PROLOGUE
Les branches de l’Arboris étaient nues. Ses feuilles parsemaient le toit du cabanon construit autour de son tronc et l’herbe à proximité. Du haut de la colline, le vieux Synergien ne pouvait s’empêcher de voir dans ce patchwork de couleurs chaudes réconfortantes, au milieu de la prairie verdie par les pluies récentes, une approbation qu’il avait fait ce qu’il fallait, que l’Objimel du Choix était en sécurité, comme si la beauté d’un paysage présageait une bonne nouvelle. Non, Antor n’était pas naïf, il avait besoin de laisser de côté ses préoccupations avant de retrouver sa petite-fille, et il était prêt à se convaincre par n’importe quel moyen qu’à son retour tout irait bien, que la menace sur Jolus serait vite écartée.
Antor parcourut les quelques B˘Oranas jusqu’au cabanon ne pensant qu’à Tilia. Il reverrouilla derrière lui, suspendit la clé au crochet, puis pénétra sans attendre dans l’arbre où la fraicheur boisée des Portails Arboris l’accueillit. Avant d’avancer dans son obscurité atypique, un noir à la fois pur et scintillant, il inspira un grand coup et écouta les murmures et l’agitation des insectes du sol se réverbérant dans le passage.
Serein, Antor fit deux pas et émergea en Angleterre. Les rayons d’un soleil chaud s’infiltraient à travers les planches de l’abri sécurisant l’accès au Portail. Du jardin provenait une voix chantante. Il ôta, en souriant, sa veste. Se préparant à sortir, il buta contre un pot en terre cuite. À sa dernière visite, il s’était pris les pieds dans un arrosoir. C’était à se demander si sa fille ne faisait pas exprès de laisser traîner des objets pour qu’ils puissent annoncer sa venue.
Le bruit semblait avoir passé inaperçu, il éloigna les débris, sortit et partit dans la direction des chants, vers le verger.
Dès qu’elle l’aperçut, sa petite-fille courut lui sauter au cou :
— Grand-Père ! Tu es là ! Tu m’as manqué !
— Toi aussi tu m’as manqué ! Alors, on fête tes 12 ans aujourd’hui ?
— Mais non, Grand-Père, pas 12 ! 8 ans !
— Bien sûr, suis-je bête, si c’était 12 ans, tu ne voudrais plus que je te serre fort, comme ça, contre moi !
Tilia rit, puis elle se frotta le torse :
— Aïe, tu as quoi sous ton t-shirt ?
Antor la déposa à terre et, après une infime hésitation, tira vers l’extérieur la chaîne autour de son cou :
— Un pendentif.
— On dirait un livre minuscule.
— C’en est un, regarde. Il contient de courts récits, un peu comme les miens.
— C’est vraiment écrit tout petit. Tu arrives à les lire, toi ?
— Pas avec mes yeux de papi, non.
— Dommage.
— Tu sais bien que je n’ai pas besoin d’un livre pour te conter des histoires, lui rappela-t-il en se redressant et en rangeant l’objet marron orné d’un arbre sous son t-shirt. D’ailleurs, qui dit jour exceptionnel, dit récit et cadeau exceptionnels ! Allons nous asseoir sur notre banc.
Main dans la main, ils se rendirent sous le pommier où il lui mimait des aventures depuis toute petite. Habitude qu’il se faisait d’autant plus une joie d’entretenir, que c’était sa seule possibilité de lui faire découvrir son monde.
Antor lui tourna le dos, fouilla dans une de ses poches et se retourna :
— Quelle main ?
— Grand-Père ! Je suis trop grande pour ce jeu.
— Ce n’est pas un jeu. C’est ton cadeau !
Tilia fit une moue incertaine avant de céder et de choisir une des deux mains. Antor déplia ses doigts et révéla une pierre ovale en quartz vert, éblouissante à la lumière.
— Cette Aventurine contient un vœu. Elle peut te faire apparaître n’importe quel animal.
— Un vrai ?
— Tu verras.
— OK, je voudrais… un loup blanc !
— Très bon choix ! Ferme tes yeux et compte lentement jusqu’à trois.
— Un… deux… trois.
Tilia les rouvrit, et son regard suivit celui de son grand-père. Au loin, entre les arbres, une forme blanche se déplaçait. Ni réel ni irréel.
Époustouflée, elle se leva du banc pour mieux l’observer.
— Je t’ai déjà raconté l’histoire du loup acrobate ?
Tilia secoua la tête.
— Il était une fois un loup blanc particulièrement agile, mais frêle, vivant dans une forêt inhabituelle. Au sein d’un environnement où les plantes pouvaient, pour s’amuser, vous chatouiller les pieds ou, pour vous importuner, vous barrer le chemin, savoir pirouetter en l’air et avancer sur deux de ses pattes étaient un atout…
Le loup exécuta les deux acrobaties sous le regard illuminé de Tilia.
— … Un atout que Mano, notre loup blanc, gardait pour lui. Dans son clan, c’était la force qui primait. En étant dépourvu, il veillait à rester discret, à se faire oublier pour ne pas être rejeté…
Les traits du loup s’atténuèrent tandis qu’il reculait derrière un buisson.
— … Pourtant, lorsque la forêt s’est agitée pendant des semaines à cause d’une tempête, ce n’est pas la force qui a sauvé le clan de la faim !
— C’est Mano ?
— C’est Mano ! En effet, les loups étaient incapables de suivre leurs proies entre les plantes mouvantes et affolées. Ils n’avaient pas fait dix B˘O… je veux dire mètres qu’ils étaient prisonniers des feuillages. Au bout de quelques jours, ne voyant pas d’autres solutions, Mano a pris son courage à deux pattes : il s’est levé discrètement et s’est faufilé dans la forêt à coup de voltiges pour ramener vers le clan leur repas. Fort de son succès, il recommença les soirs suivants tout en s’assurant ne pas être vu. Toutefois le regard de ses camarades se faisait de plus en plus suspicieux. Il prit donc la décision de cesser son activité pour garder son anonymat et ainsi sa sécurité dans le clan. Mais ce jour-là, à la nuit tombante, plus les heures passaient, plus les autres loups se tournaient vers lui.
Son grand-père se leva subitement en criant : Soudain !
Tilia sursauta. Tous deux rirent, puis il se pencha vers elle en chuchotant :
— Soudain, l’un d’entre eux fit une roulade au sol vers lui avant de l’encourager en le poussant du museau vers les arbres !
— Je le savais ! Je savais qu’ils le garderaient, s’exclama, Tilia, enthousiaste, lui aussi il est fort !
— Tout le monde peut toujours aider, acquiesça Antor.
Le loup ni réel ni irréel fit un double salto, puis disparut.
— Il est où ?
— Le récit est terminé. Il est parti.
— Comment as-tu fait ?
— Je n’y suis pour rien, c’est l’Aventurine, tu te souviens ? rappela-t-il avec un grand sourire avant d’ajouter : haha, pas mal mon histoire aujourd’hui, hein ? Je me suis dit que l’agrémenter d’un petit tour de magie était de rigueur en ce jour exceptionnel ! Elle t’a plu ?
Tilia acquiesça, les yeux pétillants.
— Et si on la gardait pour nous celle-là ? Pas un mot à ta maman, d’accord ?
— D’accord !
Antor la serra fort contre lui, plus fort encore que d’habitude, comme s’il pressentait que c’était la dernière fois avant très longtemps.
***
Myrcella déroula la missive apportée à l’instant par un Magnétocriquet : Antor Adluck à faire parler. Palais des Synergies. Ce soir, 20 h. M.
Le facsimilé de l’Objimel du Choix devait être prêt. Il ne restait plus, au Maître-Ombre, qu’à mettre la main sur l’original.
Myrcella soupira. Sans aucun doute, il la conviait pour faire appel à son don d’Entravera, non pour ses griffes qui n’avaient pas servi depuis longtemps et qui la démangeaient.
Elle les aiguisera quand même avant de partir.
Au cas où !
CHAPITRE 1
Huit ans plus tard.
Emmitouflée sous sa couette, Tilia hésitait à sortir son bras dans la fraîcheur de la pièce pour mettre fin au grondement de son réveil sur le plancher.
Le bout de son nez était gelé, le haut de ses joues glacé et, à chaque expiration, un petit brouillard se créait au-dessus d’elle. Pourtant, elle ne regrettait pas d’avoir investi le grenier quatre ans plus tôt. Sortir du lit l’hiver n’était tout simplement pas toujours évident. Surtout dans le Wisconsin où les températures tournaient autour des -15 °C.
La lumière du jour s’insinua dans la chambre à travers les rideaux et éclaira un peu plus, d’instant en instant, les murs recouverts de croquis. Prenant conscience que la lueur était voilée, Tilia se souvint, il devait neiger au petit matin.
Elle éteignit son réveil et tendit l’oreille. Au loin, elle perçut le ronronnement des déneigeuses électriques utilisées par certains voisins pour rendre leur allée praticable et, plus près, le son des pelles s’enfonçant dans le duvet neigeux.
Tilia repoussa sa couette, sauta sur les lattes froides, et se dirigea vers la lucarne ovale donnant sur le devant de la maison.
Un manteau blanc recouvrait de nouveau Shorewood Hills !
De larges flocons cotonneux tombaient abondamment du ciel et se posaient sur l’épaisse couche de neige au sol. Au loin, le paysage s’estompait et disparaissait dans la brume. Seules les silhouettes sombres des grands arbres du quartier étaient encore visibles, s’imprimant en ombres chinoises sur l’horizon. Vu d’en haut, le monde d’en bas était figé, hors du temps, comme une boule souvenir que l’on aurait retournée.
Tilia se laissa envahir par le sentiment de sérénité que lui procurait ce paysage, puis elle se représenta les traits à esquisser pour transposer la scène sur du papier : les ondulations de la neige, les arbres alourdis, les maisons paisibles, la quiétude, le silence. Quand tout fut reproduit, elle ferma les yeux, observa sa création, et sourit. C’était ainsi qu’elle aimait se souvenir des choses. Désormais, son dessin serait gravé dans son esprit. Un de plus parmi des milliers d’autres déjà réalisés.
La porte d’entrée claqua. Une pelle se mit à s’activer en contrebas. Sur la pointe des pieds, elle chercha qui s’était dévoué pour dégager le chemin menant au portillon. Le bonnet de son père apparut, puis peu à peu son manteau tandis qu’il avançait à un rythme régulier. Il atteignait le chêne quand un écureuil bondit d’une branche et projeta en l’air un petit paquet de neige qui lui retomba sur le dos.
Étonné, il se redressa.
Son incompréhension la fit rire. Elle ouvrit la lucarne, complimenta le rongeur, et adressa un clin d’œil espiègle à son père avant de rabattre d’un coup la fenêtre : sa boule de neige s’écrasa de justesse sur la vitre.
Tilia allait riposter quand elle entendit, à l’étage du dessous, sa mère presser son frère et sa sœur de s’habiller.
Elle avait suffisamment traîné. Elle devait se dépêcher ou elle allait finir par être en retard en cours.
« Quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes », répétait souvent son grand-père lorsqu’elle était petite. Le cœur serré par ce souvenir, Tilia sourit malgré tout tandis qu’elle sortait d’un pas rapide du lycée. Elle devait repasser chez elle, avant de se rendre à son atelier croquis, pour récupérer son carton à dessin, oublié ce matin dans sa hâte.
Au fur et à mesure que les lycéens empruntaient différents chemins à travers Shorewood Hills, le brouhaha des conversations s’estompait autour d’elle.
Il avait cessé de neiger. Le ciel, recouvert d’un fin voile gris, était percé par intermittence par des rayons de soleil qui faisaient miroiter le beau manteau blanc de l’hiver. C’était un vrai plaisir pour ses yeux. Chaque saison dans ce quartier, bâti sur une colline au milieu d’une forêt, l’inspirait, le printemps avec les fleurs blanches et roses des magnolias, l’été avec sa grande diversité d’oiseaux colorés, ou encore l’automne avec la multitude de teintes prises par les feuilles d’érable.
Tilia bifurqua dans Circle Trees, son impasse.
Lorsqu’elle ressortit son carton sous le bras, elle marqua un temps d’arrêt. Une épaisse couche de nuages noirs avait fait tomber un voile d’obscurité sur la rue. Un vent soufflant en rafales avait pris le dessus sur le tourbillonnement au sol des fines pellicules de neige.
Tilia resserra son écharpe et rabattit sa capuche sur sa tête avant de quitter le perron. Son professeur de dessin n’habitait qu’à quelques blocs. Elle serait bientôt à l’abri.
Au croisement de son impasse avec Blackowl Drive, l’arbre aux multiples branches crochues s’agitait, mû par le vent, comme s’il voulait s’échapper de sa prison de béton. Sur le bas-côté, des monticules de neige se formaient, puis se désagrégeaient. Autour d’elle, la pénombre s’intensifiait et des grondements orageux se réverbéraient entre les maisons.
Tout à coup, un éclair très proche l’aveugla, puis un second qui traversa l’air dans un tonnerre assourdissant jusqu’au sapin de M. Smith, à deux mètres d’elle.
Effrayée, elle glissa sur le bord du trottoir.
La neige avait amorti sa chute, mais Tilia était sonnée et… confuse. Le conifère était intact, dépourvu de traces de brûlure.
En fait, tout semblait normal dans Blackowl Drive, comme si rien ne s’était passé. Dans le ciel, les nuages noirs s’éloignaient déjà et, avec eux, le vent furieux. Seul détail incongru : sa pochette à dessin plantée dans la neige, le portrait au fusain de son grand-père s’en échappant à moitié.
Elle l’avait tracé il y a longtemps de cela, tel qu’il était la dernière fois qu’elle l’avait vu. Les traits du croquis étaient maladroits, mais elle y tenait beaucoup, c’était son unique portrait de lui. Leurs albums photos n’en contenaient aucune de son grand-père, comme de toute la famille de sa mère d’ailleurs.
Sa gorge se serra. Tous ses moments passés avec lui n’étaient plus que des images estompées. Elle donnerait tout pour, à nouveau, le voir apparaître de façon inattendue dans le jardin d’Angleterre, l’entendre conter ses histoires merveilleuses inspirées de sa vie et embellies par son imagination, ou le regarder sous le pommier mimer les aventures de ses personnages extraordinaires en faisant de grands gestes.
— Non ! Non, non, non !
Tilia se releva précipitamment. Son croquis était en train de s’imprégner d’eau. La feuille de dessin venait de s’affaisser sur le côté.
— Non ! Je ne veux pas te perdre encore une fois ! s’écria-t-elle en glissant ses mains sous le papier pour le soutenir.
Trop tard ! Il se déchira à son contact le long de la pochette.
La vue brouillée par les larmes, Tilia attrapa le bout de son écharpe pour tamponner avec précaution ce qu’il lui restait à sauver, mais le tissu était imperméable, il n’absorbait rien, et le fusain continuait de se diluer. Bientôt les lignes seraient illisibles.
Instinctivement, elle les retraça dans son esprit.
Trait après trait, le haut du visage de celui qui l’avait rendue si heureuse, et qui avait disparu trop vite de sa vie, se dessina à mesure que sa version papier s’envolait.
Sa main se replia sur la feuille. Tandis que des gouttes charbonneuses tombaient dans la neige, elle compléta et affina les traits de son croquis. Insatisfaite, elle en effaça certains, en modifia d’autres, revint sur quelques-uns, en changea l’épaisseur, les nuances, les ombres… jusqu’à se forcer à arrêter. Tilia essuya ses larmes, et, avec une pensée pour son grand-père qu’elle souhaitait près d’elle, envoya son portrait rejoindre le paysage enneigé. Au lieu de cela, il s’afficha devant elle, ou plutôt partout où elle regardait sans qu’elle ne puisse rien y faire, comme lorsqu’une image trop lumineuse reste imprégnée dans la rétine.
Déconcertée, Tilia ferma les yeux, et tressaillit de surprise quand un chasse-neige rompit brusquement le calme de Blackowl Drive, tandis qu’il traversait bruyamment la rue du dessus.
« Oléa merci, on m’a retrouvé, je n’y croyais plus ! »
Au son de cette voix familière, Tilia se retourna et se pétrifia à la vue de ce qui ne pouvait pas exister et qui venait de parler.
OK ! Ne paniquons pas ! J’ai dû recevoir une partie de la décharge électrique de l’éclair, et je suis… en train d’halluciner. Voilà c’est ça, une hallucination, juste une hallucination !
C’était la seule explication à la présence, en lévitation au-dessus du sol, de l’amas animé de traits formant un portrait identique, et cette fois tangible, à celui représenté dans son esprit et qui, elle s’en rendait compte maintenant, n’était plus imprégné dans sa rétine.
— Tilia, c’est toi ? Par toutes les planètes du cosmos, comme tu as grandi, comme tu ressembles à ta mère !
Le dessin-flottant se rapprocha, et lui prit la main. Tout du moins, il essaya. Déconcerté, il baissa la tête vers le bas de son corps inexistant.
— Un instant, j’ai cru réellement être sorti de ce cauchemar, confia-t-il, abattu, avant de regarder tout autour de lui…
Sous les rayons du soleil, traversant les nuages, chaque trait de crayon en suspension émettait un léger scintillement orange.
— … Qui s’est chargé du dessin ?
— Hum… c’est… moi, indiqua Tilia.
— Tu es à l’origine de mon apparition ? lâcha-t-il, époustouflé.
Tilia fut envahie par le même plaisir que lorsque son grand-père, petite, s’émerveillait de sa créativité.
— Tu es une Crea Dessinea bien puissante, ma petite-fille ! Serait-il possible que…
— Grand-Pè… Euh je veux dire… Chose, tout ceci est complètement insensé et irréel. Je vais faire comme si vous n’étiez pas là et retourner chez moi.
Derrière elle, le dessin-flottant marmonnait en la suivant :
Insensé et irréel… Elle n’a donc aucune idée de ce qu’elle a réalisé… par Oléa, si c’est une première fois, on n’a plus beaucoup de temps !
Il la rejoignit et lui bloqua la route :
— Tilia, écoute, c’est bien moi, ton grand-père, et c’est très important : je ne sais pas où je suis emprisonné, mais Perséphone à 10 heures flamboie…
Ses traits s’estompaient et sa voix, entrecoupée, commençait à se faire de plus en plus lointaine.
— … Alphin… Storiain…
Il n’eut pas le temps d’en dire plus.
Ses derniers pourtours se dissipèrent.
***
Tout semblait de nouveau normal en cette fin d’après-midi dans Blackowl Drive. Seul détail incongru, l’homme caché derrière l’arbre au croisement avec Circle Trees.
L’homme, un étranger, était arrivé plus tôt dans la journée, avec une idée oppressante en tête. À proximité du sapin de la maison aux volets verts, il devait viréaliser secrètement vers la jeune fille de la photo pour qu’elle ressente une forte émotion.
Quand l’étranger avait envisagé de résister à cette volonté qui s’imposait à la sienne, une douleur foudroyante, accompagnée d’un murmure lointain, lui avait traversé la tête ; une souffrance telle qu’elle donnait l’impression de pouvoir en mourir. De même lorsqu’il avait voulu partir. Aussi, il avait dû se rendre à l’évidence : il ne pouvait faire autrement que d’accomplir ce qui lui était ordonné.
L’arrivée de gros nuages noirs obscurcissant le ciel lui avait procuré une idée de Viréal adéquat : un orage.
L’étranger était un Crea Illusia. Il avait donné à la jeune fille l’illusion de grondements au-dessus d’elle quand elle l’avait dépassé, d’un éclair à proximité tandis qu’elle avançait vers le sapin, puis celle de la foudre tombant devant elle.
Lorsque le portrait du Synergien Antor Adluck était apparu, l’Illusia avait voulu s’en approcher, mais la douleur l’avait aussitôt transpercé. Terrible. Insoutenable.
À présent, il avait disparu.
Les sourcils froncés, l’étranger regarda la jeune fille une dernière fois. Puis, après avoir vérifié que personne ne pouvait le voir, il s’éclipsa à travers l’arbre, ne laissant derrière lui qu’un léger scintillement vert sur l’écorce.
Derrière l’un des rideaux de la maison au sapin qui, pour Tilia, avait été foudroyé, l’agent du Maître-Ombre, responsable de sa surveillance depuis deux ans, avait observé toute la scène.
Il était satisfait du travail de l’Illusia. Il ne savait pas quelle avait été l’illusion, mais cela avait fonctionné. Tilia avait usé de son don, un don puissant ! Mais, était-elle celle que recherchait le Maître-Ombre ?
Peu importe, il était content que sa mission sur Terre soit enfin terminée.