Chapitre 1 Partie 1

5 mins

    La canine en main, il regardait la preuve de sa réussite, comme si l’horreur qui l’avait portée en était toujours le propriétaire.

    De loin, les torches du village étaient devenues visibles. D’un geste, il dégaina son énorme épée et la plaça devant lui: à genoux, il la contempla. D’une grande inspiration qui créa le vide dans son esprit, il récita: «Par la force du frère, j’ai rendu la justice du père, rendu l’équilibre tenu par la mère. Que la vision harmonique de la sœur devienne réalité pour l’enfant. En vous, les Cinq, je crois et si, pour vous, mon sang doit couler, je le verserai volontiers. L’inquisiteur ne craint ni la nuit ni la terreur de ce monde emploi au désordre. Par l’ordre, je balance le bien et je détruis le mal. Iniquitame prostesam.»

    Serein, il ouvrit les yeux, son regard tourné vers les quelques étoiles qu’il pouvait observer au travers des branches dénudées par l’automne. Il tentait de voir au plus haut. Il remit sa main au sol pour saisir sa claymore d’acier d’argent. D’un geste agile, elle pivota autour de lui avant de regagner son emplacement dans son dos.

    Ses doigts gantés descendirent sur sa ceinture pour y détacher le masque de corbeau lui servant à cacher les traits de ses origines. Le cuir mis en place sur son visage, Cyraxon prit la direction des flammes qui animaient le village de Bois-Rouge.

    Il passa la limite de la forêt où trois hommes l’attendaient, probablement des paysans sans éducation qui préféraient pleurer leurs disparus et demander à ceux qui ont mieux à faire plutôt que de régler le problème eux-mêmes. Ce fut avec mépris que Cyraxon les jaugea. Certes, il y aurait eu des morts mais, bon, ils auraient pu s’occuper de cette cible sans déranger un inquisiteur de son rang. «Un Lunien n’est rien d’autre qu’un homme ayant perdu la tête suite a une morsure de chien.» Pourquoi le déranger pour si peu?

    L’inquisiteur approcha de ces trois êtres au manque de courage: un petit, l’autre gros et, le dernier, une combinaison des deux. Cyraxon avait raison: il y aurait eu des morts… mais bon, il aurait pu le laisser à de plus prestigieuses cibles. 

Le petit gros fit un pas face à cet imposant personnage, grand et maigre.

– Avez-vous réussi? dit-il d’une voix tremblante.

    Cyraxon tendit le poing, fermé. L’homme répondit en tendant la sienne pour y voir tomber la longue dent du monstre. L’humain prit soin de regarder le trophée. Il fut suivi par ses deux compères qui admiraient le parti perdu d’un Lunien qui les avait terrifiés les soirs où la lune était moins clémente. Le petit dévisagea le masque sans expression de leur sauveur.

– Merci inquisiteur… grand merci. Vous avez rendu la justice du père pour satisfaire la volonté de la mère. 

    Cyraxon resta de marbre devant ces élucubrations: «Les hommes ne croient que lorsqu’ils ont besoin de la solution des Dieux.» Dans de nombreux cas, l’ordre était cette solution. Le petit gros continua, ému:

– Inquisiteur, la dent que vous me donnez a déchiqueté ma fille. Que les Cinq soient toujours avec vous. Merci (en larme), mille mercis. Comment vous remercier?

    Cyraxon, sous son masque, n’eut qu’une réaction fasse a ces lamentations (il apprécia tout du moins la reconnaissance de sa supériorité): il n’eut qu’à tendre sa main aux doigts gantelés et aux pointes d’acier pour connaitre le poids de cette reconnaissance. Le plus affûté des trois simples comprit la volonté de leur sauveur. Il fut très embêté de devoir prendre la parole.

– Inquisiteur… ehh…. nous n’avons pas votre dû.

    Le froissement de sourcils fut presque perceptible derrière le cuir noir sur son visage. L’homme reprit immédiatement son discours:

– C’est le grand ancien qui voulait vous remettre votre dû… en main propre.

    Cyraxon desserra le poing, puis fit signe de les suivre. Une perte de temps supplémentaire, mais tout travail mérite salaire (d’autant plus quand il s’agit de l’ordre). Les hommes prirent les devants. Cyraxon traversa ce camp de bûcherons qu’ils avaient l’audace d’appeler village. Au centre, une maison au bois rouge, sculptée, arborant le drapeau bleu des Bariliens. Deux gardes azures tenaient la porte. Le masqué eut comme réflexion devant ces gardes chatoyants: «Porter des armures perceptibles même dans la nuit est une stupidité, tout ce qu’il y a de plus humain.»

    Les gardes mirent leur poing à leur poitrine en guise de salut. L’inquisiteur continua son chemin, sans aucune considération pour ces erreurs militaires, ton bleu-vert.

L’inquisiteur franchit la porte sans qu’aucune invitation ne lui soit donnée. Qui pouvait l’en empêcher? Son titre donnait beaucoup de privilèges. C’est une fois entré dans cette maison, certes plus décorée que les autres, mais tout aussi petite, qu’il fut introduit à un vieil homme. 

– Ancien, voici Cyraxon, inquisiteur. Il a accompli avec grand courage sa mission.

    Le vieil homme était assis au bout d’une table à gruger les os d’un poulet déjà bien dévorés. La viande collée à sa barbe, il se leva bras tendu pour le saluer.

– Bienvenue dans mon village, maître inquisiteur, et merci de nous avoir sauvés des griffes de ce monstre… Je sais que vous avez beaucoup à faire, mais…

    Cyraxon tendit la main, préférant connaitre le poids des remerciements plutôt que la légèreté des paroles. L’ancien sourit:

– Comme je puis voir, vous êtes un homme occupé, et dans ce cas j’arrive. Je tenais à vous remettre votre récompense moi-même. Ce monstre nous a terriblement… 

    D’un pas lent, soutenu par sa table, il marcha, sac de cuir en main. Il fixa le masque de corbeau et, sous les vers teints de noir cachant des yeux bruns, le vieux cherchait à découvrir qui il payait. Il finit par réussir à déposer le lourd sac dans la main de cette statue sans émotion.

– Le compte est-il bon, inquisiteur?

Cyraxon pesa le sac et hocha de la tête.

– Dans ce cas, très bien. Le village vous remercie.

    Le géant vêtu de noir hocha à nouveau de la tête avant de tourner les talons et de partir le plus loin possible. Au pas de la porte, le vieux reprit:

– Cyraxon… hum… votre maître ne serait-il pas Tristose Asuria?

Il stoppa net, regarda derrière lui, puis reprit sa route. Elle allait être longue et la nuit courte.

    Ce fut tout juste à la sortie de l’habitation de l’ancien du village que trois hommes vêtus de capes noires et arborant le même masque de corbeau que lui semblaient l’attendre. Si Cyraxon n’avait pas la pointe du bec dorée et tout son arsenal sur lui, rien n’aurait pu les différencier. D’un regard, il les jugea. Il s’agissait de la légion des corbeaux, un groupe militaire elfique alimenté par des hommes pieux qui se vouent corps et âme à la quête sans fin de l’inquisition. Tous ont fait vœu de silence et servent la volonté des inquisiteurs. Chaque membre a le droit à sa propre petite troupe. Tous, à l’exception de Cyraxon, du fait qu’il soit un homme et non un elfe.

    Face à face et ne sachant pas à qui ceux-ci pouvait appartenir, Cyraxon demanda autoritairement :

– Corbeaux! Donnez-moi.

    Telle une machine bien programmée, l’un d’eux fit un pas, baissa la tête face à l’autorité et remit une lettre à leur supérieur. Cyraxon saisit le papier plié: une étampe verte marquée d’un sceau représentant une fleur. Il comprit que ce message provenait de son ami de toujours, Deramien. Ils avaient tous deux été initiés par Tristose. Ce fut comme des frères qu’ils subirent les mêmes épreuves et combattirent nombre d’abominations ensemble. Deramien était un inquisiteur de talent et ses marquages lui attribuaient de nombreux pouvoirs. Il a toujours fait la fierté de l’ordre et de son maître. Cyraxon n’avait que seul avantage d’être le fils adopté de Tristose.

Le message en main, Cyraxon brisa le sceau pour y voir la demande de son compère:

    «Cher Cyraxon.

Au village de Prech-Alpanne, une sorcière a été découverte. Comme notre devoir nous y oblige, elle devra être jugée. Ton aide sera des plus appréciée. Je te confie mes corbeaux. Bien que bêtes, ils savent marcher. S’il te plaît, dépêche-toi, il fait froid et un bûcher serait approprié.

Ton ami de toujours, Deramien Plenlinas.»

    Un rictus naît sous le masque. Il allait avoir une mission à sa hauteur. L’inquisiteur regarda ses silencieux guides:

– Corbeaux! Montrez-moi le chemin.

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1 Commentaire
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Mke Mke
4 années il y a

Sympathique premier chapitre, l’importance du rôle des inquisiteurs est bien rendue
L’influence de Sapkowski est assez nette cela dit 🙂

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