Ma coccinelle roulait comme à l’habitude, la suspension raide comme une barre de rouille. Mes tempes battaient un Djembé qui me résonnait dans le crâne.
L’élixir et l’alcool ne faisaient pas bon ménage. Le soleil était au zénith, la chaleur étouffante, la radio annonçait une canicule pour encore plusieurs jours.
Ce matin-là, en me levant, j’avais trébuché dans le boulet et bien failli me casser les dents contre le mur ! Il était temps que je paie une visite aux sorcières pour qu’elles me retirent ce fatras de fonte et d’acier. Le garde du Palais Céleste m’avait remis mon sac et mes clés de voiture, mais la clé du cadenas était introuvable. La bonne blague ! J’étais vraiment Mary la Guigne. En attendant, j’étais contrainte de le poser sur un vieux skate, question de faciliter mes déplacements.
Premier arrêt, “Chez Caro”, un salon de thé tenu par une amie des sorcières, une érudite en plantes médicinales qui en avait vu d’autres dans le monde des enchantements. Par courtoisie, elle ne me fit aucune réflexion sur mon bijou de fonte, seulement sur ma tronche. « Vous êtes un cas d’infusion de Gaulthérie et de Sauge, me dit-elle. C’est donc au son des rouages de mon skate que je m’installai à la table du fond, dissimulée derrière une lampe Tiffany. J’avais besoin de solitude et d’un plat à vomir.
Une fois arrivée à Salem, je fus accueillie par Aglaë, la plus vieille sorcière du clan. Vous dire les rires étouffés de la galerie quand j’entrai avec mon fardeau. L’une d’elle lança un fiel qui provoqua l’éclat de rire habituel à mon égard. « Alors Mary, toujours ce même talent ? » Les bonnes femmes éclatèrent toutes de rire en me montrant du doigt. Il fallait que je sois désespérée pour me pointer ici. Aglaë les fit taire, consciente de porter l’odieux de m’avoir admise dans la guilde. Son erreur datait de l’époque où je venais l’été avec le frère Jean.
Cette femme ressemblait à désormais à un buisson tordu, asséché par les années, ses doigts crochus comme des branche prêtes à casser. Sa peau couverte de pustules témoignait de son expérience canonique. La vieille érudite imposa le silence et me fixa d’un regard pénétrant.
« Mary, la clé est en toi. Nous ne pouvons pas t’aider. Depuis toutes ces années, comment peux-tu ne pas le savoir ? »
Aglaë s’en retourna à ses occupations, les autres sorcières dans sa foulée. Certaines d’entre elles se retournèrent pour me harponner d’un ton persifleur : « Du balai, l’étrangère ! T’as rien à faire ici. »
La décision d’Aglaë demeurait incompréhensible, même après toutes ces années. Qu’avait elle pu voir en moi ? Quel était cette chose qui refusait de se pointer et dont l’absence faisait de moi le bouc émissaire des plus hargneuses. Je n’avais rien dit à l’époque de peur de ne plus jamais pouvoir venir à Salem. Des années plus tard, je constatai que rien n’avait changé. Je n’évoluais pas. Mais à quoi bon, tout était foutu de toute façon.
Je repris donc la route en sens inverse, la gorge nouée et les yeux remplis de larmes. Même les puissantes sorcières ne pouvaient m’aider. Les paroles d’Aglaë ne faisaient aucun sens. Pourquoi se moquer de moi de cette façon ? Elle avait pourtant raison sur un point. Je perdais du temps.
En rentrant, je trouvai posé sur la table un bouquet de Glaïeuls avec une lettre écrite de la main d’Etherwood. Il me remerciait pour cette nuit passée ensemble. Il souhaitait me revoir très vite.
Mes pensées s ’embrouillaient, opprimés par trop d’émotions contradictoires.
Je me rappelais notre baiser, et quel baiser ! Ces messieurs du Conseil céleste pourrait m’accuser de péché de luxure tellement c’était savoureux…Rien que d’y penser je sentais la surface de ma peau frissonner de plaisir. Le parfum si minéral du professeur Etherwood m’enveloppait encore comme un écrin. S’en était suivi une danse voluptueuse, dangereusement exquise ! Nos deux corps se nouaient au rythme d’une musique envoûtante. Je crois bien m’être sentie comme un ange en plein vol. Cet homme avait la capacité de s’adapter instantanément à mon besoin, c’en était étrange. Et puis, il y avait cette attitude incroyablement sexy, malgré son allure de dandy du siècle dernier ! Trop peut-être pour être sincère. Je devais arrêter de rêver ! Comment pouvait-il vouloir de moi à ses côtés ?
De toute façon, nous étions à quelques jours de tous se retrouver en enfer, alors à quoi bon…
Je me souvenais aussi vaguement de notre départ du Bluewings, du trajet en limousine dans laquelle nous avions encore bu quelques coupes d’un excellent champagne de France, d’avoir franchi la porte dans les bras de James, puis plus rien ! Le trou de mémoire complet.
Il y avait bien eu durant la soirée quelques détails qui avaient réveillé en moi mes inquiétudes habituelles, mais le charme d’Etherwood avait opéré et j’avais préféré à ce moment-là ignorer des signaux plutôt inquiétants, comme ses yeux devenus couleur de la braise ou l’illumination de la gravure sur mon boulet alors que je suffoquais sous l’étreinte du collier de fer. J’avais mis ces événements sur le compte de l’alcool et de l’élixir, mais était-ce bien le cas ?
Le collier de fer s’était resserré lorsque, pendant ce baiser, mes pensées avaient dérivées sur de la Forge et sa façon condescendante de me traiter, alors que j’essayai de le prévenir du danger imminent.
Et cette clé disparue. Le Sylvanium ne semblait pas me croire. Aglaë avait raison, j’avais perdu beaucoup trop de temps. Si l’apocalypse à venir pouvait apporter quelque chose de bon, c’était qu’elle allait m’épargner du rejet éventuel d’Etherwood. Mieux valait profiter d’un peu de bonheur avant l’enfer.
Je sentis que j’allais perdre pied, j’étais dans des sables mouvants, prête à sombrer. Comme c’était le cas dans ce genre de situation, mes pensées se tournèrent vers la seule personne qui pourrait m’aider à ne pas me noyer dans mes doutes intérieurs. Le père Ronce.
Je pris la route en direction du laboratoire.
Ah ! Miss Grimmins est dans de beaux draps ! Mêmes les puissantes sorcières ne peuvent réussir à enlever cet enchantement ! Quelle est donc cette puissance qui cherche à l’attacher à la terre ? Ce boulet est-il une punition ? Ou une protection ? Qui lui a fait le coup ?
Je suis plein de questions ! Pleins pleins pleins de questions ! Maryse ! Tes lecteurs aussi sont pleins de questions ! Ouvre ton grimoire, trempes ta plume et écris-nous une suite à cette histoire tragique !
Ma plume glisse sur le papier, mon cerveau est en ébullition…la suite arrivera bien sûr !