préféré rester dans mon lit.
Tout t’agace de toute façon. Ce n’est pas en restant cloîtré dans ta chambre que ça va s’arranger. Étant donné que tu refuses d’admettre le problème de fond, tu ne t’en sortiras pas.
Mêle-toi de ton cul ! Et arrête de remettre ça sur le tapis. Ça n’a rien à voir, bordel !
Oh si ! Et tu le sais.
La ferme ! J’ai déjà assez de mon vieux qui me saoule là…
Pendant que je me prends la tête avec l’emmerdeur qui squatte mon épaule, mon paternel est en plein monologue. Je ne l’écoute pas et mes potes Kane, Peter et Liam, les autres membres du groupe, non plus. Ils sont comme moi. Le matin, il ne faut pas leur prendre la tête avec des discours, parce qu’ils ont du mal à suivre. Leur cerveau est en stand-by jusqu’à ce qu’ils aient bu leur café et mangé un morceau. Mon père a beau le savoir, il le fait quand même. Je n’ai pas capté de quoi il parle depuis dix minutes. Je crois que j’ai entendu mon prénom. Ainsi que les mots : roadie *, première partie et aéroport, mais je ne suis pas sûr. Cependant, je sens la conclusion arriver à grands pas et il était temps. Le temps d’avaler une gorgée de mon café et il arrive au bout de sa tirade.
— Après mûre réflexion et des heures de discussion avec leur manager et l’équipe technique, j’ai accepté que le groupe Devil fasse votre première partie. Mais aussi de…
— Quoi ?! Tu plaisantes, j’espère ? m’étonnai-je en lui coupant la parole.
— Non, je suis sérieux. Devil est en perte de vitesse à cause du scandale qui a touché leur batteur. Maintenant que l’affaire est classée, ils ont besoin de prendre leur revanche et de renaître de leurs cendres. C’est normal qu’on leur offre cette opportunité…
— Normal !? Non mais tu te fous de ma gueule !? … Depuis quand on fait la charité à des enfoirés pareils !? m’insurgeai-je.
C’est la meilleure de l’année, celle-là ! Comme si je n’avais pas assez d’emmerdes, il faut aussi que je partage la scène avec l’autre ordure de Damon, maintenant. Moi vivant, jamais !
Il ne faut jamais dire jamais ! Tu peux toujours changer d’avis à un moment, rien n’est acquis dans la vie.
Non, mais t’en as pas marre de me gonfler !? Fiche-moi la paix !
Désolé mon petit vieux, mais ça c’est pas possible. J’adore te faire chier et vu que comme l’autre guignol à côté s’est volatilisé, je suis obligé d’équilibrer de temps en temps.
On se demande bien pourquoi d’ailleurs ? Avoir une plaie telle que toi comme voisin, il y a de quoi demander un congé sabbatique !
Sauf que je n’y suis pour rien. C’est de ta faute, s’il est parti. Tu es bien trop perverti pour qu’il ait la moindre chance que tu l’écoutes.
Disparais avant que je t’en colle une !
— Écoute, je sais que ça ne t’enchante pas Jared, mais j’ai pris ma décision et je ne reviendrai pas dessus, intervient alors mon père, que j’avais déjà oublié.
— Dans ce cas, trouve un autre chanteur pour le groupe parce que moi, je me tire !
Ceci dit, je quitte la table. Je me dirige vers la sortie pour rejoindre l’ascenseur et regagner ma chambre. Trop énervé, je ne regarde pas devant moi et finis par percuter quelqu’un.
— Eh doucement, regarde où tu marches !
Interloqué, je relève la tête et ce que je vois me coupe le souffle. Ce mec est canon ! Et il doit avoir du succès auprès des femmes. Il a les cheveux blond californien, les yeux verts et sa peau est hâlée. Il est musclé mais pas trop, juste ce qu’il faut. Il dégage une prestance de dingue qui m’intimide. Ses iris émeraude plongent dans les miens. Leur profondeur et leur beauté me font frissonner de la tête aux pieds, autant qu’elles me font déglutir et me rendent fébrile. Mes mains deviennent moites, mon cœur s’arrête puis s’affole. Il bat trop vite et trop violemment dans ma cage thoracique. J’ai l’impression qu’il va exploser d’un instant à l’autre.
Putain, qu’est-ce qui m’arrive ? C’est quoi ce délire ?
Chasse le naturel et il revient au galop.
Ta gueule.
— Hé, ça va ? s’inquiète l’inconnu en posant la main sur mon épaule. Tu n’as pas l’air bien.
Le contact de sa main et le son de sa voix, chaude et grave, calment le marathon que mon cœur parcourt depuis un instant. Je suis en nage, ma gorge est sèche et nouée. Dites-moi que je rêve ! Comment ce type peut me mettre dans un tel état en quelques secondes ? Pas de doute, je ne tourne vraiment pas rond. Il faut que je me ressaisisse et vite. Ma vie est déjà un enfer depuis des mois à cause de l’autre connard qui me tient par les couilles, je ne peux pas me permettre de me laisser envouter par ce mec. D’abord, il y a une mon vieux avec Damon et maintenant, ça ? Il faut que cette matinée merdique se termine. Sinon, je vais péter les plombs…
— Ouais, ça va, répondis-je en enlevant sa main de mon épaule.
Je prends une décharge électrique lorsque nos mains entrent en contact. Comme s’il venait de me brûler, je relâche aussitôt sa main. Ma réaction le surprend et il me dévisage. Son regard me rend fou et il pénètre mon âme en profondeur. Il m’envoûte et m’enflamme. Bon sang ! Il faut que je me tire au plus vite. Je brise notre échange silencieux, détourne la tête et je m’en vais. Je quitte le restaurant et regagne l’ascenseur, dans lequel je monte avant d’appuyer nerveusement sur le bouton du sixième étage, celui de ma suite.
Le trajet me donne l’impression de durer une éternité, tellement je suis perturbé par cette rencontre imprévue. Et pour couronner le tout, je bande comme un taureau. Lorsque j’arrive à destination, je me surprends à me remettre à respirer. Je sors de la cabine et traverse le couloir, avant de rentrer dans ma chambre et de m’enfermer dans la salle de bain. Je tourne en rond, rumine et enrage.
Arrête de tourner comme un lion en cage ! Cela ne sert à rien et ça ne résoudra pas ton problème. Mais tu peux au moins te soulager en pensant à ce beau gosse. Une petite branlette ne te fera pas de mal, et puis ça va te détendre.
Putain, mais tu va la fermer ?! Tu crois que j’ai besoin de ça ?! Ma vie n’est pas assez en bordel pour toi ?! Tu veux me rajouter un problème de plus ?!
À qui la faute ? Si tu avais été honnête et que tu avais assumé dès le début, tu n’en serais pas là.
Ça n’aurait rien changé ! La chute aurait été encore plus rude, c’est tout. Me taire a été la meilleure solution !
On voit le résultat… Tu pètes le feu, c’est flagrant !
Suite à cette remarque, criante de vérité mais que je refuse d’admettre, je disjoncte totalement. Je détruis le miroir de la salle de bain à coups de poing. Lorsque j’ai le malheur de croiser mon regard, je hurle comme un damné pour évacuer ma rage et ma frustration.
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* Roadie : C’est un machiniste itinérant qui voyage sur la route avec les artistes et groupes de musique lors de leurs tournées.