XI
Sorn et ses compagnons touchaient au but. Après avoir fait route jusqu’au premier lieu civilisé avec Mira et les Ombres, la troupe c’était séparée, chacun traçant un nouveau cap. Port-Blanc s’élevait de nouveau devant l’apprenti-chevalier. Cette fois-ci, c’est depuis les hauteurs de son équidé qu’il ferait une entrée triomphale. La petite boule était serrée contre son torse. Sa rondeur promettait la gloire, une nouvelle vie. Il souriait tout seul en songeant à tous ces changements. La plèbe avait beau s’agiter en tous sens, Sorn n’entendait rien de plus que sa propre excitation. Les derniers mètres qui le séparaient encore de l’Académie étaient éternels. Ils finirent par mettre pieds à terre. Harold, Ela et Umuss laissèrent Sorn cueillir le fruit de sa victoire seul. Harold s’alluma une pipe et pris place à même les marches de l’Académie. Umuss comptait les passants. Il n’avait jamais mis les pieds dans une aussi grande ville. Ela, elle, cherchait des yeux ce qu’elle ne voulait pas voir.
– Ela, je te sens tendue depuis notre arrivée. Il y a quelque chose ?
– Non, rien.
– Tu vois que tu peux me faire confiance maintenant. Notre futur chevalier est revenu avec l’Orbe.
– En effet.
– J’aime nos conversations profondes, ronchonna Harold.
Il fallut un moment avant que la guerrière ne vît ce qu’elle redoutait. Un homme dans un coin lui fit un petit signe de la main. Son échine vibra.
Sorn lui gravissait les étages jusqu’au bureau d’Archibald Consensus. Avant de frapper, il inspira une grande bouffée d’air pour se calmer, puis il cogna doucement. Pas de réponse. Le moment était peut-être mal choisi. Il devait être environ quatorze heures, et le jeune homme retenta sa chance avec plus de d’intensité :
– Entrez.
Sorn ne se fît pas prier. Le bureau du mage était grand, des livres s’empilait sur son bureau, une table adjacente accueillait des flacons au contenu non-identifiable ainsi que des cristaux. Des tableaux de paysages, et d’hommes illustres se pavanaient sur les murs. Une bibliothèque regardait le visiteur avec dédain.
– Bonjour, je suis…
– Sorn de Salig. Je vous ai reconnu. Que me vaut votre visite ? Un ennui sans doute.
– Non, pas du tout. Je viens vous remettre l’Orbe de Renaissance.
– Vous l’avez trouvé ? Je ne m’attendais pas à cela de vous. De Geoffroy de Montrouge à la limite mais vous…
– Toujours est-il que la voici. Et Geoffroy est mort.
Sorn tendit le sache de velours à son examinateur qui s’en empara avidement sans s’inquiéter du sort de Geoffroy. Il récupéra la boule, la soupesa, la scruta sous tous les angles. Il plongea ses yeux dans les prunelles de l’apprenti :
– Je peux dire que vous n’avez pas menti. Je suis surpris. J’exceptais qu’elle soit plus conséquente, plus belle aussi. Mais je peux sentir son pouvoir, cette magie ancestrale qu’elle dissimule. Quelle force incroyable. Mon cher, c’est un travail admirable. Toutes mes félicitations. Je vais envoyer tout de suite un rat voyageur au ministère de la magie pour que cette chose soit mise en sûreté. Veuillez m’excuser.
Archibald déposa l’Orbe dans son sachet ; sachet qu’il entreposa ensuite dans sa besace. Sorn n’y tenait plus :
– Et en ce qui concerne mon titre ?
– Ah oui, votre titre. Bien. Je transmets mon rat, et je reviens vers vous.
L’examinateur quitta la pièce un peu plus joyeux que lorsqu’il y était entrée le matin même. Il se rendit là où les rats avaient leurs appartements, attacha son mot à la patte d’une bestiole, et retourna aux affaires courantes. Sorn tournait comme un lion en cage. Le sorcier n’allait-il donc jamais refaire surface ? Comme pour couper court aux pérégrinations mentales du futur chevalier, l’examinateur repopa dans la pièce :
– Désolé mon garçon, cela m’a pris plus de temps que prévu. Où en étions-nous déjà ?
– Je crois que nous en étions à mon titre.
– Ha oui, en effet.
Archibald attrapa un parchemin vierge, et comme pour le sujet d’examen, il apposa ses mains dessus. Quelques secondes plus tard il tendit le papier encré à Sorn :
– Bienvenue dans l’Ordre des Chevaliers. Toutes mes félicitations.
Sorn se saisit du parchemin incrédule. Il le déroula, le parcouru plusieurs fois. C’était fait, il était devenu chevalier, mais quelque chose le chiffonnait :
– C’est tout ?
– Comment ça ? C’est un titre officiel, cela fait de toi un chevalier reconnu par le royaume, avec ses privilèges et tout le toutim.
– Pas d’adoubement, pas de cérémonie ? Juste un parchemin.
– Écoutes, la chevalerie est en train de tomber en désuétude au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Les grands de ce monde, n’ont plus de temps à consacrer à des gens comme toi. Il va falloir t’y faire voilà tout. Allez, maintenant j’ai à faire.
– Je ne comprends pas vraiment.
– Ça ira, ne t’inquiètes pas.
En disant cela, il poussait Sorn vers la sortie :
– Et encore toutes mes félicitations !
Le chevalier de Salig se tenait immobile dans le couloir avec son titre à la main, abasourdit par tant de gratitude. Il ne bougea pas d’un pouce durant quelques temps, avant de finir par rejoindre ses compagnons, la tête basse.
Dehors, Harold tirait encore sur sa pipe tandis que Ela, le dos au mur, contemplait les allées et venues de la foule. Umuss n’en avait pas fini avec son décompte. Ils accueillirent Sorn qui sortait à peine victorieux de sa rencontre :
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu n’es pas reçu ?, s’inquiéta Harold.
– Si, bien sûr.
– Tu fais pourtant une tête d’enterrement. Quelle joie ça doit être d’être toi !, railla Ela.
– C’est juste que j’avais imaginé quelque chose de plus grandiose, une cérémonie avec un adoubement par exemple. Mais non, le sorcier a pris l’Orbe et m’a juste donné ce parchemin, et c’est tout.
– Et qu’est-ce qu’il a fait de la boule magique ?, s’enquit Ela.
– Il l’a juste glissé dans son sac. J’imagine qu’il ira la déposer au Ministère de la Magie.
– Tu es donc officiellement chevalier ?, demanda Umuss.
– Oui, officiellement, déclara Sorn.
– Nos sincères félicitations !, commenta Harold. Allons fêter ça dans un endroit digne d’un tel événement. Tu vas voir la Ronde Barrique est un endroit merveilleux !
– Allez-y toujours. Je vous y rejoins, leur dit Ela.
– Comme tu veux !
Les trois garçons se lancèrent à l’assaut de La Ronde Barrique, tandis que Ela, après avoir feint le départ, s’était dissimulée non-loin de la porte d’entrée de l’Académie guettant le départ du Mage. Après un long instant, sa forme conique se glissa dans le rectangle d’entrée. La filature se mit alors en mouvement. Archibald inconscient du danger, mais trop conscient de ce qu’il transportait lançait ses yeux agressivement sur chaque passant provoquant le recul de certains. Se fondre dans la masse était chose aisée pour Ela. Le ministère pointa le bout de son bâtiment, mais Archibald n’en prit pas la direction. Au contraire, il accélérait le pas. La guerrière manqua de le perdre, mais son couvre-chef le trahit. Au milieu d’une rue quelconque, le mage trifouillait la poignée d’une maison quelconque. Elle se laissa faire et le mage s’évanouit. Ela risquait gros en entrant dans la bâtisse, mais plus encore en n’y entrant pas. Elle jeta un coup d’œil par les fenêtres ; rien ne vivait. Après une grande inspiration elle entra dans la maison sans filet. Elle fût accueillie par un couloir sombre, et trois portes. D’instinct, elle jeta son dévolu sur celle du fond. Les choses étranges arrivent toujours au sous-sol.
Persuadé que plus rien ne le menaçait Archibald sifflotait un air enjoué. À la lueur de la lanterne, il se déplaçait d’un pas heureux et pressé. Le couloir zigzaguait, montait, descendait pour déboucher sur une grande salle. Une femme y allumait des lanternes et des torches. La salle s’allumait en douceur. Le mage la regardait avec une folle tendresse. Ensemble, ils ne pouvaient que réussir. Il resta là, à l’admirer, attendant qu’elle remarque son invisible présence. Elle ne manqua pas de le faire, et lui adressa un sourire carnassier qui fît frissonner de plaisir le vieil homme. Elle s’approcha de lui et l’embrassa.
– J’ai bien reçu ton rat. J’ai toujours du mal à croire à cette nouvelle. Dis-moi que ce n’est pas un mensonge.
En guise de réponse Archibald lui tendit la petite poche de velours. Du bout des doigts elle porta l’Orbe à la lumière pour mieux en voir tous les aspects. La lumière glissait sur la surface sphérique. Un frisson d’excitation lui parcourut l’échine. Après tant d’années de préparation, le jour de gloire était arrivé. Elle se retourna pour faire face à leur projet, ce pourquoi elle avait tout abandonné. Sous la ville se cachait un trésor très mal gardé, que tout le monde avait oublié. Ensemble ils avaient fait cette découverte au fin fond d’un vieux bouquin, et en secret ils l’avaient trouvé. Le squelette du Dragon de Feu reposait là, sous le nez de tout le monde depuis des siècles et il n’attendait que d’être réveillé. À l’aide d’un échafaudage monté en prévision de cette belle journée, elle grimpa sur le museau de la bête squelettique. Un burin bien manié creusa un disque dont l’ouverture autorisait la dépose de l’Orbe sans qu’elle ne soit avalée. Avec un pinceau fin, elle traça des runes à l’encre noire autour de l’objet magique. Les deux mains posées sur l’Orbe, elle récita les formules qu’elle avait passé tant de temps à relire. L’Orbe se mit à briller imperceptiblement, sans excès. Autour de la relique, l’aspect du crâne de la bête commença sa transformation. Les yeux humides elle rejoignit Archibald :
– Je suis émue. Je ne pensais pas que ce jour viendrait.
– Et pourtant, nous y sommes, lui répondit-il.
– Il nous faudra quelques temps encore avant de savourer notre victoire. La renaissance est un processus rapide mais pas instantané.
– Qu’il prenne son temps. La victoire n’en sera que plus savoureuse.
– J’ai apporté de quoi fêter notre victoire.
Dans un recoin de la caverne, elle alla chercher un petit sac, duquel elle sortit une petite fiole d’eau de vie et deux petits verres en cristal. L’alcool, aussi transparent que les verres, chauffa leur gorge mais n’eût pas le même effet grisant que l’imminent réveil du dragon. Leur dragon.
Ela avait tout observé depuis un recoin sombre. Elle savait que l’Orbe venait de lui échapper. Il en était fait de son destin. Elle mit longtemps avant de prendre sa décision, car un dragon et la pagaille qu’il mettrait pourrait lui accorder un répit et une perspective de fuite, mais elle décida de se battre et de prévenir les autres. Pourvu que la bière n’ait pas trop coulée.
À la Ronde Barrique, les trois compères patientaient sagement en attendant leur bière. La commande avait été passé depuis quelques dizaines de minutes, et Harold avait fini par se lancer en croisade contre les serveurs du troquet :
– Et ma commande ? Vous la fabriquez cette bière ou quoi ?
D’un air dédaigneux, l’homme derrière le comptoir regarda cette courte tête :
– Vous n’êtes pas tout seul, et on n’a pas quatre mains.
– C’est mon pied au cul que vous cherchez ? On veut consommer, vous refiler notre argent. Dites le si vous n’en voulez pas !
Un serveur grand et sec pris part à l’aimable conversation :
– Il y a un problème ?
– Monsieur se plaint des délais d’attente.
– Bien, sert le donc.
– Si c’est vous qui le dites.
– Je ne le dis pas, je fais juste en sorte que sa petite tête toute rouge n’explose pas.
Se sentant humilié, Harold revint à table avec ses chopes. Les bocaux se vidait progressivement de leur substance, provoquant, au passage, une surexcitation du dieu local plus habitué à la fraîche rosée du matin qu’à l’alcool de houblon, lorsqu’Ela fracassa littéralement la porte du troquet. La détermination se lisait dans ses yeux. Les trois buveurs s’arrêtèrent dans leur geste tant cette entrée les laissa bouche bée. Le tavernier ronchonna qu’il faudrait payer pour les dégâts, mais l’attitude d’Ela lui fît comprendre que le moment était mal choisi pour imposer son autorité.
– Messieurs, c’est officiellement la merde.
– Ce n’est pas moi qui suis censé être un peu vulgaire dans cette histoire, s’interrogea Harold.
– On se passera de tes questionnements sur ton moi profond tu veux, rétorqua Ela.
– Je te soutiens Harold, lança Umuss. Cette femme est un peu trop…
– Trop quoi ?, dit Ela sur un ton glacial
– Trop… gentille. Oui exactement.
– Quel est le problème ?, s’enquit Sorn.
– C’est l’Orbe de Renaissance. Le mage ne l’a pas apporté au ministère de la magie. Il s’en sert actuellement pour réveiller le Dragon de Feu, dont la dépouille se trouve, et c’est fait exprès j’en suis sure, juste sous nos pieds.
– Il faut donc que l’on fasse quelque chose.
– Tu es de plus en plus perspicace Sorn.
– Moi je l’aime bien Ela, remarqua Umuss.
– Qu’est-ce qui lui arrive à lui ?, demanda Ela.
– Une demi-bière, voilà ce qui lui arrive. Mais au-delà de ça, j’ai une question moi aussi pour toi. Non deux en fait : comment tu sais tout ça ? Et pourquoi as-tu suivis le mage.
– Bien je ne vais pas vous mentir. J’avais prévu de récupérer l’Orbe de Renaissance après que Sorn soit fait chevalier. Je suis plus qu’endettée et je n’ai eu d’autre choix que de trouver un accord avec les Usuriers.
– Et tu ne me faisais pas confiance. Tu pensais que j’allais trahir le petit, alors que la traître c’est toi.
– Je ne l’ai pas fait de gaieté et de cœur. J’étais coincée. Ma vie en dépend. Mais peu importe, puisque c’est trop tard à présent.
– Vendue !
– Je crois que ces deux-là sont amoureux.
– La ferme Umuss, cracha Ela.
– On n’a pas le temps de se disputer maintenant, il faut que l’on y aille. Je réglerai cette histoire, une fois que nous aurons terrassé le dragon. Ela, on te suit, ordonna Sorn au grand d’étonnement d’Ela.
Dans la salle du dragon, le reptile finissait de renaître. Archibald et sa compagne n’en finissaient pas de contempler leur chef-d’oeuvre. Les écailles de la bête s’étaient tintées d’un rouge profond, et elle semblait respirer. Dans un coin sombre les quatre compagnons observaient en silence. Un être magique, cela ne court pas les rues. Pourtant les tréfonds d’Umuss se mirent à trembler à la vue du dragon.
– Je connais ce type-là.
– Qui ça ? Le mage ?, demanda Harold ?
– Non, le dragon. Il a bien foutu le bordel il y a quelques temps.
– Tu l’as déjà vu ?, s’étonna Sorn.
– Je suis un dieu local je te rappelle. Mon espérance de vie est plus longue que la tienne. En tout cas, on en a bien bavé pour le mettre ici. Tout ce travail pour rien, quelle tristesse…
– Comment ça tu savais que ce machin était planqué ici ?, grogna Harold ? Pourquoi n’avez-vous pas détruit son squelette ?
– Tu as déjà essayé de détruire un squelette de dragon ?
– Je dois dire que non.
– Voilà.
– Attend un peu, elle a fait un trou au burin dans son crâne, donc ça ne doit pas être si difficile que ça !
– Nous avions des circonstances atténuantes, dit Umuss d’un air dégagé.
Soudain, les griffes reptiliennes se refermèrent dans le vide et le dragon ouvrit les yeux, ses pupilles verticales brillèrent d’un éclat malsain :
– Dragon de Feu, je suis Archiblad Consensus et je suis ton maître.
Le dragon ne fît pas un geste.
– Je crois qu’il ne sait pas ce qu’il fait, commenta Umuss.
Archiblad était surpris de ne pas avoir de réaction de la part du reptile, il recommença :
– Dragon de feu, je suis Archibald Consensus et je suis ton maître.
Umuss se frappa le front du plat de la main :
– Ce petit vieux est trop faible pour devenir son maître. Non, mais regardez-le, il est maigre et tâché. Jamais un dragon, ne s’écraserait devant ça. Encore moins celui-là !
– Tu as l’air de bien le connaître, observa Ela.
– Je l’ai déjà combattu, enfin avec la famille quoi.
– Toi, contre un dragon ?
– Oui, je servais d’appât, confia honteusement Umuss. Les autres, ils disaient qu’au pire ce ne serait pas une grande perte.
Il n’y aucun retour de flamme.
-Par contre il faut faire quelque chose tant qu’il n’est pas en pleine conscience.
– Tu veux dire quoi par-là, deamnda Sorn.
– Il n’est pas encore totalement réveillé, répondit Harold.
– L’Orbe l’a fait renaître, alors il faut l’enlever de là.
– Il est étonnamment perspicace, s’étonna Ela.
Umuss n’écoutant que son courage alcoolisé fonça dans le tas. Les bras ballants, les trois autres ne purent rien faire contre une telle action. D’une bruyante délicatesse, Umuss fît son entrée. Du bout du doigt, il invectiva Archiblad qui n’en avait que faire. Sorn, Ela et Harold n’eurent d’autre alternative que de se dévoiler. Archiblad, reconnut immédiatement Sorn.
– Ma chère, dit-il à sa compagne, regarde qui nous rejoint. Je crois bien que c’est ton fils.
Sorn qui avait sorti son épée pour être plus impressionnant, fit tomber sa garde.
– Comment ça ton fils ?
La compagne d’Archibald s’approcha de Sorn :
– Sorn, je suis ta mère.
– J’ai déjà vu ça quelque part, commenta Harold.
– J’ai raté quelque chose ?, demanda Sorn.
– Qu’est-ce qui prouve que vous êtes sa mère, interrogea Ela ?
– J’ai quitté la demeure des Salig quand cet imbécile ici présent n’était qu’un marmot. Ton père doit certainement se morfondre dans sa bibliothèque. Au moindre souci, c’est tout ce qu’il savait faire. Et puis qu’est-ce que je m’ennuyais avec lui.
– Tu étais où tout ce temps ? Pourquoi est-ce que tu nous as laissé ?, demanda Sorn sous le choc.
– Je n’ai pas à me justifier auprès de toi. Maintenant tu vas m’écouter et nous laisser finir ce que l’on fait ici. Toi et tes petits copains, vous allez jouer ailleurs, d’accord. Sinon je vais me fâcher très fort.
Sorn n’en revenait pas de se faire sermonner comme un enfant par celle qui l’avait mis au monde. Mais avant qu’il n’eût pu réagir, un bruit de tonnerre emplit la salle. C’était la main d’Ela sur la face maternelle. La compagne d’Archibald perdit connaissance sur la violence du choc.
– Mère indigne.
Sorn regardait sa mère étendue sur le sol.
– Désolé Sorn, mais on n’abandonne pas ses enfants comme ça.
– Ne t’inquiète pas, elle n’est qu’une étrangère pour moi. Je dois tout à mon père. Allons-nous occuper du dragon.
Archibald était prêt à en découdre, et la bête magique se réveilla.
– C’est la fin pour vous, triompha le vieux mage.
Il se retourna pour faire face à son œuvre et dit une nouvelle fois :
– Dragon de feu, je suis Archibald Consensus et je suis ton maître.
Dans la tête de chaque spectateur, une voix résonna
– Mon maître ? Je n’ai pas de maître. Tu n’as même pas été capable de me réveiller correctement. Regarde mes ailes, elles sont atrophiées.
– Tu me dois la vie.
– Et je t’en remercie.
Vivement, la mâchoire se s’activa autour du mage à la retraite qui ne s’attendait pas une telle fin. Sentant le vent tourner, Umuss tenta le tout pour le tout :
– Salut Dragon ! Tu te souviens de moi et de la raclée que tu as reçue ?
Le dragon fixa le dieu localement aviné :
– Oui, je te reconnais. Ton dernier jour est arrivé.
– Une minute, nous t’avons déjà battu une fois, alors nous pouvons encore le faire. Voilà ce que je te propose : tu restes ici et en vie jusqu’à la fin de tes jours, et je m’occuperais personnellement de tes besoins personnels. Alors, qu’est-ce que tu en dis ?
– Non.
– J’aurais essayé.
– Maintenant, il est temps pour toi de mourir.
De sa patte avant, il essaya d’agripper Umuss, qui esquiva par miracle. Ela beugla qu’il fallait fuir. Sorn regarda sa mère et ne pût s’empêcher de la prendre avec lui. Son sac de pomme de terre sur l’épaule, il courut lentement jusqu’au point d’extraction. Il laissa sa génitrice à l’abri dans la maison qui menait à la cave. Le dragon rugit de rage, et les murs du quartier tremblèrent de peur.
Un plan d’action leur était nécessaire. L’Orbe était le point faible, seulement fallait-il pouvoir l’atteindre. Scellé dans le front du dragon, le descellé ne serait pas une partie de plaisir.
– Sorn, je crois que le moment est venu. J’ai quelque chose pour toi. Je te l’aurais donné quoiqu’il arrive, mais je pense que le timing est parfait.
De sa besace, Harold tira une culotte longue rouge sang qu’il remit à Sorn.
– Cette culotte est légendaire, car elle n’a pas eu le temps de servir. Monseigneur Michel devait la récupérer avant de s’en aller combattre un dragon. Il n’est jamais passé, et est mort sur le champ de bataille. Ulif ait son âme ! Elle est enchantée contre les flammes, son porteur est ignifugé, en portant ça tu ne devrais pas devenir une vulgaire saucisse.
Sorn la scruta sous toutes ses coutures, lorsqu’une claque derrière la tête l’incita à enfiler le vêtement. Le nouveau chevalier protesta qu’il ne déshabillerait pas devant tout le monde, mais Harold l’invectiva à l’enfiler par-dessus ses pantalons. Un chevalier ne devant pas faire de chichis, il se glissa dedans sous le regard amusé de la compagnie dont il feignit de ne pas voir la réaction.
– C’est quoi le plan ensuite ?
– Il ne va sans doute pas te plaire, avança Ela.
– Et pourquoi ça ?
En guise de réponse, de sourds bruits se faisait entendre à quelques rues de là. Le dragon cherchait l’air libre.
– Bon ça urge, on n’a pas beaucoup de temps. Il est temps de faire tes preuves chevalier de Salig.
– Je t’écoute, dit Sorn, plus concerné que jamais. Tu verras que je n’ai pas volé mon titre.
– Bon, il faudrait pouvoir l’amener à la tour de l’horloge en centre-ville. Umuss tu vas te charger de l’appâter.
– Comme par hasard !
Sans prendre note de la réflexion d’Umuss, elle continua :
– Toi Sorn, tu vas monter en haut de la tour, et lorsque le dragon passera en dessous tu lui sauteras dessus. Je te confie ma dague spécialisée, je pense qu’il n’y a que ce type d’objet qui puisse nous aider.
Sorn pris la lame entre ses mains, ses yeux se mirent à briller.
– Je cours à la tour. Mais qu’est-ce que vous allez faire toi et Harold ?
– Harold va se charger de faire évacuer la place de l’horloge et moi je vais faire en sorte que l’on soit épaulé par la garde. Si nous pouvons l’acculer contre la tour, ce sera plus facile pour toi de sauter dessus.
– Moi j’ai une question, il est où le dragon en ce moment ?
Un énorme bruit fît écho à l’interrogation d’Umuss.
– J’ai compris. Sorn, on se rejoint place de l’Horloge.
Le chevalier en herbe ne répondit pas. Il cavalait déjà en direction de la place.
Le dragon avait fini par trouver la sortie. Il stoppa toutes activités pour embrasser l’air et le soleil. Après avoir passé quelques années à l’état de squelette, prendre l’air et le soleil était une joie incommensurable. Il n’allait pas laisser filer sa chance d’être libre. Autour de lui beaucoup de bâtiment, mais il était plus grand que la plupart. Il était aussi haut qu’une maison de deux étages. Ses écailles reflétaient l’astre solaire, et sa chaleur le réjouissait. Il devait se mettre en quête d’un festin mais sortir d’ici était sa priorité. Sans ses ailes, difficiles de se mouvoir rapidement. Il lui fallait déterminer qu’elle chemin le ferait sortir de la ville le plus rapidement. Perdu dans ses pensées, et ignorant les passant affolés, il fût interrompu par un être insignifiant :
– Hého le gros lézard ! Oui, c’est à toi que je parle la tête de serpent confite ! Tu te rappelles de moi ?
La créature mythique daigna abaisser son regard, sur cette petite personne qui osait l’importuner. Le rouge lui monta aux joues instantanément :
– Toi !!
Dans la tête d’Umuss la voie hurla, le sonnant quasiment :
– Tu me reconnais alors !
– Je t’ai vu il y a quelques minutes ; Comment aurais-je pu oublier.
– Pas bête.
Le dragon essaya à nouveau d’attraper le dieu local, qui évita de nouveau l’estocade et pris la fuite. Le dragon se laissa emporter par son ire en se lançant à la poursuite de son interlocuteur. Umuss courait tout droit balançant ses bras dans tous les sens. Il hurlait à qui voulait bien lui prêter le tympan de dégager. Non loin de ses basques, le dragon fumait de rage. Sa course était ralentie par les rues étroites dans lesquelles son corps avait du mal à se glisser. A son passage, la majorité des bâtiments eurent le droit à un ravalement de façade offert par la maison. Les pierres de constructions volaient, tandis que les colombages s’écroulaient lourdement au sol. Au loin, il était possible de lire la trajectoire de la course folle à la simple vue de la poussière qui prenait de la hauteur. Le lézard dépassait en hauteur la plupart des bâtisses. Umuss sentait son souffle tourner court. Pour lui la course à pied n’avait toujours été qu’un passe-temps mortellement ennuyeux. Après tout, pourquoi s’échigner à conserver la santé quand on ne peut pas la perdre. C’est alors qu’il jura solennellement de se mettre à la course s’il ressortait entier de cette mésaventure. Le dragon vociférait dans la tête d’Umuss lui promettant moult tortures. La sève glacée par ses propos imagés, le dieu local parvint tout de même à son but, la place de l’Horloge.
La place était grande, assez pour que deux dragons puissent s’y battre. La tour de l’Horloge trônait au centre d’une bâtisse qui délimitait la frontière haute de la place. Harold finissait d’évacuer tout le monde, et Sorn tenait sa place. Lorsque la bête arriva, l’adrénaline s’empara de son corps. Tout allait vite mais pour autant rien ne lui échappait. Son souffle était lent. Il savait ce qu’il devait accomplir. Il n’avait qu’à attendre le bon moment. Le dragon eût enfin assez d’espace pour accélérer sa course, et manqua de croquer Umuss qui adopta dès lors une course en zig-zag aléatoire pour tromper l’ennemi. La place était vide et le dieu local voyait sa porte de salut ouverte devant lui. Il se projeta à l’intérieur de la tour de l’horloge pour entendre la rage de lézard gronder dans sa tête. La bête entreprit de détruire l’objet de sa colère à l’aide de son corps. La tour prenait dangereusement de la gîte et Sorn ne tenait debout qu’en prenant appui sur un mur. Umuss, lui veniat de trouver la sortie. Le dragon continuait son travail de sape sur le bâtiment qui n’en menait pas large. Autour de la place les soldats qu’Ela avaient ameuté faisait en sorte de boucher les entrées et ceux qui étaient munis d’arbalètes chargèrent leurs carreaux.
– Faites passer l’information qu’il ne faut tirer qu’en dernier recours.
Un soldat pas pressé d’armer sa machine, se chargea de courir autour de la place pour délivrer l’information. Le chevalier de Salig patientait toujours en haut de son château de carte qui perdait ses fondations. Il se disait que le bon moment n’allait pas tarder, mais l’équilibre de la tour ne tenait qu’à un caillou. Le corps du dragon se mouvait trop rapidement pour tenter un saut de la foi. LA situation atteignait un point critique. Il fallait se jeter, ou réfléchir à un autre plan. C’est alors que du fin fond de la place un cri venu d’un autre âge retenti. Un homme, dont la moustache était retombée, filait droit vers le dragon, faisant tournoyer un bâton assez gros pour être une poutre au-dessus de sa tête :
– IL EST A MOIIIIIIIIII !!
Surpris par cette intrusion, le dragon stoppa son effort et s’immobilisa un court instant. L’homme arriva à hauteur de la bête et frappa de tout son saoul en poussant un doux cri guttural.
– Il l’a frappé, dit tout haut Ela.
– Il l’a frappé, dit tout haut un soldat lambda.
– Il l’a frappé, dit un spectateur qui n’avait pas fui.
– Il m’a frappé, entendirent tout le monde dans leur tête. Tant pis pour lui.
Le dragon attrapa la poutre au vol avant qu’un deuxième coup ne lui chatouille les écailles, et lança ce qui se trouvait au bout au loin dans un bruit sourd. Le dragon regardait son œuvre avec fierté. Pour Sorn le moment était enfin venu le dragon ne bougeait plus et lui offrait une piste d’atterrissage dégagé. Il se lança sans réfléchir, ce qui était bien là sa plus grande qualité, et s’écrasa lourdement sur les écailles dorsales de l’animal. Le corps de la bête était chaud, assez chaud pour ébouillanter un être humain mais pas assez pour le carboniser non plus. La culotte faisait son travail, Sorn ne ressentait pas l’effet la chaleur. Il se releva rapidement prenant soudain conscience du danger. Il courut tout droit vers le cou du reptile, esquivant les membres qui essayait de l’attraper. Le saurien s’ébrouait et se déplaçait dans sur la place. Dans la panique, le capitaine de la garde ordonna de tirer. Une pluie de carreau vola de toute part, ne faisant qu’énerver un peu plus la bête. Dans le même temps deux balistes montées sur chariot prirent place. Sorn, en équilibre instable, continuait d’évoluer vers la tête du dragon. Les carreaux traçaient leurs sillons aériens de tous côtés, frôlant dangereusement le tout juste chevalier, cognant sans effet sur la lourde cuirasse d’écailles. Sorn se jeta sur le coup de la bête qui se secoua de plus belle. Dans un rodéo d’enfer, Sorn s’accrochait de toute son âme tentant de progresser jusqu’au sommet. Sous les yeux effarés d’Ela impuissante, les balistes furent chargées et les projectiles prirent leur envol dans un claquement. Umuss dans son coin se voila la face pour ne peut être témoin d’une telle scène. Pourtant, rien ne fit mouche. Les gros carreaux vinrent se planter intelligemment dans les murs des bâtiments en arrière-plan. Sorn progressait petit à petit jusqu’à enfin atteindre son but. La bête balançait sa gueule comme si sa vie en dépendait, mais Sorn avait réussi à sortir sa dague rapidement, et, sans sourciller, l’enfonça brutalement dans le front du lézard qui compris que sa fin était venue. Un hurlement, mélange de douleur et de tristesse, résonna pour la dernière fois dans les têtes de tout le monde. Sorn arracha l’Orbe du front du dragon qui poussa un dernier rauque avant de laisser son corps sans vie mordre la poussière. Les carreaux arrêtèrent leur parade, et le calme retomba tout comme la tour. Le Dragon de Feu entama sa lente désintégration. Triomphant Sorn, se tenait debout l’Orbe dans la main. Ela, Umuss et Harold se précipitèrent vers lui. Il allait bien, quelques égratignures liées à sa chute, mais rien de bien méchant. Un passant déposa une cape couleur rubis sur les épaules, et les poings sur les hanches il observa son travail.
– Je crois que tu viens de gagner tes lettres de noblesses chevalier de Salig, lui dit Ela.
– C’était balèze, incroyable, génial !, s’emballa Umuss.
– Pourquoi tu as un œil au beurre noir Harold, demanda Ela.
– J’ai croisé une vieille connaissance, rien de bien grave.
Du lointain, un homme s’approcha. Ela le reconnu tout de suite.
– Et bien Ela, je crois que tu nous dois quelque chose.
Ela baissa les yeux, honteuse. Sorn tendit l’Orbe à l’usurier.
– Voilà l’Orbe.
– Incroyable ! J’aimerais que nos échanges soit toujours aussi fructueux Ela. Considère ta dette comme payée. On se voit bientôt autour d’une table de jeu.
Et sans demander son reste, l’homme s’évapora dans la foule.
– Merci Sorn. Je te dois la vie.
– Allez, c’est oublié. Après tout je suis chevalier. C’est tout ce que je demandais à l’origine.
– D’autant que l’Orbe est maintenant inoffensive, ajouta Harold.
– Comment ça ?, s’étonna Umuus.
– Tu es sûr que tu es un dieu toi ?
– Je ne relèverais pas !
– Bref, pour faire court, il fallait une énergie incommensurable pour réveiller ce dragon. Aussi puissante que fût l’Orbe, elle doit être vide de sa magie à présent.
La foule commença à se faire dense autour de la scène. Sorn n’en revenait pas. Il avait terrassé un dragon avec de ses propres mains. Son entrée dans le monde de la chevalerie se ferait donc en fanfare, avec le titre de tueur de dragon. La foule l’acclama, et il goûta à cette félicité tant désirée.
Quelques jours plus tard, il était de retour chez lui, à Rochemont, sur un vrai cheval, sa cape sur les épaules et une véritable épée à la ceinture. Après les évènements de la Tour de l’Horloge, il avait été reçu par le roi en personne qui lui avait octroyé un cheval, une bourse qui valait le détour et une épée de sa propre collection. Une épée taillée dans l’acier le plus fin et le plus résistant que ce monde connaisse et qu’il ferait spécialiser par Harold. Son père était toujours dans la bibliothèque, entouré par une tasse de thé, de vieux livres et sa morosité. Sorn lui présenta son titre de chevalier, et lui raconta sa rencontre avec sa mère, ce à quoi son père répondit :
– Je crois qu’il est temps que je sorte de cette bibliothèque.
Sorn resta quelques jours avec son père, jusqu’à ses compagnons le rejoignent. Après avoir bien fêté la fin de leur aventure, il avait décidé qu’il resterait ensemble jusqu’à ce que l’un d’entre eux ne supporte plus les autres. Des quêtes attendaient d’être menées aux quatre coins du monde.
Ce matin-là n’était pas différent des autres matins. Le temps n’était pas particulier, la température extérieure n’était pas plus agréable que désagréable, les habitants vaquaient à leurs activités quotidiennes, les oiseaux chantaient leurs habituelles ritournelles, les chats couraient après les mêmes souris et les chiens aboyaient après les mêmes chevaux. Pourtant ce matin avait une saveur différente pour Sorn, c’était le grand jour, le premier de sa nouvelle vie de chevalier. Son père avait sans prévenir commencer à se reprendre en main, et Sorn lui avait offert la quasi-totalité de sa bourse pour que des travaux soit fait dans le demeure ancestrale. La porte fût malmenée. Harold, Ela et Umuss attendait Sorn sur le perron. Le nouveau chevalier ouvrit finalement la porte après avoir salué son père et leur domestique. Ela l’accueillit :
– C’est pas trop tôt ! On y va ?
PS : un petit mot de moi pour remercier ce qui m’ont lu (peu un porte le nombre de chapitres), et ce malgré les (trop) nombreuses coquilles et fautes qui traînent. Je suis arrivé au bout, et j’en suis bien content. Avec de la chance, je déposerai un pen avec l’histoire complète, revue, corrigée et modifiée. N’hésitez pas à me faire part de vos critiques.
A bientôt peut-être !