Carnet de vie, de hasard et de voyage 28

5 mins

La fête de la Bière
14 OCTOBRE 2010
C’est la veille du grand jour, la fête de la bière, les préparatifs vont bon train, sur la plage de LOME face à l’ancienne Assemblée Nationale Togolaise, l’enclos de la manifestation est en construction.
Nous participons activement à sa conception puisque c’est nous qui en assurons la sécurité et surtout le contrôle d’accès.
Je rencontre le responsable de la police qui mobilisera de 20 à 30 personnes dont une brigade à cheval, pour épauler mon service de sécurité.
La fête de la bière ! Imaginez une immense plage d’atlantique, à perte d’horizon, avec un sable jaune, presque doré, d’énormes rouleaux arrivant en permanence sur le rivage avec fracas, une langue de sable de 800m de largeur, longée par l’axe routier principal du pays qui relie le Ghana au Bénin et qui traverse Lomé capitale du Togo.
A quelques mètres du ruban d’asphalte, une bande de cocotiers serrés sur une largeur de 20m, suit la route et procure un havre d’ombre bienvenu parmi la fournaise dégagée par le soleil et la réverbération du sable.
La fête de la bière c’est un immense enclos rectangulaire construit, de la taille de 4 terrains de football, entouré de stands abritant vendeurs de bière et de nourriture locale ainsi que de grandes entreprises comme Total, la société de gaz locale, les grandes banques africaines et nous, modeste entreprise de sécurité.
Ici pas de barrières Vauban, pas de clôture de chantier en grillage, tout est fait local à base de tronc de palmiers et de bois tressé.
La bière, outre d’y être vendue à profusion, est moins chère qu’en ville ce qui ici, a un attrait irrésistible. Hommes femmes et parfois enfants y courent, assiégeant notre citadelle en feuilles de palme, chaleur et alcool pas cher suffisant à nous fabriquer un cocktail local détonant. Ah j’oubliais, l’éclairage de cette enceinte tient plus du cagibi que du stade de foot !
Contrôle aux entrées et sorties, fouille, maintien de l’ordre, c’est vraiment une vraie gageure ! Ici je crée l’événement car je suis en tenue comme les agents et j’officie comme eux, soit aux entrées, soit en patrouille d’intervention. Le « YOVO » comme ils m’appellent c’est-à-dire le « blanc », vu que des blancs qui font la sécurité dans le pays ça n’existent pas, ne chôme pas : bagarres, disputes, problèmes, agressions et altercations se succèdent à un rythme effréné : quel beau pays, je me régale !
Le Togolais est un garçon largement aussi con quand il est ivre que n’importe quel autre personnage, mais il a un gros avantage, la tension redescendue et même si les coups se sont échangés, les excuses et les regrets sont exprimés illico et la volonté de s’amuser l’emporte sur la violence.
Après 16 heures de confrontation, nous rentrons au fin fond de Lomé trouver un sommeil réparateur pour remettre ça encore et encore, cette petite sauterie a une durée de 10 jours quand même !

Évacuation
24 Octobre
C’est le dernier Dimanche de la Fête, c’est le plus dur, le jour se lève, comme à l’accoutumée je somnole dans le marais de mes draps trempés de ma sueur il est aux alentours de 6h. Un gros bruit sourd me réveille, c’est un mur qui est tombé, l’étage de mon logement est en construction « permanente » comme 99% des maisons ici, et le gros œuvre est souvent bâclé, trop de sable dans le béton, absence d’attache des cloisons sur les poteaux.
Je bascule en caleçon et en « marcel » dans le drame made in Africa, sous un mur écroulé, mon gardien de nuit père de trois enfants.
Pas de pompiers, il nous faut le dégager et le transporter à l’abri sans le blesser davantage avec les moyens du bord, une chaise plastique servant de gouttière et une natte en guise de coquille. Il est conscient, il a très mal et semble incapable de bouger il a plusieurs plaies sur le corps, les membres et la tête, au moment de l’accident il était en short, torse nu et en tong.
On appelle un de nos chauffeurs avec un véhicule plateau pour pouvoir le transporter et des bras pour le mettre dans la voiture sans trop de casse. Je conduis et c’est une mission impossible d’éviter les secousses et les cahots sur des pistes défoncées ! Il est 08H quand nous arrivons à la clinique privée locale avec laquelle nous avons un contrat de soins pour nos agents.
Après des multiples radios et un diagnostic manuel, notre homme n’a pas de blessures irrémédiables, ouf !
Aujourd’hui c’est une grosse journée de la fête de la bière, d’abord parce que traditionnellement le dimanche, la foule qui vient sur la plage pour déjeuner sur le sable et rarement pour se baigner car les rouleaux sont énormes, investit la fête, ce qui rajoute à la fréquentation normale des amateurs de mousse.
Ensuite il y a un concours de groupes traditionnels de chanteurs et de danseurs, sorte de mélange d’orphéon et de majorettes, représentant une région ou un quartier ce qui attire encore une foule énorme, enfin il y a des célébrités locales et un feu d’artifice : chose extrêmement rare à Lomé. En bref une « Closing party » explosive qui réunit au moins 30000 personnes.
Vers 20H quand ils sont ivres, gavés de bières, ici les bouteilles individuelles font 75cl, et de danse, quelques hordes barbares hommes et femmes n’ont de cesse que de vider, non plus leur canette mais leur vessie ! A ce moment, ils sont irrémédiablement attirés vers les deux sorties qui donnent vers la mer et ils viennent buter sur notre dispositif chargé justement d’en empêcher l’accès.
Horions, cris, supplications, injures, postillons, exhibition des organes, passage en force et à l’acte, mettent à rude épreuve nos agents pendant de longues heures. Côté entrées sorties, c’est l’assaut par vagues serrées, tout Lomé veut prendre son ticket pour le paradis du malt.
Pour ma part, je gère l’installation du tir de feu d’artifice sur la plage à l’extérieur de l’enceinte, avec quatre agents au milieu d’une foule de promeneurs inconscients du danger.
La nuit est tombée, la mer déchaînée ce soir arrive presque jusqu’à notre enceinte, le pauvre artificier venu du Burkina ne fait que déplacer son dispositif. Soudain un orage violent et long éclate, nous sommes trempés, le courant est coupé il n’y a pas de lumière et la foule devient folle, sans musique à la voix et aux cris tout le monde danse sous la pluie.
Je suis seul avec mes quatre garçons sur l’immense plage de Lomé, la pluie a cessé il fait une belle nuit étoilée, les artificiers s’activent à faire un montage de fortune en moins d’une heure pour tirer un semblant de feu, au top départ, les fusées partent à quelques mètres de moi  et explosent dans le ciel lavé par les ondées, au-dessus de ma tête,  Je me sens alors étrangement apaisé sous les clameurs de plaisir de la foule, les détonations et l’odeur de poudre  du tir et le fracas des vagues accompagnés des fragrances d’iode.

Il est une heure, la Jeep saute d’un trou à l’autre, nous rentrons épuisés et sereins, je sais pour ma part que cet intermède se termine et que bientôt dans quelques jours, je vais devoir affronter la réalité, et ça, dans la douceur de la nuit Togolaise, je n’ai vraiment pas hâte que ça arrive !

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