Chapitre 2. VAN HOOD – Partie 2

10 mins

” – Pourquoi ? fut le seul mot qui sortit de ma bouche, une fois l’acclamation terminée. 

     Joseph voulut prendre la parole, mais Isabelle le retint par un geste de la main. 

– Tu es la première journaliste au sein de notre journal à avoir décroché une interview avec Andrew Van Hood en personne. Tu as su séduire son équipe de communication et son service de presse. C’est grâce à toi, il y a trois ans qu’on a pu révéler en exclusivité la passation d’Andrew à son fils Charlie. Tu sais poser les bonnes questions et mettre en confiance ceux qui te font face, les amenant habilement à révéler leurs secrets. Et puis, j’ai l’intime conviction que toi seule parviendra à mettre en lumière les zones d’ombre qui entourent ce dossier. Sans compter sur le fait que tes articles sont très appréciés par le public, ton style d’écriture a été capable de séduire une population réputée exigeante et méfiante à l’égard des journalistes, déclara-t-elle sous l’approbation Joseph, tandis que ses deux compagnons me sondaient, impassibles. 

– C’est aussi la fiancée de Charlie Van Hood, marmonna un homme au fond visiblement atteint dans son égo. 

Je me tournai vers ce-dernier qui eut pour unique réponse, mon regard le plus noir. Je sentais monter en moi cette excitation réveillant alors de sombres désirs nourris par celle qui sommeillait en moi. Je tenais enfin ma vengeance. En dépit du fait qu’Andrew Van Hood ait changé ma vie en m’offrant la possibilité de rentrer au Boston Globe grâce à cette fameuse interview qui par la même occasion m’avait permis de rencontrer mon futur mari, je n’avais jamais oublié qu’il était à l’origine de l’effondrement de ma famille, il y a cinq ans. Si Elias était parti c’était à cause de lui et de sa foutue proposition. Mon frère n’avait  jamais voulu nous dévoiler en quoi avait véritablement consisté ce test d’armes. Il nous avait toujours opposé l’argument selon lequel il était question d’une affaire classée secret défense et qu’à ce titre il ne pouvait rien révéler. En dépit de toutes les ruses dont j’avais fait preuve, il s’était obstiné dans son silence. J’avais alors conscience que je tenais là ma seule chance d’apporter les réponses à ces questions qui me tourmentaient depuis trois ans. En outre, j’avais l’opportunité de faire tomber l’homme que je méprisais le plus au sein de la famille Van Hood. Ce patriarche qui n’avait jamais manqué une occasion de me jeter à la figure sa réussite avec cette arrogance horripilante. Je tenais l’avenir d’Andrew Van Hood entre mes mains avec un plaisir non dissimulé. Je sentais la vraie Kaylah s’éveiller doucement imaginant l’éventualité de voir le Roi tomber de son trône sous les coups d’une vérité que mon instinct jugeait terrible. Seulement ma raison s’opposait vaillamment à l’occasion qui m’était donnée. Le danger rôdait et il n’était pas négligeable. Le défi que venait de mettre Isabella entre mes mains pouvait être l’étincelle qui ferait tout exploser autour de moi. 

– Est-ce que cela te pose problème, parce qu’on peut…commença Joseph en haussant un sourcil interrogateur. 

– Non ! répliquai-je, ne lui laissant aucunement le temps de répondre. Je suis ravie et honorée de pouvoir te succéder Isabella, ajoutai-je, sentant cette force incendiaire se propager jusqu’au plus profond de mon âme alors qu’Emilie me faisait les gros yeux. 

– Mais penses-tu que ta vie privée pourra y survivre ? insista Joseph, la malice au coin des yeux. 

– Ce qui se passera au Globe restera au Globe, assurai-je en lui répondant avec défi, ignorant ma meilleure amie qui ne partageait vraiment pas cet avis. 

– Bien. Jack et Simon te feront un débriefing par email et te transmettront le dossier. 

  La vraie Kaylah ne pouvait pas laisser passer cette chance de pouvoir connaître ce que son frère s’évertuait à lui cacher depuis trois années. Elle ne pouvait pas donner l’occasion de destituer Andrew Van Hood de ses nombreux privilèges au premier venu. En outre, elle se réjouissait d’avance, se moquant éperdument des conséquences que cela pouvait avoir. Elle n’avait aucun état d’âme. Cette femme que j’avais refoulé durant tant d’années, au point d’en incendier ma chair,  était devenue bien plus forte que je ne l’aurais pensé. C’était elle qui avait pris les devants, me narguant, tandis que ma raison la regardait avec inquiétude, hantée par les souvenirs du passé. Elle avait beau me chuchoter que tout était différent et que cela se passerait bien, ma raison continuait de redouter que les erreurs commises par le passé trouvent un écho semblable dans un futur proche. 

–  Tu sais que tu me fais peur parfois, me confia Emilie, à la fin de la réunion, tandis que nous rejoignions l’open space. 

– Pourquoi ?

– Parce que toute personne un minimum sensée, dans une pareille situation, aurait refusé.

– Dans ma situation ? relevai-je ne voyant pas où elle voulait en venir.

– Dois-je te rappeler que tu vas te marier à Charlie Van Hood dont le destin est de reprendre le flambeau de l’entreprise que tu t’apprêtes à attaquer. Et bien sûr, cerise sur le gâteau il est le fils d’Andrew Van Hood, l’homme dont Joseph réclame la tête depuis des années. Alors imagine juste un instant découvrir des choses qui te déplaisent, voire pire qui mettent ta vie en danger ? Tu risques de faire exploser ton couple, ta famille avec ce dossier, en as-tu seulement conscience?

– Tu exagères, soufflai-je en haussant les épaules, m’installant à mon bureau en face du sien, dissimulant mon inquiétude.

– Pandore a dû se dire la même chose que toi avant d’ouvrir la boîte. 

– Les Van Hood ne sont pas des mafieux non plus ! Ce qu’ils cachent ne peut pas être aussi terrible que les crimes de la pègre, rétorquai-je constatant que les choses prenaient une tournure risible. 

– Qu’est-ce que tu en sais ? lâcha-t-elle en haussant un sourcil. 

   Je ne répondis pas, plongeant mes yeux dans le regard craintif de ma meilleure amie. Je savais ce qu’elle pensait de tout ça et cela ne présageait rien de bon. Je connaissais Emilie depuis l’école primaire. Elle était la seule à ne pas m’avoir tourné le dos quand mon père avait été incarcéré après le braquage d’une banque. Elle ne m’avait pas jugé quand la vérité sur mon travail au Devil éclata. Elle m’avait toujours soutenue car elle n’avait jamais cru que la vraie Kaylah était capable de faire ce qu’aucune personne n’aurait accompli sciemment. Selon Emilie, les aléas de ma vie m’avaient conduite à prendre de mauvaises décisions, à emprunter des chemins obscurs, tout en subissant la cruauté des autres. Elle ne voyait pas ou ne voulait pas voir la femme dangereuse que j’étais réellement. Elle s’était laissée berner par les rôles successifs que j’avais endossés pour préserver mes proches. Emilie était convaincue que nous étions semblables alors qu’en vérité elle était mon strict opposé. 

C’était une femme douce, pure, et indiciblement naïve. En dépit de son insolence qui constituait cette barrière fragile qui la protégeait, elle pouvait se laisser endormir par les belles paroles qui sonnaient dans le creux de ses oreilles, refusant de voir la cruauté du monde dans lequel nous étions immergés. Elle avait toujours fait preuve de sagesse, prudente dans ses choix, n’écoutant que la voix de sa raison, aveugle devant toutes les tentations pouvant la détourner du droit chemin. A l’inverse, je les embrassais toutes. J’étais l’imprudence incarnée, excitée par le danger, nourrie par l’adrénaline qui coulait dans mes veines, me procurant cette ivresse dont j’avais terriblement besoin pour me sentir libre. J’étais loin de l’image parfaite que je renvoyais. Cette jeune femme réservée, prudente, qui disait oui quand on voulait qu’elle le dise ou qui disait non quand le contraire était inenvisageable. J’étais celle qui existait selon les désirs des autres et non selon les miens. Si je me forçais à investir ce rôle que l’on me donnait depuis mon plus jeune âge, c’était pour ne pas perdre les gens que j’aimais, pour ne pas blesser, ni heurter, ceux qui tenaient à moi, qui m’avaient soutenue et supportée. Alors quand il arrivait que je cède à cette personnalité flamboyante qui me hantait, l’étonnement était toujours très grand. L’inquiétude investissait leurs regards, comme si j’avais succombé à une folie irréversible. A cet instant, Emilie me montrait dans ses grands yeux noirs la frayeur d’être témoin d’une tempête dévastatrice contre laquelle elle serait impuissante. 

– Je gère, promis, dis-je reprenant alors contrôle sur l’image qui était la mienne, même si je pouvais deviner le sourire victorieux de la Kaylah dangereuse. 

– Que Dieu t’entende, lança Emilie avant de mettre ses écouteurs. 

   Emilie était une femme charmante. Une métisse d’un mètre soixante quinze, avec une longue chevelure de jais, de grands yeux noirs d’une douceur infinie. Toujours joviale, savourant la vie raisonnablement et remerciant un Dieu dont elle vénérait la présumée existence. Elle était fille de pasteur, et sa mère était institutrice. C’était la deuxième d’une fratrie de quatre garçons. Son éducation l’avait conduite à ne pas goûter au péché charnel jusqu’au mariage, ce qui l’avait rendue fleur bleue, rêvant du prince charmant, et se détournant de tous les mâles qui lui tournaient autour, même si parfois la tentation était là, lorgnant le moment où elle deviendrait faible. Ce qui nous avait réunies, c’était notre passion pour les livres et pour l’écriture. Lorsque j’avais changé de collège, on continuait toujours nos soirées pyjamas dans sa chambre, refaisant le monde ou s’informant des rumeurs qui couraient dans les rues. Nous nous étions aussi aidées, mutuellement, pour les journaux de nos lycées respectifs. On était toujours à l’affût des moindre faits et gestes de nos voisins, de nos camarades de classe, s’amusant à percer leurs secrets, à ouvrir des portes qui nous étaient interdites dans l’espoir de trouver la vérité. Nous avions ce même désir de percer les mensonges qui nous entouraient, refusant de croire avant de voir. C’était ce qui nous avait amenées à vouloir rentrer dans le monde du journalisme. Nous avions admiré toute notre jeunesse ces personnes qui révélaient des informations parfois bouleversantes, remettant sans cesse en cause la réalité de ce monde. nous rêvions d’être l’un d’entre eux. Celles qui parviendraient à révéler une évidence qui changerait l’humanité. Nous nous étions donc retrouvées sur les bancs de la faculté et on ne s’était plus quittée depuis. Elle était rentrée la première au Globe. Un an plus tard, grâce à elle, je m’installais à ce bureau. Elle faisait donc partie de ceux que je ne voulais plus décevoir, que je ne voulais plus blesser, que je désirais protéger. J’étais tenue de lui envoyer l’image qu’elle s’était faite de moi, par crainte qu’elle finisse par me tourner le dos, à l’instar de mon frère. 

  Je me réfugiai dans la musique rock qui résonnait dans mon casque, tout en inspectant ma boîte mail. Le dossier de Jack et Simon m’était enfin parvenu, et je ne me fis pas prier pour l’ouvrir rapidement. Une centaine de pages avec les preuves, les témoignages, les articles, remontant les origines de VANHOOD Industries, que je devais décortiquer. Une réunion de débriefing était organisée dans deux jours, à l’initiative d’Edwing tenant à ce que je sois opérationnelle le plus tôt possible. 

   VANHOOD Industries avait été fondée à la fin des années 70 par Charles Van Hood, héros de la guerre du Vietnam, féru de bricolage et d’informatique. Il avait notamment participé à l’invention du GPS qu’il avait soutenu au département de la défense américaine, avec tout un tas d’autres copains. Il avait également soumis plusieurs armes perfectionnées à ce même département. Il avait entretenu une étroite collaboration avec le Pentagone, développant quelques logiciels avec son fils Andrew passionné d’informatique. Quand Andrew reprit la tête de VANHOOD Industries à l’aube des années 2000, l’entreprise valait déjà quelques millions de dollars. Il avait alors développé la technologie électronique et informatique, s’alliant avec des géants de l’automobile. Andrew avait également un frère cadet, Edward qui avait poursuivi des études en pharmacie, pendant lesquelles il avait rencontré Christopher Penninghton. Edward et Christopher, ainsi que toute une bande de chercheurs issus de la même promotion, avaient décidé de monter leur propre laboratoire spécialisé dans l’étude de la génétique et dans la recherche pharmaceutique à la fin des années quatre vingt dix. Il avait ainsi claqué la porte de VANHOOD Industries, se débarrassant par là même du joug familial. Ce fut le premier scandale. 

Un Van Hood quittant l’entreprise familiale qui commençait à peser dans l’industrie américaine quelques centaines de millions de dollars, n’était pas anodin. Ce qui avait surtout retenu l’attention était le fait qu’Edward avait emporté avec lui ses parts afin de monter son laboratoire dans l’Etat de New-York. En dix ans, le Laboratoire Penninghton devint l’un des cinq laboratoires les plus puissants du pays, ayant à son actif de fameuses découvertes sur le génome humain. Il avait été également à l’initiative d’une étude neurologique de grande ampleur qui avait rassemblé les grands spécialistes de ce monde. Ce sommet avait été organisé à Boston et avait eu un succès retentissant. 

Malheureusement en 2021, Edward décéda dans un tragique accident de voiture. Deux ans plus tard, Andrew racheta le laboratoire de son frère, l’intégrant au sein de son entreprise, créant ainsi une nouvelle branche au sein de VANHOOD Industries. Cette fusion ne fit qu’asseoir son hégémonie. Un an et demi plus tard, le département de la Défense américaine sous les ordres du Président des Etats-Unis déclarait la guerre à la Syrie et au Moyen Orient plus généralement, devenu une géante fournaise dans laquelle s’engouffrait plus de la moitié des pays occidentaux. Cette guerre dura plus de quatre ans et permit à Andrew Van Hood de se remplir les poches et de s’imposer dans l’industrie américaine et mondiale de l’armement, développant toutes sortes d’armes évitant par la même occasion que le conflit ne prenne une ampleur nucléaire. A la fin de la guerre, le Pentagone lui remit la médaille de l’honneur, pour avoir contribué à la victoire américaine. Seulement, quelques mois après l’annonce dans le Globe de la retraite d’Andrew Van Hood, cédant les rênes à son fils aîné Charlie Van Hood, un nouveau scandale éclata avec le témoignage d’une jeune femme syrienne devant l’ONU qui désignait Andrew Van Hood comme le diable en personne, responsable de la mort des siens. Cependant, personne n’avait su pourquoi de telles propos avaient été tenus. Certains journalistes dont le Globe avaient été interpellés par ses propos. Malheureusement elle succomba à un AVC à l’âge de trente-deux ans, quelques jours avant son interview au Globe. Après ce drame, Andrew Van Hood décida de retarder la prise de fonction en tant que PDG de son fils pour régler quelques problématiques en interne, selon les dires de son service de presse. 

Quelques mois plus tard, un autre scandale vint secouer VANHOOD Industries. Sarah Penninghton, fille unique de Christopher Penninghton, a été retrouvée assassinée à son propre domicile, alors que son père était encore à la tête de la branche de Recherche pharmaceutique et Médicale de VANHOOD Industries. Après ce drame, quelques semaines plus tard, Penninghton annonça lors d’une conférence de presse sa démission, déclarant que cette décision n’était pas liée au décès de sa fille, mais bien à des désaccords avec la direction de VANHOOD Industries. 

« Il faut qu’Andrew et le Pentagone prennent leurs responsabilités par rapport à ce qui s’est passé au Moyen Orient. La mort de ma fille n’est que la conséquence de décisions irréfléchies, d’actes manqués, qui auraient pu être évités, et aujourd’hui je veux m’acquitter de cette culpabilité qui pèse sur mes épaules depuis des années. Il est temps que VANHOOD Industries cesse d’ignorer les conséquences de leurs actes car Sarah n’est pas la première victime et elle ne sera pas la dernière. La liste est encore longue et des vies méritent d’être sauvées. » avait-il déclaré lors de sa dernière apparition publique sur CNN, avant de disparaître. Aujourd’hui, tous ignorent où se trouve Christopher Penninghton mais ses déclarations ont signé le début d’une course à la vérité sur VANHOOD Industries. Le Times ainsi que le Boston Globe, et d’autres journaux américains tentent de recueillir le maximum d’informations afin de percer le mystère qui entoure les dernières déclaration du scientifique dont il y a fort à parier que sa tête est mise à prix. 

« Que s’est-il passé durant la guerre ? Quel pacte a été conclu entre le Pentagone et VANHOOD Industries ? De quels horreurs sont-ils responsables ? Et pourquoi Sarah Penninghton a été sauvagement assassinée à son domicile ? » Telles étaient les questions soulevées à la fin du dossier que l’on m’avait remis. 

Je m’enfonçai dans mon siège, mes yeux rivés sur l’écran. Emilie avait raison. J’étais Pandore et je venais d’ouvrir la boîte. Ce qui allait suivre, changerait probablement mon existence. Je sentais le danger approcher, mon esprit s’électriser. Mon corps était en ébullition et mes pensées se bousculaient dans ma tête. 

– On va manger ? s’enquit Emilie en enlevant ses écouteurs. 

– Je suis d’accord, répondis-je avant d’éteindre mon ordinateur. 

  Ma raison s’alarmait mais il était trop tard. J’étais réveillée et déterminée à découvrir la vérité, qui sans le savoir se ferait au péril de ma vie. 

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