Le Monsieur du Bar

10 mins

Chaque soir au maki du quartier, je prenais un “pot” avec des collègues. Et chaque soir, sans exception, dans un coin sinistre de ce petit maki, il y avait un homme. Un homme très discret, qui, malgré l’ambiance, restait d’un calme absolu. Il dégustait sa bouteille de Regab sans prêter attention aux filles, à la musique et aux cris. Il ne commandait ni plus moins que cette bouteille, toujours bien fraiche, et passait le début de la soirée à la savourer. Après cette bouteille de Regab, il restait assis à fixer le vide. Seul, à méditer et seul Dieu sait sur quoi il méditait aussi longtemps chaque soir.

Je passais mon temps à l’observer entre deux conversations hautement philosophiques avec mes collègues. Je l’observais furtivement, chaque soir, et il devenait de plus en plus en mystérieux.

Un dimanche, en fin d’après midi, je passais dans le quartier et je fis un tour au maki, histoire de prendre de l’avance sur mes collègues. J’attendais mes collègues et le maki commençait à battre son plein quand il arriva. Avec ce même air triste et pensif, il commanda sa Regab bien fraîche et s’assis à sa place habituelle. Mais contrairement aux autres soirs, il était comme résigné. Comme si c’était la première fois depuis longtemps qu’il avait pris conscience de sa situation. Il avait quelque chose en tête et paraissait plus que déterminé. C’en était intriguant.

Devant cet air inhabituel je ne pouvais rester de marbre. Son histoire m’intriguait depuis suffisamment longtemps et il fallait que j’y mette un terme.

Mes collègues arrivèrent et d’entrée de jeu, je m’exprima: << L’homme là je ne le vois pas clair ! C’est quoi son problème à celui là !? >>

Ils rigolèrent et me demandèrent de laisser tomber. Ils avaient tous remarqué mon intérêt grandissant pour lui. Alors, l’un d’eux me dit: << Si tu veux le connaître, lève toi et va lui parler. Comme ça tu pourras arrêter de le fixer quand nous on te parle. Tu devenais aussi bizarre que lui ces derniers temps, à le fixer comme ça. >>

Je pris mon courage à deux mains et je me leva, m’avança vers lui quand un collègue m’accompagna.

J’avais peur mais j’étais déterminé. Qu’est ce qu’il cachait ? Pourquoi se comportait-il comme s’il portait le poids de la terre entière ?! Et pourquoi ne boire qu’une seule bouteille de Regab tous le soirs? Alors qu’elle est si bonne notre bière nationale, pourquoi se limiter à une bouteille ?

<< Bon ! Moi je vais lui parler ! Philippe accompagne moi ! >>, disais-je à un de mes collègues.

J’arrivais à sa table avec Philipe quand il me lança un regard froid, mais pas repoussant.

– Bonsoir Grand! Excuse moi de te déranger hein, mais ça fait quelques temps que je te vois dans ce maki. Tu es là dans ton coin, tu bois ta bière dans un genre. Sincèrement, tu as quel soucis ? C’est même inquiétant grand, dis nous quand même.

– C’est un péché de boire sa bière, dit-il à voix basse.

– Non non ! Mais on dirait que tu surveille un gars dans le maki. On veut juste connaître ton histoire grand.

Il tourna la tête et regarda mes collègues restés à notre table.

– Eux aussi?

– Ah grand, tout le monde veut savoir.

– Appelle les donc, vous écouterez mon histoire alors.

Je le fis immédiatement et ils s’empressèrent de se joindre à nous. A croire que son mystère n’intriguait pas que moi.

Heureusement, cette soirée était plutôt calme comparée aux autres. On attendit patiemment qu’il finisse sa Regab bien fraîche.

Après avoir avalé sa dernière gorgée, il commença son discours et l’on était très attentifs.

<< Je travaillais dans une société pétrolière de Port-Gentil. La première société fondée et possédée par un ingénieur gabonais. Je pense que vous en avez entendu parler. Elle existe depuis des années, vous la connaissez sûrement. Le fondateur était dans la cinquantaine, mais sa femme, elle, était à peine dans la trentaine. C’était elle la vice présidente de la boîte.

Cette femme était le genre de femme à ne pas prêter attention aux autres. Son dédain et son indifférence faisaient d’elle la plus séduisante parmi toutes les femmes de la société. Elle ne parlait presque pas et fournissait un travail impeccable. Toujours sur son trente-et-un, une silhouette de rêve et un visage d’ange, aussi fin que celui d’une adolescente. Et son regard, mon Dieu! Des yeux de sirène, noir comme la nuit.

A mon arrivée dans l’entreprise, je venais à peine de me marier. J’étais heureux en ménage, et pour couronner le tout, ma femme était enceinte. Pendant le 8ième mois de sa grossesse, nous étions si proches et si amoureux. Malheureusement, c’est à cette période que j’ai remarqué à quel point notre vice présidente était séduisante. Peut-être que c’était l’absence de rapports sexuels avec ma femme, mais ma libido me faisait constamment fantasmé sur ma patronne. Rien de bien méchant, juste quelques pensées de temps en temps au boulot.

Quand ma femme mis au monde notre fils, cette sensation m’avait abandonnée. J’étais à nouveau comblé et heureux en ménage.

Durant le troisième mois de notre petit garçon, ma femme pris alla rendre visite à ses parents en province avec notre fils. Étant pris par le boulot, je ne pouvais pas l’accompagner alors je restais à Port-Gentil.

Alors que la date de son retour s’approchait, les imprévus s’enchaînaient et elle ne cessait de repousser son retour. J’en venais à penser qu’elle ne voulait plus rentrer.

Me femme et mon fils me manquaient affreusement. Alors, pour atténuer la douleur causée par leur absence, je passais mes soirées au bureau. Je faisais des heures supplémentaires avec les dirigeants de la boîte. En tant que simple ingénieur, j’étais monté dans l’estime de la direction grâce à mon travail bien fait et mon acharnement au bureau. Je donnais tous ce que j’avais pour compenser ma solitude.

Peu à peu, j’ai commencé à travailler en étroite collaboration avec la vice-présidente. Quelle grâce, me disais-je. Travailler tard la nuit avec pour compagnie la femme la plus belle de la haute société de Port gentil. Alors j’ai savouré ces soirées pendant des jours, puis des semaines. L’absence de ma femme et ses nombreuses excuses pour ne pas revenir sur Port-Gentil ne m’occupaient plus l’esprit. Des mois étaient passés, mon fils avait déjà fait ses premiers pas mais je n’avais plus aucune nouvelles.

Je ne sais comment j’ai fais pour soudainement ignorer leur absence à lui et sa mère.

Un soir pendant que nous travaillons tard, je me suis livré à la vice présidente. Je lui ai raconté l’enfer qu’avaient été ces derniers mois sans ma famille et comment la beauté de son visage et nos soirées m’avaient apaisé l’esprit. Pendant que nous discutions, nous buvions. Peut être avions nous bu un peu trop. Alors, ce fameux soir, j’ai couché avec la femme de mon patron dans les locaux de la boîte.

Sentir à nouveau la chaleur d’une femme après des semaines de stress intense et d’abstinence était la meilleure chose qui m’était arrivée depuis longtemps.

Après cette nuit, on l’a refait, encore et encore. A chaque fois que nous devions travailler, tous les soirs, dans sa voiture, dans la mienne, dans les bureaux et les salles de pause, toujours avec cette peur de se faire prendre qui rendait les choses plus excitantes.

Mais il fallait être plus prudents. Au bureau, nous étions déjà soupçonnés à cause de notre proximité. Alors, quand son mari parti pour son nième voyage d’affaires, elle m’invita chez elle pour y passer un week-end. J’ai accepté sans même réfléchir.

Le samedi matin, j’arrivais chez elle très confiant. Je toqua à la porte et elle m’ouvrit en petite tenue. Sans perdre de temps je la prenais dans le bureau de son mari.

On a passé toute la journée à faire l’amour dans tous les coins et recoins de la maison. Comme des adolescents, on avait oublié le monde pour ne penser qu’à nos désirs et plaisirs charnels. Une journée inoubliable, je vous le dis.

La nuit tombée, toute la propriété était calme, très calme. C’était bizarre. L’ambiance de la journée et celle de la nuit étaient très différentes. Cette maison que j’avais exploré pendant mes ébats, cette maison accueillante était devenue aussi sinistre qu’un cimetière. Cette ambiance était trop pesante, je décidais alors d’aller me coucher. Après cette journée, j’avais juste besoin de reprendre des forces.

Alors que je me reposais dans la chambre d’ami, j’entendis quelqu’un entrer dans ma chambre. J’étais trop fatigué pour m’en soucier mais cette présence m’était étrangère. je ne reconnaissais ni la cadence des pas, ni l’odeur de cette personne.

Puis j’entendis sa voix, c’était elle. Mais quelle étrange sensation était-ce donc là ?! Pour la première fois depuis des mois passés à ses côtés, je me sentais en danger.

Cette étrange sensation me gagnait. Je ne la reconnaissais pas. Comme si toute la noirceur de la maison s’était incarnée en elle et se rapprochait de moi. Je n’arrivais même pas à me redresser, j’avais le dos en compote et j’étais ivre de fatigue. J’étais là, allongé, espérant que mon instinct se trompait et que j’avais bien affaire à la même personne.

Puis, elle commença à me caresser les pieds, en se rapprochant de mon entre jambes. Je savais ce qu’elle voulait, donc je voulu de la satisfaire en espérant me reposer ensuite et chasser cette peur grandissante.

Elle s’assit sur moi mais c’était étrange, elle bougeait différemment, gémissait différemment. Elle gémissait comme un animal à l’agonie et ne transpirait pas malgré les efforts qu’elle fournissait. Elle était froide. J’aurais juré qu’elle faisait de l’hypothermie. J’essayais de me redresser pour vérifier si elle allait bien, mais à chaque tentative elle me plaquait sur le lit, avec une force incroyable.

J’avais eu de multiples rapports avec cette femme. Mais celui était de loin le plus étrange. Si étrange qu’il en était terrifiant. Je cherchais alors à me dégager d’elle et malgré tous mes efforts, je n’arrivais pas à la repousser. Elle était plus forte que moi, me chevauchait brutalement. J’étais littéralement coincée en elle. Je me sentais pris au piège! Le semblant de plaisir que j’avais ressenti se transformait en douleur, et ses gémissement affreux devenaient de plus en plus assourdissants. En essayant une nième fois de me retirer, je me mis à saigner abondamment. Mon sang se rependait sur les draps, c’était affreux! Alors je criais de douleur mais elle ne s’arrêtait pas! Elle allait de plus en plus vite, c’était de plus en plus brutal! J’agonisais mais elle, ça l’excitait! Elle gloussait, ça l’amusait! J’essayais de la gifler, de la repousser encore et encore mais elle restait insensible à mes coups. Mon sang continuait de se rependre sur les draps pendant qu’elle me prenait de force! Je m’affaiblissais en me débattant et au final, je ne pouvais que la regarder faire, sans même pousser un cri. J’étais tellement épuisé, que je perdis connaissance.

Le lendemain, à mon réveil, en plein après midi, je ne ressentais plus de douleur, et je pensais que la nuit passée n’était qu’un affreux cauchemar. J’étais en forme et reposé, près à me remettre à l’action et à oublier ce rêve ignoble. Je regardais autour de moi et tout était impeccable. Les draps étaient propres, et elle n’était pas là.

La maison était de nouveau accueillante, mais je n’avais aucune envie de rester un jour de plus après avoir fait ce rêve. Je décidais d’aller la voir dans la chambre principale pour lui dire au revoir.

En entrant dans sa chambre, j’entendis un bruit sourd et grave, comme un ronflement. Je l’appelais en vain, je restais sans réponses. Le bruit sourd venais de sa salle de bain. J’étais inquiet. Est-ce qu’elle allait bien? Pourquoi elle ne répondait pas?

Avant d’arriver à sa chambre, j’avais fais un tour rapide dans la maison et je ne l’avais pas trouvée. Sa voiture était toujours là, elle devait donc être à l’intérieur. Que se passait-il dans cette foutue maison!

Je l’appelais une dernière fois avant d’ouvrir la porte de sa salle de bain, et quand je l’ouvris, ce fut l’horreur!

C’était elle, dans sa baignoire. Il y avait du sang partout, sur les murs et les fenêtres. Son corps s’était métamorphosé! Sa tête avait triplé de volume et elle affichait un grand sourire effrayant. Son cops était recroquevillé sur lu même, avec ses membres atrophiés et blanchâtres. Son énorme tête dépassait de la baignoire et ce ronflement assourdissant vibrer l’eau de la baignoire. Ses yeux globuleux éteint fermés comme si elle était endormie. Je voulu partir quand elle ouvrit les yeux et me fixa. Je pensais que ma vie s’arrêterait là. Je sentais mon cœur battre dans mes oreilles.

Le sourire grandissant et d’une voix grisante, elle me dit: << Rentre chez toi! Merci pour la nuit! >> Je m’empressa alors et couru en dehors de cette maison. 

Ce jour là, je suis rentré chez moi en repensant aux derniers mois. Ma liaison torride n’était qu’un film d’horreur de mauvais goût.

Après cette journée, je ne retrouva plus la force de travailler, j’ai donc démissionné.

J’avais tellement négligé ma femme et mon fils que je ne trouvais même pas le courage d’aller à leur recherche ou même de les contacter. Que ce soit nos amis ou ma femme, elle m’avait , semblait-il, définitivement oublié et j’avais trop honte pour la revoir. Je pensais qu’en laissant passer quelques jours, histoire de me remettre de cette horrible histoire, je reprendrais des forces pour aller les chercher.

Les jours se transformaient en semaines et les semaines en mois.

Trois mois après cette nuit, trois mois après avoir tout essayé pour l’oublier, je revis cette bête dans ma maison, dans mon lit!

Je dormais paisiblement quand j’entendis ce ronflement, le même que celui de cette bête. Je me retourna dans mon lit et elle était là, allongée près de moi, avec ce grand sourire, me regardant droit dans les yeux.

Tétanisé, je ne pouvais bouger. Je passais alors le reste de la nuit à la fixer, sans pouvoir dire un mot.

C’est ainsi que chaque nuit, depuis plus de cinq ans, je m’endors puis je suis réveillé en plein milieu de la nuit par ce ronflement. Je passe le restant de mes nuits à la fixer. Des nuits pendant lesquelles cette bête, qui était autrefois l’objet de mes fantasmes, glousse, ricane, gémit et me chuchote des mots doux. Et chaque nuit, je suis tétanisé.

Je commençait à en perdre la tête! Je perdais la mémoire petit à petit.

A ce jour, je ne me rappelle ni du nom de ma femme, ni de celui de mon fils ou même encore de celui de cette bête

Je ne me rappelle pas du nom de la société dans laquelle je travaillais. J’ai oublié une grande partie de mes moments heureux dans mon mariage, mais je sais que je l’ai été, je vous le jure, je l’ai été. Et je les regrette tellement!

Je ne sais même pas comment j’ai fais pour arriver à Libreville il y’a de cela trois ans.

Tout ce que je sais c’est que je pointe mes journées à l’usine de SOBRAGA, je paie le loyer de ma chambre américaine près de la gare d’Owendo, et que le seul réconfort que j’ai après ces années de torture, c’est ma bière bien fraîche. Une seule bouteille me suffit. Je la savoure ici dans ce maki, sur cette table cela fait déjà trois ans.

Mais aujourd’hui, pour la première fois depuis mon arrivée à la capitale, je suis heureux et soulagé! Car hier dans la nuit, après avoir gémit tel un animal, gloussé et ricané pour la nième fois, cette bête m’a enfin dit quelqu’un chose de réconfortant. << Demain je te libère et tu ne me verras plus jamais >>

Je ne sais pas pourquoi mais je crois cette créature.

Oui, mes amis, elle va enfin me libérer! Alors peut être que je me souviendrais du nom de ma femme et que je pourrais enfin la retrouver et serrer mon petit garçon dans mes bras. Les embrasser tendrement comme je le faisais avant d’aller au travail.

Sur ces mots, je vous laisse mes frères! J’espère avoir résolu le mystère qui pesait sur moi depuis mon arrivée dans ce maki. Ce soir, je dors en paix pour la première fois depuis des années.

Passez une agréable fin de soirée. Ce fut un plaisir de vous partager mon histoire. J’espère vous revoir ici demain. >>

Il se leva, les yeux larmoyants, se dirigea vers la sortie.

Mes collègues et moi étions sous le choc. C’était peut être l’alcool qui nous avaient secoués, mais l’ambiance après son départ était toute autre.

Après quelques verres de plus, nous sommes rentrés chez nous. Le jour qui a suivi, on a pas revu le Monsieur du bar. Ni le surlendemain et encore moins la semaine d’après. Peut être que sa confession l’avais poussé à ne plus revenir dans le maki.

Quelques jours plus tard, tout le monde parlait d’un découverte macabre dans le voisinage. Un cadavre en état de décomposition dans une petite chambre du quartier. Sa description, selon de nombreux témoins, m’était familière.

<< Son corps était recouvert de vers. Sa tête avait doublé, voir triplé de volume. Il était recroquevillé sur lui même, les membres atrophiés. Le plus terrifiant étant son grand sourire. Comme s’il était heureux de mourir. >>

ça ne faisait aucun doute, c’était bien lui, notre homme mystère. Cela m’avait profondément attristé. Cependant, j’espérais de tout cœur qu’avant de mourir, il avait pu se souvenir des moments heureux avec sa famille.

Et chaque fois que je rentrais dans ce maki, je m’attendais à le voir dans son coin, silencieux et mystérieux comme à son habitude, entrain d’observer la salle en savourant sa bouteille de Regab.

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3 Commentaires
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Haldur d'Hystrial
1 année il y a

Bonsoir Manem, l’histoire est intéressante et prenante jusqu’au bout. Donc bien.
je trouve que l’ensemble est bien écrit, mais il y a un problème avec les verbes.
ex : je m’exprima -> je m’exprimai, il y en pas mal comme ça. Il y a aussi quelques soucis entre imparfait et passé simple, mais en général ça va.

Relph Valdy KOPA ONHO
11 mois il y a

Belle Histoire, captivante, émouvante. Elle suscite un peu de frayeur mais dans l’ensemble l’histoire est bien écrit, du courage….

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