Carnet de vie, de hasard et de voyage. 19

5 mins

Education sentimentale
Il y avait déjà quelques années que j’étais interne au lycée Descartes d’Alger, j’étais un ancien, enfin parmi les « petits » dont j’étais l’un des deux « meneurs » j’étais en classe de troisième, J’avais une copine et ce n’était pas la première. Je me sentais bien dans ma peau, même les « grands » me respectaient et me fréquentaient à l’occasion.
En fait les deux mondes étaient bien séparés, du point de vue géographique, les grands occupaient un bâtiment « la Ruche » éloigné sur la colline au-dessus de nous à « l’Oasis », séparé par une végétation dense et abondante de plus pour accéder à leur bâtiment il fallait passer devant celui des filles « le Nid ». Ils ne se mêlaient que très rarement de nos affaires et fréquentaient les filles « grandes », quand nous sortions avec celles du « Petit Nid » !
Le problème se posait cependant pour ceux ou celles qui étaient entre les deux mondes, position inconfortable où on est déjà plus un gosse et pas tout à fait un jeune homme ou une jeune femme.
Chez les garçons de l’Oasis, il y avait les puceaux et les autres ! En réalité, parmi nous très peu, sinon aucun n’avait « couché avec une fille » comme nous disions entre nous, mais ceux qui étaient informés de la sexualité, qui savaient donc « comment faire » étaient considérés comme l’ayant fait au bénéfice du doute ! Parmi la cinquantaine que nous étions il y en avait deux correspondants à la deuxième catégorie, une dizaine qui ne le revendiquait pas mais le laissait entendre, les autres étant dans le mauvais groupe.
Bien entendu la recherche de l’information, pour des jeunes garçons de parents divorcés pour la plupart, vivant séparés de leur famille et souvent de la fratrie, la seule source d’information sur ce domaine restait les confidences des deux affranchis.
Les deux phénomènes, conscients de leur pouvoir et de leur importance, ne délivraient leur enseignement que par bribes et devant un auditoire choisi.
Pour ma part étant en couple et de surcroît, meneur, j’étais réputé être un initié, cependant je ne faisais pas étalage de ma science, et pour cause je n’en avais pas ! A part quelques séances de touche pipi à 8 ans et une expérience d’onanisme homosexuelle vers 11ans, mes connaissances de la femme et de l’acte sexuel hétéro étaient proches du néant ! Pour être tout à fait franc, mes copines me laissaient parfois toucher leurs seins mais toujours à travers le tissu et sans jamais les voir, une m’avait laissé glisser la main dans son slip après une âpre négociation mais avait changé d’avis dès que le bout de mes doigts avait atteint sa toison !
L’internat était un milieu social conservateur, cruel et impitoyable, malheur à qui avait une réputation, elle se conservait jusqu’au départ définitif de l’établissement, aussi les filles, même les plus délurées, réservaient leurs excès pour les vacances en France, soucieuses de leur image locale.
Nous consultions aussi, discrètement, à la bibliothèque les livres médicaux, je me souviens d’être resté perplexe devant le schéma de l’appareil reproducteur féminin en essayant de l’imaginer in situ !
J’étais romantique et les notions de clitoris, vagin, petites et grosses lèvres me semblaient réservées à la pornographie.
Parmi les filles chez les grandes, il y avait des femmes, du moins ce que nous considérions ainsi, allure moderne, corps développés, à l’aise dans leur comportement, elles sortaient avec des terminales et elles étaient pour nous des fantasmes inatteignables semblables à des stars de cinéma.
Parmi elles, une nouvelle arrivante de France, une « française » comme nous disions, châtain très clair, de taille moyenne cheveux longs ondulés, de belles formes sans excès, toujours vêtue de jean et de petit chemisier, à 15 ans elle était à mille lieues des filles de l’internat, libre et joyeuse, elle sortait avec le leader des « grands » au look de Jim MORISSON, une icône que je regardais mais pour laquelle je n’avais aucune pensée, pas plus que pour la Joconde !
Après les vacances de Pâques, j’étais resté avec quelques camarades « sans famille » à l’internat pendant cette période je mis fin à ma relation avec mon amie d’alors, sentant monter en moi un vent nouveau, il faisait beau et chaud et nous avions l’après-midi quartier libre, j’avais pris plaisir lors de cette période pascale de prendre le soleil,  torse nu vers le sommet de la colline qui supportait l’établissement près d’un petit bâtiment en préfabriqué qui servait parfois pour les cours dit de travaux manuels, où il y avait aussi le dessin et la musique.
A la reprise des cours, dès que mon emploi du temps m’en donnait l’occasion je continuais d’y aller. Florence c’était son prénom, vint un jour prendre le soleil et flirter avec le sosie du leader des The Doors, non loin de moi.
A l’époque j’étais un garçon discret, et je fis le nécessaire, abandonnant mon meilleur emplacement à regret pour ne pas les gêner en gardant une distance adéquate.
Ils vinrent plusieurs fois, puis elle vint seule, confirmant la rumeur de l’internat, que notre rocker s’était fait jeter par la dame pour une raison ignorée. Je réintégrais donc mon emplacement préféré puisqu’il n’y avait plus d’intimité à respecter. Un après-midi elle vint avec aisance s’installer près de moi en me demandant si cela ne me dérangeait pas, comme si j’aurais pu répondre non ! Bien sûr de ma part, à ce moment-là il m’était impossible d’imaginer quoi que ce soit entre nous, comme pour une voiture d’emprunter la voie ferrée, elle était drôle et moi disert, nous avons bien ri ensemble ce jour-là.
Naturellement, nos expositions solaires se firent désormais côte à côte et notre complicité augmenta au point qu’elle me dit tout à trac un après-midi : « Tu veux sortir avec moi ? » et, sans me laisser répondre m’embrassa sur la bouche.
Bien sûr depuis quelques temps je ne la regardais plus comme une icône et je me surprenais à envisager une relation. J’allais sur la fin de mes 14 ans, elle sur le début de ses 16 ans, ce qui était un gouffre temporel, je n’avais pas pris en compte, le changement de mon corps qui était devenu celui d’un jeune homme, mon esprit était encore sur celui d’un adolescent.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, Gégé, comme m’appelaient les occupants de l’Oasis, sortait avec Florence ! Le patron de l’Oasis était en couple avec l’ex du caïd de la Ruche ! Ma notoriété grimpa au firmament. Ce fut des mois extraordinaires, partout je passais avec elle à mon bras, en permanence sur mon nuage, je côtoyais une sainte relique que je vénérais béat et amoureux transi, sa seule présence à mes côtés suffisait à me combler.
Je sentais bien qu’elle attendait de moi quelque chose, mais j’étais éperdu d’admiration, on ne pose pas les mains sur la Madone !
Vers la fin de l’année scolaire elle me donna rendez-vous à l’endroit de notre premier baiser, c’était une fille vraiment généreuse et intelligente, elle me prit la main et m’expliqua, avec douceur, comme on le fait avec un enfant, qu’elle me trouvait beau que je lui plaisais que j’étais un garçon agréable mais que je n’étais pas ce qu’elle attendait, en quelques mots avec tact, elle m’expliqua ce que devait être un homme avec une femme, certes respectueux et aimant mais pas « que », et  qu’être « gentil » n’était pas suffisant, et qu’on devait se quitter.
Je tombais du nuage ! Mais ces paroles et ces explications me firent atterrir en douceur chez les hommes, la leçon qu’elle me donna ce jour-là ne fut jamais oublié, elle constitua mon éducation sentimentale et désormais j’ai regardé mes compagnes suivantes comme des icônes mais je les ai toujours traitées comme des femmes…

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