La sans-couleur

7 mins

Depuis combien de temps, de saison, sa gorge n’avait plus accueilli l’eau polluée qui la gardait en vie? Comment pouvait-elle le savoir, elle qui vivait dans le noir, ne sachant plus quand le jour se levait, quand la nuit tombait. Savait-elle toujours discerner les étoiles du soleil? Le ciel des nuages? Non. Mais elle savait discerner les bruits de pas qui approchaient de la petite salle où elle était enfermée, elle savait différencier ceux qui venaient lui jeter une cruche à l’eau croupis et ceux qui venaient la frapper, par jours de pluie.

Elle se concentrait sur les murs de terre qui l’enfermait pour ne pas perdre sa conscience, ses doigts étaient fins, fins comme les bâtons de miel que les enfants du village habituellement suçaient avec plaisir, grattant inlassablement le mur terreux, la poussière venait s’ajouter dans l’air saturé de la petite cave. Elle étouffait.

Ses larmes ne pouvaient plus couler de ses yeux trop pâles pour la lumière, cette enfant qui n’osait pas respirer l’âcre odeur qui embaumait la pièce, elle espérait toujours . Ses joues creuses sans la moindre ride de sourire étaient salies de charbon, car quand l’hiver cruel approchait elle se collait contre les anciennes braises dans l’espoir de trouver un peu de chaleur. Elle n’aimait ni l’été, de sa terre aride au soleil tranchant où elle ne pouvait que brûler, ni l’hiver, qui humide et menaçant la glaçait.

Ses ongles en sang cessèrent de s’acharner sur le mur de boue séchée, la teinte carmin qui s’écoulait lentement le long de ses mains était la seule couleur qui pouvait se vanter d’aviver sa peau trop blanche. Ses haillons déchirés coulaient sur les courbes chétives de son corps, elle ne pouvait se souvenir de leurs couleurs initiales car maintenant les bouts de tissu étaient trop sales. Son visage résiné s’abaissa et une mèche blême tomba sur sa joue, elle se colla sur une ancienne tranchée de pleure qui s’était asséchée depuis qu’ils ne la nourrissait plus.

Elle n’avait plus mal, d’ailleurs elle ne sentait plus la douleur. Pourtant elle avait peur, peur qu’on l’ai oubliée dans ce trou. Ses lèvres n’étaient plus que de vives crevasses incolores dont aucun mot ne pouvait s’échapper. Elle se leva et s’appuya contre la paroi terne pour atteindre un tas de paille qui lui servait de lit, elle se coucha doucement dessus et observa dans la pénombre ses maigres membres. Elle avait si faim qu’elle l’avait oubliée. Seul son souffle permettait de penser que son maigre corps possédait encore la vie.

Autour de ses chevilles un bracelet de bleues s’enroulait imitant langoureusement un serpent.

“-Quel âge a la Sans-couleur?

Avait demandé un habitant du village au marchand qui la possédait, à travers les pans de toile vert pastel de la tente où ils vivaient depuis plusieurs semaines. Elle observait de ses yeux pâles la scène. Le grand marchand avait ricané, pointé son étalage du doigt et dit de sa voix grave et sûre;

-Les produits en vente sont présentés là et nulle part ailleurs.

Le villageois était reparti.

Le marchand de la Sans-couleur était gentil et attentionné, même s’il la gardait dans le seul but de l’exposé au moins, lui, il la gardait en vie, lui contait des histoires le soir autour du feu, des contes accompagnés de dattes et de musique. Alors la Sans-couleur l’aimait bien. Alors le marchand l’aimait bien. Elle ne se souvenait plus d’avant, le marchand peuplait tous ses souvenirs, autant à la manière d’un père que d’un frère.

Trois jours plus tard il avait prévus de répartir, la Sans-couleur était habituée aux sables du désert, aux méandres des chameaux qui la berçait le long des traversés et aux odeurs fortes de tabacs que son maître fourrait dans sa longue pipe d’ivoire jaunis par le temps. Elle savait qu’il allait partir, mais elle avait aussi deviné que se serait sans elle car les yeux de son maître la fuyait et, quand ses prunelles se plantaient dans les siennes elles n’était plus de leurs éternelles duretés olives, elle étaient larmoyantes implorant un pardon sans excuse.

A l’aube il avait préparé tous les sacs puis il s’était tourné vers elle et avait attaché une corde effritée autour de sa cheville, elle n’avait pas bronché. Quand les yeux olives et dure de son gentil maître trouvèrent les siens il lâcha un seul mot, le dernier vrai mot qu’on lui ai dit jusqu’à maintenant;

– vis.

Puis il partit. Il vivrait seul dans le sable, les méandres, les odeurs du désert. Sous le soleil agressif de la ville de boue, la Sans-couleur tira toute la journée sur sa cheville, elle tira dans l’espoir de rejoindre son marchand, autours d’elle des rires blessants, des pierres violentes, elle prenait les coups et les insultes dans l’espoir que son gentil maître aux yeux olives et dures, à la voix grave et sûre revienne.

Il ne revint pas.”

Elle remonta du bout des doigts, le long de sa cuisse; il y avait un brûlure.

“le villageois gras au dents pourris comme son caractère prétendait l’avoir acheté. Son crâne dénudé d’intelligence autant que de cheveux cramés au soleil.

C’était l’été, plus que n’importe quel jour l’astre astringent brûlait dans le ciel bleu et nu de la ville de glaise.

Ils avaient compris que sa peau était tel un parchemin qui crépitait dans un feu, ils l’avaient donc enchaînée à lumière, l’avait laissé le jour le plus chaud de l’année, l’avaient abandonné sous la chaleur écrasante du ciel. C’était ainsi que la Sans-couleur garda sur sa cuisse une marque brûlé, couleur réglisse. La douleur ne s’estompa qu’une dizaine de jours plus tard, quand enfin elle put se mettre à l’ombre.

Après ça elle se cachait sans cesse dans les angles des maisons, dans la claire pénombre des étales les jours de marchés. La Sans-couleur avait encore une fois découvert la peur, elle avait peur du soleil, et elle ne pourrait jamais l’oublier.”

Sa main anguleuse remonta jusqu’à son sexe. Une grimace de haine se dessina sur sa bouche sèche.

“La nuit était tombée sur le village de terre, elle s’était, comme toujours, recroquevillée en boule sur un drap. Le gros homme était absent durant la journée, elle ne s’en était pas plaint. Des ses doigts elle jouait avec les ombres enfantines que l’encre dans la lumière peignait.

Il y eut un rire semblable à celui d’un démon. L’homme gras était rentré. Elle se cacha sous le fin tissu déchiré et rapiécé, l’homme arriva puant les herbes fumantes que son ancien gentil maître vendait. Ses yeux, rouges, luisant d’un éclat de méchanceté dans le noire. Sa voix tremblante et instable demanda impatientante;

– Eh bien la Sans-couleur, tu n’en as pas marre de dormir seule? Tu dois avoir peur à ton âge, non?

Elle retint sa respiration, faisant semblant de dormir, elle ne comprenait pas mais elle n’avait pas envie de comprendre. L’homme oscillant s’approcha à quatre pattes, soulevant la couverture qui protégeait imaginairement l’enfant. Son haleine folle emplit de postillons cracha comme du venin des mots faisant trembler les ombres du mur;

-Eh! depuis quand tu ose ignorer ce que je te dis!?

Les paupières de la Sans couleurs se refermèrent davantage. Pitié, pitié, murmurait-elle.

Il n’y eu aucune pitié, les main aux ongles coupant déchirèrent ses vêtements, la poigne violente saisit le corps faible de la Sans-couleur, le gros homme salivant s’empara de son corps, viola la neige de sa peau, fis couler les larmes sur ses joues, s’essouffla sur sa pureté, il dévora son innocence s’emparant de sa chasteté.

Elle n’arrivait plus à dormir la nuit, elle guettait les bruits, tremblant ainsi assise dans un coin, enroulée dans un frêle bout de tissu tentant de protéger ce qui restait de son corps perdu. Ses yeux noyés implorait au jour de se lever, car le jour la brûlait, certes, mais lui il ne la violait pas.”

Elle abandonna cette mémoire trop douloureuse et sourit en arrivant à son ventre.

“Lors d’un soir de printemps, un chaton était venu se coucher contre elle, combler ses cernes d’une odeur de lait. Toutes les nuit le malicieux félin venait, et de sa présence il paraissait la protéger, elle passait ainsi tout son temps à caresser la fourrure emmêlée mais douce du son unique ami.

Elle avait recommencé à jouer comme avant avec les ombres, pour voire le chatons tenter de les attraper, elle avait recommencé ses sorties dans les buissons de mûres a la recherches de quelques baies sucrée à croquer, elle faisait des châteaux de terre, observait les fourmilières, poursuivait les abeilles sauvages, chipais du miel et des fruits dans les vergers. Ses formes devinrent un peu plus rondes, ses fossettes se dessinèrent un peu plus…

Grâce au chaton, la Sans-couleur avait retrouvé un peu de son enfance.”

Elle redescendit, touchant son dos, une grande cicatrice rosée déchirait la toile de sa peau, de ses dents en perle elle déchira encore un peu plus ses lèvres pour retenir un râle.

” C’était la saison des pluies, cette année l’eau avait dangereusement monté dans les bordures du village.

Les enfants ne devaient pas s’en approcher. Les adultes devaient être prudents. Elle?

Elle devait juste être docile.

Ils s’ennuyaient peut-être, alors ils trouvèrent une attraction. Les gosses du village jetèrent dans l’eau le seul trésor de la Sans-couleur. Les cris des adultes avaient été remplacés par leurs ricanements impatients.

L’eau était froide, le courant était fort. Mais elle ne réfléchit pas, elle avait sauté, sous les yeux des villageois qui s’étaient amassés sur les gradins effrités des rives. Elle avait nagé, les yeux ouverts, à la recherche de son bien. Ses mains battaient désespérément l’eau, l’écume folle étouffait son souffle perdu dans le courant . Puis elle l’avait vue, désemparée elle l’avait saisi, les gloussements gras effrayaient et renforçaient ses craintes. Elle tenta de s’accrocher à la rive, serrant contre elle son petit bijou abîmé. Derrière elle, un arbre au bois écorché et mort s’effondra. Elle se souvenait parfaitement de la douleur de cet instant, le tronc d’arbre aux dents aiguisées d’échardes qui ouvrit sa peau tendre laissant ainsi s’étendre dans les flots du fleuve un liquide safran, teintant l’écorce de l’arbre d’un rouge violent.

Elle avait fini par atteindre la berge, elle rampait dans l’argile ferreux du sol, serrant contre elle la petite boule de poil inanimée, donnant sa chaleur fiévreuse à son seul ami. les larmes de désespoir coulaient de ses yeux usés par la lumière et la saleté de l’eau.

Le chaton était mort noyé.”

Ses mains s’enroulèrent à son coup, comme les hématomes qui rappelaient tous les étranglements qu’elle avait vu défiler banalement dans sa vie dénudée d’amour.

Elle toucha sa joue où les claques s’étaient abattues, jalouses les unes des autres.

Ses doigts caressèrent ses cheveux. La boue et les fruits pourris avaient taché ses boucles de neige.

Lentement elle leva ses mains écorchées aux poignets violacée par des cordes coupantes et déchirantes, celles avec lesquelles ont l’avait traîné jusqu’au tas de feuilles et de tiges où elle gisait.

Puis, doucement, un rire naquis dans sa gorge de feu, un rire de désespoir, de haine, de rancune, un rire si humain, pour une fille si pâle.

Elle détesta le gentil marchand qui l’avait vendu et qui n’était jamais revenu la chercher, l’homme gras qui l’avait violée, elle haït les villageois qui n’avait pas réagis à ses souffrances, ceux qui y avait participé, elle voulu la mort des enfant qui avaient assassinés son ami celle aussi de la mégère qui l’avait cruellement jetée là, elle souhaitait la souffrance des ignorants qui l’avaient ignorés, celle de ceux qui ne connaissait pas son existence torturée.

Elle se surprit ainsi, tel un squelette sans peau à détester le monde entier, alors elle pardonna aux autres, et surtout se pardonna à elle qui, reflet de ses pensées, s’était un court instant détester pour la blancheur de sa peau, celles de ses yeux, de ses lèvres, de ses paroles.

Le rire s’éteint, ses pensées avec.

La Sans-couleur avant de s’effondrer aurait aperçu des anges, et, étonnés, les anges l’auraient bercée, ils lui auraient demandée dans son dernier souffle glacée pourquoi elle s’était perdue, elle qui aurait dû, ange parmi les anges, régner. 

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