La pluie frappait l’armure de Vladimir. Quand elles ne passaient pas entre les plaques pour imbiber sa chemise, les gouttes percutaient le métal comme une multitude de petits tombours qui résonnaient à travers le corps du Drakès. Mais il n’y prêtait pas attention, ni à ce bruit habituel des batailles sous l’orage, ni aux filets d’eau glacés qui lui trempaient le dos entre ses ailes. Une dizaine de milliers d’années à se battre et il pensait, encore ce matin, avoir tout vu.
Une erreur terrible.
Car ce qui le rendait insensible au contact cinglant du vent sur le visage n’était pas l’accoutumance à l’inconfort. Non. Ce qui l’en empêchait, ce qui accaparait son attention, était cette vision cataclysmique qui s’étendait en dessous de lui.
– Mon chateau…, susurra t’il.
Vladimir volait sur place, le poing gauche serré sur le manche d’ivoire et de rubis de son sabre gainé. Bran, son domaine, le chef lieu de Transylvanie, brûlait sous ses yeux écarquillés. Rien ne subsistait de l’énorme édifice qui reignait sur cette partie du pays. Ses murs, d’une solidité trois fois supérieure aux protections Alvéas les plus épaisses, étaient éparpillés sur le sol comme les restes d’une cabane d’enfant détruite par le vent.
L’attaque avait été soudaine. Quelques instants plus tôt Vladimir s’entretenait avec Olh, son conseiller. Subitement une lumière pourpre avait envahi la demeure. Une énergie brulante, implacable. Puis un réflexe de survie. Maintenant, le Comte volait dans une nuit sans lune, les alentours uniquement éclairés par le feu qui léchait les cadavres de ses hommes. Qu’est ce qui pouvait faire de tels dégâts? Qu’est-ce qui pouvait passer sous la surveillance d’une centaine de Dissimulé entrainé? Et surtout, qui osait s’attaquer à lui, le puissant Vladimir Tepes dit “Drakula”, Comte des Drakès, Premier Contractant et Frère d’Averno?
Son coeur se serra, bel et bien capable, malgré les rumeurs, de ressentir la mort de ses proches. Les cadavres de son peuple, ses enfants, gisaient à terre. Quelques survivants hurlaient encore de douleur, condamnés par les flammes qui les dévoraient. Le Comte contracta la mâchoire. Il voulait descendre, les aider. Il voulait rejoindre ses sujets, ceux qu’il avait transformés, pour les libérer de leur agonie. Mais son corps ne répondait plus.
Il ferma les yeux, puis inspira, concentré en Kar Veri, à la recherche de ce qui le paralysait. Il se sonda, membre par membre, lentement, mais ne trouva rien. Il n’y avait ni magie, ni poison à l’oeuvre. Non, son estomac crispé, les frissons qui lui parcouraient l’échine, ses jambes flageolantes, prêtes à courir… Il avait peur.
– Impossible.
Ce jour là, plusieurs millénaires auparavant, il était devenu le monstre, celui que l’on craignait, le premier buveur de sang, le protecteur des Hommes et le tueur d’Alvéas. Dès lors, depuis le contrat et l’arrêt des battements de son coeur, il avait oublié ce qu’était la peur. Car il était l’Immortel, l’unique vrai immortel. Maintenant la terreur le saisissait de nouveau, comme si elle voulait rattraper ces années perdues. Et il tremblait comme un enfant.
Il souffla. De nouveau, il se concentra. Cette fois-ci, il porta son attention sur ce qui l’entourait. Quelque chose se cachait dans les ténèbres de la nuit, dissimulé par les nuages et la pluie. Quelque chose qui l’observait. Une présence discrète mais à la puissance bouleversante. Il frissonna.
Vladimir regarda sa main droite. Les gouttes d’eau constituaient une petite flaque dans le creux de sa paume qui, sous les tremblements, formait de minuscules vaguelettes. Les souvenirs de ses jeunes années lui traversèrent l’esprit, la troupe d’Averno, leur cause desespérée et leur ennemi si supérieur. Il se remémora la terreur des batailles perdues d’avance, le soulagement des victoires, le deuil…
Le Drakula ferma le poing. Il devait se reprendre, pour ses enfants, pour ceux qu’il avait juré de protéger dix milles ans auparavant.
Instantanément ses quatres ailes reptiliennes battèrent et le propulsèrent dans les cieux orageux. Les puissants courants d’air envoyaient des gerbes d’eau à travers la nuit tandis que la pluie gifflaient son visage.
Les quatres membranes irriguées de sang frappèrent une seconde fois. Le Comte rangea ses bras le long de son corps, le vent plaquait sa longue chevelure brune sur son crâne. Il rétracta ses ailes, augmentant la vitesse de sa course, et traversa l’orage sombre, trop rapide pour être gêné par la tempête.
Un troisième battement, l’immortel s’arrêta net. Il se redressa, stabilisé dans le ciel. Ses quatres ailes, chacune aussi grande qu’un homme, continuaient à frapper l’air, lentement. Vladimir dégaina son épée.
Au dessus d’une mer de nuage argenté, la lune pleine éclairait le ciel étoilé. Une vue spectaculaire où reignait un calme serein, contraste saisissante avec l’orage sombre d’en bas. Mais le Comte s’en fichait. Il écarta sa peur, le coeur dévoré par une haine infinie. Vladimir se vengerait, même s’il devait affronter le Créateur en personne.
– Montrez-vous! Je sais que vous êtes là… Je vous sens.
– Vraiment?
Le guerrier aux ailes de dragon se retourna rapidement. Il garda son air impassible malgré sa surprise. L’homme se tenait à une dizaine de pas mais Vladimir continuait de sentir une présence diffuse comme s’il était à plusieurs centaines de mètres de lui. Le Seigneur des Drakès entendait les battements de son coeur, sentait l’odeur de son sang et pourtant l’homme l’avait surpris. Puis il réalisa finalement: Il volait… sans ailes.
– Un Gavannien?
La silouhette noire secoua la tête.
– Non Vladimir… malheureusement pour toi.
Le corps du Drakès le suppliait de fuir, et il ne comprenait pas pourquoi. L’homme ne dégageait rien, aucune énergie, aucune magie, ni primordiale ni animiste. Même son sang… un sang à l’odeur classique, profondément humaine. Et pourtant, le Compte savait avoir en face de lui son adversaire le plus formidable.
Les ailes de Vladimir continuaient à battre, expulsant l’air dans un bruit sourd. Autour de lui, émanant de l’étranger, une puissance inquiétante vibra. Le Drakès serra la mâchoire, pointa son épée vers l’homme avant de se positionner en forme Un, puis demanda:
– Qui êtes vous? Pourquoi nous attaquer? Vous n’êtes pas un Alvéas, je le sentirai.
– Ni un démon…
L’étranger sembla hésité.
– Vladimir, je suis désolé. Je ne t’ai jamais haïs, au contraire. Mais tu es le seul immortel et tu es un obstacle… Je n’y prendrai aucun plaisir.
Se connaissaient-ils? L’immortel plissa les yeux, quelque chose dans sa mémoire, un souvenir ténu.
La silhouette avait disparu.
Le Comte se retourna mais un coup de pied au ventre le plia en deux et lui coupa le souffle. Quelle puissance… comme si une montagne lui tombait dessus. Il traversa le ciel sur plusieurs mètres, essayant de reprendre son équilibre. Mais, déjà, son ennemi se trouvait derrière lui et stoppa net sa course d’un second coup dans le dos. Trois côtes brisées, la douleur le déchira. L’homme le prit par les cheveux, inclina sa tête et le frappa du poing. Une attaque d’une violence inouie qui sonna le guerrier ailé. Alors l’étranger continua. Encore et encore. Chaque impact plus puissant que le précédent. Vladimir sentait la violence des chocs traverser son corps jusqu’aux pointes de ses ailes. Petit à petit, il perdait connaissance, incapable de frapper avec son épée. Il serait vaincu avant d’avoir pu se défendre.
Le regard émeraude, brillant dans la nuit, le fixait. Un regard d’une tristesse désespérée, une peine si profonde qu’elle était mère de folie. Vladimir connaissait ces yeux. Il se souvenait de ces iris au vert si prononcé qu’ils semblaient traverser ce qu’ils observaient.
Créateur, il connaissait ces yeux… Mais un voile recouvrait sa mémoire, un flou qui l’empêchait de reconnaitre son agresseur. Et étrangement il chérissait ce souvenir incomplet, comme un fils chérissait le souvenir de ses parents. Un sentiment inconcevable. Vladimir se concentra, combattant avec peine les ténèbres qui l’avalaient. Quelque chose n’allait pas, cet homme n’avait rien avoir avec sa famille, avec sa mère ou son père.
Alors les visages d’Olh, de ses amis, des Drakès qu’il avait engendrés traversèrent l’esprit du guerrier ailé. La vision de leur corps calcinés, l’écho de leurs cris… Il ne pouvait pas se laisser battre. Il les vengerait.
Le Comte hurla et, rassemblant toutes ses forces, frappa de ses quatres ailes. Son corps s’extirpa pour se projeter, hors d’atteinte de son agresseur. Derrière l’inconnu, un nuage de la taille d’un petit chateau explosa au contact de la bourrasque.
Le Seigneur Drakès se redressa et s’assura qu’il tenait bien son épée. L’un de ses yeux ne voyait plus et ce goût métallique… Il connaissait le goût du sang, oui, mais le sien…
Vladimir s’essuya la bouche et fixa l’inconnu. La lune l’éclairait par derrière, de tel sorte qu’il devenait difficile de distinguer ses traits, surtout avec l’oeil abimé du Drakès. Cependant, dans cette silhouette noire, deux yeux à la couleur émeraude brillaient d’un éclat surnaturel.
– Laisse tomber. Je peux écourter ce combat, t’éviter un minimum de souffrance.
Un rire sec secoua le Seigneur des Drakès. Un rire qui se transforma en un hurlement de frustration.
– Qui êtes vous? Je vous connais!
– Non, tu ne me connais pas. Mais ces yeux, tu devrais les reconnaitre.
L’homme pointait son index droit vers son visage, sans sourire. Puis, après un bref silence, il continua d’une voix étonnament douce.
– Ou peut-être pas. Quelque fois les immortels oublient. Un cadeau, sans nul doute.
“Les immortels?”. Vladimir écarta la question et se concentra. Il sourit, il avait gagné assez de temps. D’un souffle tremblant, il expira, transférant l’énergie de son corps dans son épée comme le Kar Veri enseignait. La lame s’illumina d’une teinte bleutée et vibra. Le guerrier ailée fixa son adversaire et serra la poignée de son sabre. Son corps frissonna tandis que son pouvoir le submergeait, le connectant avec son arme, l’air et les nuages en une harmonie complète. Il sentait les cieux répondre à ses appels, comme s’ils ne faisaient qu’un.
La puissance en lui ne demandait qu’à sortir… Et il la laissa.
Trois gigantesques tornades apparurent, illuminées de l’intérieurs par d’innombrables éclairs, qui se répandaient en de brèves mais incessantes toiles d’araignées. Un cataclysme de vent, de pluie et d’éléctricité se déchainait dans les cieux, au dessus des nuages. Un vacarme infernale de tonnerres et de hurlements venteux. Le tout sous le contrôle direct du Drakula.
Vladimir hurla de nouveau, expulsant hors de lui la haine, la colère et le désespoir dans la direction de son ennemi. Alors les trois cyclones déchainés foncèrent l’un vers l’autre, avec l’inconnu en leur centre. L’impact, terrible, décupla la violence des orages en un géant maelstrom gris et vorace, aspirant et annihilant ce qui l’entourait, faisant vibrer les os même de son maitre, le guerrier ailée. Il forma ensuite une sphère parfaite, gigantesque, comme si une boule de verre renfermait désormais le déluge apocalyptique qui tournoyait sur lui-même. Subitement, l’orbe de destruction explosa. L’onde de choc balaya les nuages aux alentours sur une dizaine de kilomètres. Seul le Drakula restait, planant dans l’espace dégagé.
Vladimir apercevait désormais les ruines de son chateau, les flammes, minuscules à cette distance, continuaient à le consummer. Son coeur se serra. Il souffla, plissant son oeil valide afin de distinguer le corps de son adversaire. Rien. Peut-être que son attaque l’avait désintégré…
Mais une main se posa sur son épaule.
Et le guerrier comprit qu’il était défait.
L’homme aux yeux verts tira l’aile d’une force terrible. La chaire de sa membrane se déchira comme du papier et ses os se brisèrent comme du vieux bois. Avant que Vladimir ait fini son premier hurlement, l’inconnu arrachait une seconde aile, puis cassait une troisième. L’inconnu au regard émeraude saisit finalement le Drakès par le coup et le jeta à travers les nuages. Le guerrier, à moitié conscient, traversa le ciel et percuta le sol, un millier de mètres plus bas. Une onde de choc, une douleur fulgurante, puis imperceptible.
Vladimir devinait avec peine la bordure du cratère dont il était au centre. Après un court instant, le son sourd d’un atterrissage résonna dans l’air, puis la voix du guerrier divin:
– Un jour tu comprendras Vladimir. Et ce jour-là, j’espère que tu me pardonneras.
La silhouette dégaina une épée. Une épée que l’immortel n’avait pas aperçut. L’homme s’approcha, posa la lame sur le cou du Roi des Drakès, Premier Contractant et Frère d’Averno, et frappa.
Hello
Un peu bizzare ton histoire. On reste sur sa fin car on n’a pas la solution. On ne sais ni le qui ni le pourquoi… A moins que tu aies prévu une suite ?
On voit que Vladimir se pense le seul Immortel, on lui dit "les immortels" ça l’étonne mais on n’a pas d’explications.
Tu utilise Drakul parfois et d’autres fois Drakès… Soucis de cohérence ?
Bon, désolé mais je ne suis pas conquis.
Hello Damien,
Merci pour ton commentaire! C’est cool d’avoir pris le temps d’en rédiger un, même si tu n’as pas apprécié le texte 🙂
Pour le point "Drakès/Drakul", effectivement c’est une petite erreur dans mon lore. Ca sera corrigé.
Sans vouloir argumenter, le texte est un extrait d’un plus gros manuscript. Plus exactement, il s’agit du prologue. Que lecteur reste sur sa fin afin de le pousser à vouloir en lire d’avantage était mon objectif. Mais c’est ma première fois et p-e est-ce maladroit!
D’accord, si c’est une intro c’est ok. J’avais l’impression que ce texte n’allait pas avoir de suite.