Manini trépignait dans les starting-blocks. Elle aspirait à être reconnue. Elle voulait rencontrer son public. Ce n’était pas sans risque. Je commençais par une modeste tournée en province. Et puis tout s’accéléra. La nouvelle fit le tour des media comme une trainée de poudre. Je reçus des propositions des plus grands cirques, un numéro unique avec un contrat pharaonique qui nous mettrait à l’abri du besoin pour le restant de nos jours. Effacés les tigres, les lions, les éléphants.
Manini n’était pas une bête de cirque : d’ailleurs est-ce que ça existe les bêtes de cirque ? Elle refusât.
Les concerts en province ne furent pas un succès. Il y avait foule à l’entrée, mais les spectateurs refusaient d’occuper les 18 premières rangées de sièges. Et comme les salles étaient petites, elles restaient aux trois quart vides. Nous rentrâmes à peine dans nos frais.
De plus une bonne partie du public était constitué d’arachnophiles convaincus qui ne connaissait rien à la musique et qui ne s’intéressait qu’à l’araignée vedette. Le contenant cachait le contenu auquel de toute façon il n’avait pas accès. Rien de pire que d’être écouté pour de mauvaises raisons. C’est comme si on apprivoisait un renard pour la qualité de son poil.
Les télévisions vinrent frapper à notre porte. L’émission en prime time dépassa tous les records d’audience mais fut une déception profonde pour Manini.
Le grand public était un petit public, nombreux certes, mais qui ne s’intéressait qu’à la frime et aux effets de manche.
La musique intérieure d’Arachmaninoff, dont la musique extérieure n’était que le reflet restait inaudible.
Quant au petit public averti des musicoplhiles, perdu dans la dissection du jeu arachnéen, il n’entendait pas l’essentiel.
Pire encore, le syndicat des pianistes concertistes s’opposa à ces concerts. Pourquoi pas un orchestre d’animaux, disait-il, avec un phoque à la contrebasse, une girafe à la harpe et des calmars aux premiers violons.
Et bientôt la ligue de protection des animaux entra dans la danse. Manini devint dans les médias une bête exploitée, une bête de concours agricole pervertie par un pianiste minable en quête de célébrité.
C’était comme une montagne de détritus avariés qui se déversait sur nous en permanence. Nous prîmes des vacances.
L’ARAIGNEE QUI VOULAIT DEVENIR PIANISTE – chapitre 14
2 mins