J’étais comme happée. Plus rien autour ne semblait exister à l’exception de ses prunelles marrons qui brillaient dans l’obscurité. Mon cœur s’emballait. Je sentis une vague de chaleur me submerger des pieds à la tête. Je me laissai entraîner dans un tourbillon incendiaire qui emportait toutes mes pensées. Il m’était impossible de me rappeler qui j’étais, ni même où je me trouvais. Tout cela n’avait plus aucune importance. Il continuait de me fixer sans avoir conscience des émotions indescriptibles qui m’amenaient sur des terres arides et inconnues. Mon cerveau noyé dans ses vapeurs, tentait de s’extraire de sa léthargie afin de connaître un peu plus amplement l’auteur de cet affolement. Dans l’ombre des corps, qui vivaient autour de lui, je pus prendre connaissance de cette silhouette athlétique accoudée au comptoir sa main droite tenant un verre rempli d’un whisky brun. Mon regard s’attardait sur les moindres détails. Il était à peine plus grand que moi. Il portait un jean sombre tombant sur des baskets blanches. Une chemise blanche, ouverte au col, venait redessiner ses épaules larges. Ses manches étaient retroussés sur ses avant-bras musclés où je pouvais entrapercevoir un duvet brun. Les traits de son visage avaient quelque chose d’enfantin tout en dégageant une aura mystérieuse voire dangereuse. Ses lèvres fines s’étiraient en un curieux sourire, dissimulées sous une moustache brune qui tombaient sur sa lèvre supérieure. Les arêtes de sa mâchoire étaient recouvertes d’une barbe naissante qui remontaient sur ses joues creuses. Son nez était long et fin. L’intensité de son regard était dû à ses épais sourcils noirs et broussailleux retombant sur l’arcade de ses grands yeux marrons. Quelques mèches brunes trainaient sur son front, tranchant avec sa peau claire. J’étais littéralement sous son emprise. Les violents battements de mon cœur, le souffle court de ma respiration m’assuraient que j’étais bel et bien vivante. Je commençais à sentir cette puissante attraction m’attirer vers lui. Les cellules de mon corps se bousculaient dans les moindres recoins de mon être, à l’instar des aimants attirés par une plaque métallique. Cet homme était la tentation incarnée et je m’imaginais déjà la croquer à pleine dent. Cependant ma raison freinait des quatre fers, m’empêchant d’y succomber.
– Kaylah ! Kay ! Dis-le si on te dérange ?! s’impatienta mon frère en passant sa main devant mon regard.
– Désolée, j’étais ailleurs, répliquai-je reprenant abruptement mes esprits en dépit de la fièvre qui brulait sur ma peau.
– Tu veux aller boire un verre ? Demanda-t-il impatient, un brin agacé.
– Oui, pourquoi pas, répondis-je tentant tant bien que mal de me ressaisir.
Je les suivis jusqu’à une table qui se trouvait dans un coin discret de la salle, juste au-dessus du comptoir du bar qui se trouvait sur la piste. Elias s’installa sur la banquette face à moi avec Anton. Je ne prêtai pas attention à ce qu’ils disaient, mon regard cherchant de nouveau le sien. Ma raison furieuse tentait de m’en dissuader, mais c’était plus fort que moi. Je désirais ressentir à nouveau ce feu en moi. J’étais comme une droguée à la recherche de sa dose quotidienne. Pourtant rien de tout cela n’était raisonnable. Je ne le connaissais même pas. Peut-être était-il dangereux ? Peut-être était-il marié ? Quoiqu’il en soit, je me rassurais en me répétant que je ne faisais rien de mal. Je cherchais simplement à satisfaire ce désir secret.
Je finis par retrouver mon bel étranger qui semblait occuper avec une blonde au physique avantageux. Il souriait à ses paroles, portant à ses lèvres les dernières gouttes de son breuvage. Je sentis la flèche de la jalousie piquer mon cœur. Ma mâchoire se crispa, et mon regard se détourna aussitôt. Tout cela était ridicule. D’autant plus que comme le rappelait cette petite voix angélique en moi, j’allais me marier. Ce n’était clairement pas le moment de flirter avec le danger. Pourtant ce que j’avais ressenti quelques instants plus tôt, m’était totalement étranger. Jamais un homme ne m’avait autant attiré. Pas même Charlie. Je me souvenais qu’il avait suscité mon intérêt mais cela avait été différent. Cet homme-là, avait embrasé tout mon être d’un simple regard. Aucun avant lui n’y était parvenu. Moi qui n’avais jamais cru au coup de foudre, m’interrogeai aujourd’hui. Est-ce que c’était vraiment cela ? Ou était-ce simplement une montée d’hormones destinée à combler un manque ? Un appétit sexuel insatisfait ? Je n’en savais rien. J’avais toujours pensé qu’il s’agissait d’une légende contée aux petites filles pour les faire rêver. Je freinai cette envie de le rejoindre, pour comprendre ce qui s’était produit, savoir s’il avait ressenti la même chose. Je finis par me raviser, laissant ma raison enfermer la furie en moi. Je restai vissée sur la banquette, abandonnant toutes ces pensées impures.
– C’est sympa ici, confia mon frère après avoir inspecté la salle comme s’il allait en faire l’acquisition.
– Ouais, c’est cool, ajouta Anton en l’imitant.
– C’est un club de riche quoi, maugréai-je luttant pour ne pas regarder en direction du bar au-dessous de nous.
– Et qui a dit qu’on ne l’était pas ? releva mon frère sur un ton arrogant, comme il en avait l’habitude.
– Pas à ce point-là, rétorquai-je en désignant la Rolex au poignet de la femme installée à la table à côté de la nôtre.
Un serveur vint prendre notre commande. Je m’étais contentée d’un verre de Chardonnay tandis que les deux garçons avaient commencé par un Sex On the Beach. Je finis par me détendre en sentant couler dans ma gorge ce liquide frais et doux, un brin sucré. J’occultais de ma mémoire ce qui s’était produit à notre arrivée, me concentrant sur les récits de mes compagnons. Elias nous faisait part de ses aventures en Amérique du Sud. Il racontait en détail ses visites dans les temples Inca, enchaînant sur son excursion en pleine forêt amazonienne. Je l’imaginais sur sa barque suivant le courant du fleuve amazone, bercé par les bruits de cette nature implacable autour de lui. Néanmoins Anton venait rectifier ses propos, apportant un peu de réalité à ses récits.
C’était une tradition. Lorsque mon frère revenait de ses nombreux voyages avec Anton, nous nous retrouvions autour d’un verre. Là, il partait dans ses divagations, amplifiant les détails des événements impromptus auxquels ils avaient dû faire face. Anton tentait de le ramener sur terre et s’en suivait de petites chamailleries allant jusqu’à me faire rire. Le temps d’un court instant, j’oubliais les heures qui continuaient de défiler et l’endroit où nous étions.
– Elias Guajira et Anton Skelton ! lâcha un ténor inconnu derrière moi.
Tous mes muscles se raidirent subitement. Je n’avais pas besoin de me retourner. C’était comme si je connaissais cette voix. Mon cœur s’emballait derechef. Mon souffle était court. Mes mains, moites. J’avais l’étrange sensation d’être liée à lui par une connexion étrange. Ma peau frissonna. Mon esprit imaginait sans mal cette silhouette derrière moi. Je serrai les poings tentant de contenir cette furie en moi qui menaçait de ruiner tous les efforts que j’avais entrepris pour la retenir. Elle bouillonnait, agitée par une frénétique excitation.
– Noah Elsen ! s’exclama mon frère visiblement surpris et heureux, se jetant virilement sur notre inconnu qui avait désormais un nom.
Anton l’imita, un large sourire sur ses lèvres, lui assénant une frappe dans le dos. Je les observais sans bouger.
– Je te présente ma sœur Kaylah. Kaylah, je te présente Noah, un ami, ajouta Elias en se retournant vers moi.
Noah me tendit sa main. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire charmeur. Ses yeux se plantant dans les miens, réveillant une nouvelle fois ces flammes autour de moi. J’observais cette main, d’abord réticente. Cependant, si je n’obtempérais pas, cela deviendrait suspect. Dans un soupir, j’avançais mes doigts vers les siens. Ma raison s’affolait tandis que l’autre trépignait d’impatience à l’idée de ce premier contact. En bref, c’était littéralement le chaos dans ma tête.
Tout se passa très rapidement. Au moment même où ma paume trouva la sienne, ses doigts, puissants me retinrent prisonnière. Le monde autour de moi s’effaça à nouveau. La vraie Kaylah se perdait alors dans les flammes d’un désir, tandis que ma raison s’efforçait de la retenir. Elle m’empêchait par la même occasion de quitter ma place. Son sourire s’étendit sur son visage. Son étreinte se resserra. A cet instant, précisément, je sentis une décharge violente saisir ma main, contractant tous les muscles de mon bras. Je me retirai, saisie par cette douleur soudaine qui me ramena brutalement à la réalité. Durant une fraction de seconde, je vis sur ses traits qu’il était décontenancé avant de reprendre une expression neutre.
– C’est un plaisir de te rencontrer Kaylah. Ton frère n’a pas arrêté de me parler de toi, assura-t-il un rictus au coin des lèvres.
– Que fais-tu ici ? s’enquit mon frère ne me laissant pas le temps de répliquer.
– J’avais quelques petites affaires à régler et puis j’ai profité de cette soirée pour prendre du bon temps, répondit-il d’une voix qui m’hypnotisait littéralement.
Mon regard n’arrivait pas à se décrocher de sa silhouette. Les battement rapides et violent de mon cœur tourmentaient ma poitrine. Le sang qui se déversait inlassablement sous ma peau semblait être en ébullition. Quant à mon esprit, il était tout simplement devenu un véritable champ de bataille. Dans un vacarme assourdissant, mes pensées se heurtaient, s’entremêlaient, sans que ma raison ne parviennent à les interrompre. Le chaos qui œuvrait en moi était insoupçonnable. Assise sur cette banquette, le dos droit, les mains croisées sur mes genoux, je feignais l’indifférence. Pourtant, intérieurement je cherchais à reprendre le contrôle sur le fil de ma conscience. Je la sentais s’agiter, s’alarmer face à cet ouragan de sentiment qui venait nourrir la vraie Kaylah, la rendant plus forte. Elle n’avait plus qu’une idée en tête. Charlie. Elle me forçait à faire face à cette réalité, me rappelant le danger qui rôdait si je m’écartais de la voie qu’elle m’avait tracée. J’allais me marier. Je devais me marier. Charlie était l’homme de ma vie. Charlie était l’homme que je devais épouser. L’homme avec qui je devais fondée une famille, vieillir et mourir. La vraie Kaylah montait au créneau face à cette idée. Charlie n’était pas l’homme qu’elle avait choisi. Ma raison pointait quant à elle l’absurdité de cette situation. Je ne connaissais pas Noah, c’était un parfait étranger et à cause de lui je remettais en question tout ce que j’avais construit en trois ans. Pathétique. Seulement, je ne pouvais ignorer cette petite voix qui me chuchotait qu’il était trop tard. J’étais sous son emprise.
– Tu veux te joindre à nous ? demanda Anton, naïvement, intensifiant d’un coup, d’un seul, l’anarchie qui régnait en moi.
– Non, je vais rentrer, mais une prochaine fois. En tout cas j’ai été heureux de vous voir. Ça a été un plaisir de faire enfin ta connaissance, Kaylah, confia-t-il posant une nouvelle fois son regard sur moi.
Je ne pipai mot. Ma seule réaction fut d’hocher bêtement la tête. Les garçons se saluèrent une dernière fois, avant que Noah n’aille retrouver le chemin de la sortie. A cet instant, précisément la quiétude habituelle repris sa place dans mon for intérieur. J’expiai en un soupir les dernières traces de la torture psychologique à laquelle je venais d’être confronté. La vraie Kaylah se laissa dominer par les chaînes qui la retenaient. Je pouvais enfin jouer tranquillement le rôle qui était le mien. Néanmoins, cela n’avait pas été sans conséquence. Je voyais dans le regard d’Anton qu’il avait compris ce qui s’était produit quelques minutes auparavant.
– Qui était-ce ? demandai-je l’air de rien, redoutant l’interrogatoire que semblait préparer Anton.
– Noah Elsen, un compagnon d’arme comme on dit. Il était dans la même section que nous, répondit Anton en me regardant bien trop attentivement à mon goût.
– Pourquoi ? Il te plaît ? me piqua Elias, en m’assénant un regard dubitatif.
– N’importe quoi ! répliquai-je avec le sentiment désagréable que mon corps m’avait trahi. Je te signale que je vais me marier. Il n’y a que Charlie qui compte, ajoutai-je en essayant d’être la plus convaincante possible.
– Bien, dit-il en s’appuyant contre le dossier de sa chaise, marquant ainsi sa satisfaction. D’ailleurs où en sont les préparatifs ?
– Nous n’en avons pas reparlé. Nous sommes très pris en ce moment mais je te ferai signe quand il y aura du nouveau.
– J’espère bien, dit-il avec un sourire amusé.
Le reste de la soirée se passa sans incident majeur. Nous prîmes le temps de discuter, de se retrouver tous les trois à danser sur la piste de danse. J’étais restée sage, contrairement à mes deux acolytes qui visiblement avaient bien trop bu. Sur le chemin du retour, au volant de la voiture de mon frère qui était endormi sur le siège passager, je laissai libre cours à mes pensées. Sur la route déserte, illuminées par ces petites lumières au sol, longeant le bitume, je pensais à ce rôle. Cette femme parfaite que j’étais tenue de jouer. Cette image à laquelle j’étais cantonnée qui rassurait ma mère, comblait mon frère et confortait mon père. Je me demandais à quel point ce rôle avait défini ma vie. Quel avenir me réservait-il ? Des lendemains fades et tristes dans les bras d’un homme que je n’aimais pas. Du moins, pas comme lui. Pas comme je me devais de l’aimer. Étais-je condamnée à vivre cette vie, emprisonnée dans un carcan qui finirait par tuer toutes mes aspirations, mes envies, tous mes désirs ? Ces questions demeuraient sans réponses. Une chose était certaine, ce premier contact avait bouleversé mon existence et je cultivais l’espoir insensé que nos routes se croisent à nouveau.
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Chapitre 4 Partie 1 dispo lundi à 17h. N’hésitez pas à donner vos impressions en commentaire ou cliquer sur le coeur si vous avez aimé. Bon weekend à tous ! Prenez soin de vous.
Nouveau personnage, suspense, attendons la suite avec impatience…