Et elle se rapprochât. Je la vis apparaître au bord du couvercle du piano, largement ouvert. Je détestais jouer piano fermé ou entrouvert. Bientôt un petit funambule se balançait au bout de son fil au rythme de la musique. Mon premier mouvement fut de l’écraser presto et même prestissimo, mais je ne sais quoi retint ma main vengeresse. Il y avait comme une connivence entre elle et moi. Je la faisais danser au rythme de mes doigts sur le clavier. J’étais son deus ex machina.
Au bout de quelques semaines, j’en venais à attendre sa venue matinale pour commencer mes gammes. J’en vins même à m’inquiéter de sa santé. Elle passait des heures à se balancer sans se soucier de boire ou de manger. Bientôt, il y eut au bord du piano une petite coupelle à sa disposition avec selon les jours de l’eau, du lait et quelques friandises qu’elle ignorât superbement. De toute façon, les seuls moments où elle mettait pieds à terre de ses huit petites pattes poilues étaient ceux où la musique s’interrompait. A peine égrenais-je à nouveau quelques notes, qu’elle se précipitait à nouveau dans les airs pour entamer son ballet aérien.
Je n’en parlais à personne. C’était un secret entre elle et moi. Et puis qui m’aurait cru. Je vois déjà les articles dans les revues spécialisées : une araignée au plafond. Cela m’eut fermé définitivement l’accès aux salles de concert. On peut être pianiste et élever des loups. Le caractère sauvage et solitaire de l’artiste, sa sensibilité exacerbée, s’accordent bien à la nature indomptée de l’animal inapprivoisable. Mais une araignée qui se balance au bout d’un fil, fut-il de soie, c’est totalement ridicule.
L’ARAIGNEE QUI VOULAIT DEVENIR PIANISTE : chapitre 3
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