Elle s’est engagée sur la bretelle d’autoroute. C’est alors, qu’elle s’est demandé si elle n’avait pas laissé la lumière de chez elle allumée. Elle eut du mal à déglutir, tira sur sa ceinture et entrouvrit la fenêtre. De toute façon, elle n’allait pas faire demi-tour maintenant. Est-ce qu’elle l’avait laissée allumée, ou bien était-ce l’un de ces sentiments que l’on attrape quand on est pressé ? Pourtant, tout allait bien ce matin, rien d’anormal et donc aucune raison d’avoir commis une erreur. À part bien sûr ce petit retard qui n’en était pas vraiment. À peine une impression que le temps avançait plus vite que d’habitude, un léger sentiment que les gestes du quotidien travaillés au fil des années jusqu’à la perfection industrielle ne rentraient plus dans le temps imparti.
La lumière était certainement éteinte et pourtant, elle, elle la voyait clairement allumée. Elle voulut rire mais dans cette lumière il y avait le visage de son père, les sourcils froncés et la bouche remuant comme celle d’un automate.
– T’as maille oublié la lumière ! Comment veux-tu que j’te laisse seule ?
– Mais papa, c’est juste de la lumière.
– Juste de la lumière, juste de la lumière ! Tu sais combien ça coûte? Je travaille chez EDF moi !
Elle ne savait pas le chiffre exact mais elle savait qu’elle en train de la payer trop cher.
Autour d’elle, installés bien confortablement dans leur habitacle, les autres automobilistes n’avaient aucune idée que parmi s’en trouvait une qui roulait avec la lumière allumée chez elle. Eux conduisaient tranquillement. Son père non plus ne le savait pas, il menait sa vie, allant de pièce en pièce abaissant ou relevant les interrupteurs selon son besoin de lumière maintenant qu’il était à la retraite il pouvait bien se le permettre, mais elle ? Elle ne travaillait pas à l’EDF, elle était seulement prof. Ses élèves se préparaient à prendre le bus, mais que diraient-ils s’il savait quel genre de personne elle était ? Il n’y avait qu’elle qui sache. Que savait-elle au juste ? Pas grand-chose. En fait, elle ne savait pas si elle savait ou pas. La lumière était-elle éteinte ? Elle aurait pu essayer de faire comme les autres et prétendre ne pas savoir, s’en foutre mais elle savait ce qu’elle avait peut-être pas fait. Puis, elle a réalisé que les autres avaient certainement des problèmes eux aussi. Des choses dont elle ne se doutait pas, à leurs yeux elle avançait aussi égoïstement qu’eux vis-à-vis d’elle. Des problèmes certainement plus graves et qui la laissaient de marbre, bien à l’abri dans son habitacle ou derrière son bureau de prof. Ses ennuis à elle n’étaient pas grand-chose en fait, elle avait tort de s’en faire. Après tout, ce n’était pas comme si elle avait oublié l’eau ou le gaz. Le gaz, elle n’était pas prête de l’avoir, avec les remarques récurrentes sur sa maladresse et son manque de concentration qu’elle avait reçues, tout au long de son enfance, elle ne risquait pas de prendre le gaz. C’était au-dessus de ses forces. Certes l’électricité était plus chère, ce qui n’avait pas manqué d’énerver son père quand elle avait emménagé, mais elle préférait mettre le prix et vivre avec une chose en moins à penser.