♤ Jared ♤
Salle de spectacle,
16h00.
Je n’en reviens pas, cet enfoiré de Kane est parvenu à me convaincre de venir ici et de faire ce concert. En même temps, il m’a poussé à bout jusqu’à ce que je crache le morceau. Bien entendu, je n’ai pas tout déballé. Je me hais et me répugne assez comme ça pour ne pas avoir besoin de voir cette lueur dans ses yeux. Je me suis contenté des grandes lignes et il n’a pas cherché à creuser. Étrangement, me confier m’a fait du bien. Cela m’a enlevé une partie du poids que j’avais sur les épaules. Même si j’ai gardé le plus sombre et avilissant pour moi.
On est là depuis onze heures et demie. Les roadies se sont occupés de la partie technique pendant une heure et demie. C’est comme ça que j’ai appris que le mec de ce matin remplaçait Ethan et qu’il s’appelait Andreas Baker. Kane, Liam, Peter et les autres machinistes itinérants semblent l’avoir déjà adopté dans l’équipe. Pareil pour mon père. Quant à moi, je me contente de l’éviter comme la peste pour deux raisons. La première, c’est parce qu’il a récupéré la place du bâtard, qui a participé à l’effondrement de ma vie. Et la deuxième, c’est parce qu’il est dangereux pour moi. Il me file des frissons à chaque fois que je sens ses yeux sur moi et il me fait bander comme un damné. J’ai beau coucher avec des femmes pour la forme, elles ne m’excitent pas et leur corps me laisse indifférent.
Au début, je pensais que j’étais asexuel, puisque je n’éprouvais aucun désir devant une paire de seins et un vagin. Puis, il a eu cet enfoiré et je me suis rendu compte que j’étais gay. Sauf qu’homo et Rock Star dans une même phrase, ce n’est pas compatible dans les mœurs de ce monde. Oui, je suis con et mon raisonnement est débile. Mais jusqu’à maintenant, assumer ma sexualité dans mon intimité ne m’a apporté que des emmerdes et m’a détruit. Alors, je n’ai aucune envie de faire mon coming-out. Je préfère me voiler la face, me mentir et baiser des groupies en m’imaginant mon idéal masculin, plutôt que de laisser libre cours à mes envies et à mes désirs.
Tu as fait des progrès depuis ce matin. On dirait que ta discussion avec Kane et l’arrivée du beau gosse t’ont fait du bien. Dommage que tu n’aies pas assez de courage pour le dire à voix haute.
Ferme-la, espèce d’emmerdeur de première !
Yeah Baby ! Mais c’est pour ça que tu me kiffes.
Arrête de rêver ! Je supporte ton squat sur mon épaule, c’est déjà pas mal.
Lorsque les techniciens ont fini de régler les balances pour notre répétition, on est allé déjeuner. Personnellement, j’ai mangé dans ma loge et seul, contrairement aux autres. J’étais déjà nerveux et fuyant à cause d’Andreas, mais lorsque Damon et son groupe ont débarqué, je suis devenu l’homme invisible. Je me suis arrangé pour ne pas les croiser, tout en faisant mon taf. On a répété pendant deux heures avant de laisser la scène à Devil.
Voilà une heure et demie que j’entends Damon chanter depuis ma loge. Il a beau être une ordure de la pire espèce, il est doté d’une voix suave et magnétique, à donner des orgasmes à la chaîne. D’ailleurs, il est doué pour ça. Sauf qu’il est pourri jusqu’à la moelle. J’éprouve une haine viscérale envers ce mec. Je voudrais ne l’avoir jamais rencontré, le virer de ma mémoire et de ma vie. Quand on est jeune, on peut faire les pires erreurs de notre vie. Damon est la mienne, et je la regrette à chaque instant.
Ressasser le passé et entendre sa voix finit par m’agacer. De plus, j’ai besoin d’une douche bien chaude pour dénouer mes muscles. Je termine ma clope et la jette, avant d’avaler ma tisane au miel. Puis, je quitte ma loge pour aller dans la salle de bain. Je me déshabille et j’ouvre l’eau. J’attends qu’elle soit brûlante et je mets sous le jet en posant mon front sur le carrelage froid, pour me déconnecter de la réalité et tenter de suspendre le temps. Cette cohabitation avec Damon et Andreas me stresse et j’ai vraiment besoin de me détendre.
Bientôt, des lèvres embrassent ma nuque. Elles se déplacent dans mon cou et redessinent ma clavicule. Des mains remontent le long de mes côtes. Ces attentions, cette douceur et cette tendresse me font frissonner sous l’eau chaude. Cependant, je ne réalise pas tout de suite qu’on me touche. Ce n’est qu’en sentant une érection contre mes fesses que j’en prends conscience. Je donne un coup de tête à la personne dans mon dos lorsque je sursaute et redresse la tête. Je m’empresse de récupérer ma serviette pour la nouer autour de mes hanches, avant de me retourner.
— Putain, Jared tu fais chier ! se plaint Damon, le nez en sang. Ça fait un mal un chien, bordel !
— Ah ouais ? Bah estime-toi heureux que je n’aie pas mon canif sur moi, parce que je t’aurais tranché la queue, enfoiré !
Je me retiens de le rouer de coups et de l’envoyer à l’hosto, bien que j’en crève d’envie. Je récupère mes affaires et me dirige vers la porte.
— Bébé attend, s’il te plaît… m’interpelle-t-il en m’attrapant le poignet. Je voudrais qu’on discute.
— « Bébé » ?! Non mais t’es sérieux là !?
Je le foudroie du regard et il me répond avec des yeux de chien battu. Je sens la colère et la haine monter en moi, prête à exploser face à cette expression sur son visage. Je me libère de son emprise avec violence.
— Va crever, Damon ! … T’as perdu le droit de m’appeler « bébé » le jour où tu m’as abandonné dans ce fossé pour aller baiser Isaac !
Mes mots font mouche, car je le vois se décomposer et blêmir. Quant à moi, j’ai la rage et je suis incapable d’arrêter mon flot de paroles, ni même de stopper mes larmes qui montent à vitesse grand V. J’ai besoin d’extérioriser ma haine à son égard et de déverser mon venin. Je veux le briser comme il l’a fait avec moi. Je veux qu’il souffre comme moi j’ai souffert et qu’il dégage de ma vie, une bonne fois pour toutes.
— Dis-moi, t’en as sauté combien pendant qu’on était ensemble ?! Pendant les six mois que j’ai passés dans ce lit d’hôpital ! Durant ma rééducation !? Et ces dernières années ?! … 20 !? 40 !? 80 !? 120 !?
Damon se mord la lèvre et me fuit du regard.
— Réponds-moi, putain !
— Je… Je suis désolé. Je…
— Tu es désolé ? C’est tout ce que tu as à me dire après tout ce temps ? Tu te fous de moi !? … Tu m’as abandonné Damon ! Tu m’as laissé pour mort dans ce ravin ! J’ai fini en fauteuil pendant plus d’un an à cause de toi ! Je te hais, tu m’entends !? Je préférerais crever plutôt que de recommencer à baiser avec toi ! … Tu n’es qu’une putain de salope Damon et je ne veux plus avoir affaire à toi ! Jamais ! … Tu me dégoûtes et tu me donnes envie de gerber, casse-toi !
— Bébé, je t’en supplie, ne fait pas ça… Écoute-moi, s’il te plaît. Je…
— Barre-toi, je t’ai dit ! hurlai-je en le bousculant.
Réalisant que je ne céderai pas, il rend les armes. Il récupère ses affaires et me regarde une dernière fois, avant de partir nu et en bandant.