Ce furent ensuite des années de tâtonnements, de manipulations, d’essais. Nous renonçâmes très vite aux accouplements. Trop douloureux et trop dangereux. Je frémis, rien qu’à envisager qu’une boule chélicérique se fût détachée.
L’insémination était plus appropriée. Ce qui n’empêche pas qu’elle se jetait irrépréciblement sur la pipette fécondatrice, une fois le sperme déposé en elle.
A force de cultiver toutes sortes d’algues unicellulaires et d’y mélanger le sperme, je finis par obtenir des spermatozoïdes verdâtres qui pouvaient survivre des mois sans nourriture organique, à condition qu’ils soient correctement hydratés et éclairés. Le transfert des chloroplastes avait eu lieu.
Il fallut ensuite recourir à un traitement hormonal et au prélèvement d’ovules. Ce qui fut fait et bien fait.
Fécondés in vitro, ces ovules donnèrent des œufs viables, qui, à leur tour, prirent une belle couleur verte. Et de divisions cellulaires en divisions cellulaires, les cellules restèrent vertes, sans dilution. Non seulement les cellules se divisaient, mais les chloroplastes avec elles.
Tous ces œufs en pleine maturation ont été intégrés dans un cocon translucide tissé avec amour par Manini. Et puis nous l’avons glissé de concert dans le piano Steinway.
Et nous attendons.
Combien d’yeux et de quelles couleurs, combien de pattes, de jambes, de bras, de chélicères, de dents ? Nous ne savons pas. Nous sommes au cœur du mystère de la vie qui se construit et grandit en silence et en musique.
Cette fois-ci, nous sommes prêts, tous, et vous aussi chers lecteurs, à accueillir les humachnides chloroplastiques.
L’avenir n’est jamais tel que nous l’attendons. Il est plein de surprises. Il est toujours dérangeant et meilleur que ce que nous en attendions.
L’ARAIGNEE QUI VOULAIT DEVENIR PIANISTE – chapitre 23
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