– Je suis venu accompagner ma fiancée, bégaya Anton nerveux, pendant que je retirai ma main de la sienne, affolée.
– Ta fiancée ? répliqua-t-il suspicieux.
– Oui. Charlotte Hawkwood, enchantée, renchéris-je en faisant volte-face, après avoir vidé ma coupe d’une traite.
Mon cœur battait la chamade. Je tenais à peine debout et pourtant, je devais l’affronter comme si de rien était. Seulement, mon regard plongé dans le sien, je perçus jusque dans les tréfonds de mon âme, cette vague incendiaire m’engloutir une nouvelle fois. Ses prunelles chaudes me dévisageaient avec insistance. Ses cheveux bruns se battaient sur le sommet de son crâne. Ses traits formaient un visage impassible, même si ses sourcils me laissaient entrevoir la curiosité qui le piquait en cet instant. Il n’en restait pas moins séduisant dans ce costume noir, le col de sa chemise blanche laissé entrouverte pour y dévoilait la pilosité sombre de son torse. Ma main dans la sienne, j’avais la désagréable sensation de me liquéfier dans un monde bien loin du réel qui nous entourait. Tandis que je me laissais happer dans la délicieuse frénésie que provoquait sa présence, ma conscience me somma de revenir sur terre. Une violente impulsion électrique saisit une nouvelle fois mon bras dans son entier, m’obligeant à ôter ma main de sa paume tendre et rugueuse. Je baissai les yeux, tentant de rassembler mes pensées qui se retrouvaient en désordre dans cet esprit encore embrumé.
– Enchanté Charlotte, glissa-t-il d’une voix qui laissait entrevoir sa méfiance. Comment cela se fait que tu ne m’en aies jamais parlé, après tout ce qu’on a vécu ensemble ? demanda-t-il à Anton anesthésié par la peur irrationnelle qui l’habitait présentement.
– Je sais…Je suis désolé, balbutia-t-il d’une voix spectrale.
– T’inquiètes. Je ne t’en veux pas, mais ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? s’enquit-il, semblant brusquement s’amuser de la situation.
– Deux ans…À peu près.
– Eh bien ! Tu n’as vraiment pas perdu de temps. Mais laisse-moi te féliciter, même si entre nous et sans vous offenser Charlotte, je suis assez surpris que tu épouses une femme de VANHOOD Industries, confia-t-il en sourcillant, son timbre devenant tout à coup plus sérieux. D’ailleurs, ça ne te dérange pas si je l’invite à danser ? dit-il, glacial.
– Je t’en prie, céda Anton en serrant les poings.
Je manquai de défaillir. Je me retournai vers Anton, ne comprenant pas ce revirement. Il se contenta de hocher la tête. Il n’avait pas le choix. La situation était en train de m’échapper. Cependant, il était inenvisageable à ce stade de me fourvoyer. Je posais donc mes lèvres au coin de celle d’Anton qui eut un vague sourire avant de me regarder partir au bras de Noah. Je sentais cette excitation m’envahir. J’étais littéralement transportée par cette fièvre, marchant sur un nuage cotonneux, prêt à effacer le monde autour de moi. Néanmoins, j’implorais ma raison de me retenir. Il me fallait sauver les apparences, quoiqu’il en coûte. Cette dernière me répéta, jusqu’à m’en convaincre que j’étais Charlotte Hawkwood et personne d’autre. La vraie Kaylah devait se taire. Noah m’entraîna jusque sur la piste de danse. Son corps s’avançant dans cette foule, sous mon bras. En vérité, c’était bien plus que je ne pouvais supporter. Je sentais cette fièvre me consumait. Je percevais ces gouttes de sueurs coulées sous ma perruque brune. Je ne redoutais qu’une seule chose, que le masque tombe. Il fallait que je garde la tête froide.
Arrivé devant l’orchestre, Noah me fit tourner de sorte à ce que je me positionne face à lui. Je sentis sa main dans mon dos, tandis que l’autre tenait fermement mes doigts contre son torse. Je pouvais sentir les battements lourds de son cœur sous sa poitrine. Ses jambes guidant les miennes, tremblantes qui ne parvenaient pas à se mouvoir. Cette promiscuité affolait tous mes sens. Ma raison m’abandonnait, impuissante devant cet ouragan de sentiment qui s’emparait de tout mon être. J’étais désormais seule. Je me raccrochais donc à la voix douce de la chanteuse qui commençait à chanter sur les premières notes du piano en fond. Dos Gardenias. Cette chanson qui avait bercé une partie de mon enfance. Les images de mon père chantonnant cette mélodie à ma mère vinrent se bousculer dans ma mémoire. Je me devais de rester calme. Mon regard alla trouver celui de Noah qui me balançait parmi la foule, sans rien dire. Je finis par lâcher prise. Expirant toutes mes craintes, pour savourer ce moment contre lui. Je laissais s’installer en moi cette chaleur exquise, oubliant la vie qui s’articulait autour de nous. Plus rien n’existait, à l’exception de cette douce mélopée.
– Alors comme ça tu es fiancée à Anton ? murmura-il son regard planté dans le mien. Ça ne te dérange pas, si on se tutoie ?
– Non. Cela ne me dérange pas, répondis-je restant toutefois sur mes gardes. Et, pour répondre à ta question, oui je suis fiancée à Anton, c’est un homme….
– Détends-toi Kaylah, personne ici ne t’a démasqué, souffla-t-il discrètement dans le creux de mon oreille.
Je m’arrêtai net. Mon regard pétrifié se planta dans le sien. Mes joues étaient en feu. Mon cœur cognait derechef contre ma poitrine. Je sentais une fois de plus, les perles glacées de la peur s’écouler le long de ma nuque. Il esquissa un sourire, amusé. Une lueur suspecte s’agitait dans le coin de ses yeux.
– Continue à danser, sinon on va se poser des questions, ordonna-t-il, la mâchoire serrée, en balayant d’un regard les gens autour de nous.
– Comment as-tu su ? murmurai-je, en me rapprochant de son torse, mon bras sous son épaule.
– Je sais bien des choses, mademoiselle Hawkwood, dit-il en s’écartant d’un couple susceptible de nous entendre. Mais si je peux te faire une remarque, tu es bien mieux en blonde.
– On peut dire que tu as un don pour complimenter les gens, grommelai-je, ce qui le fit rire.
– Trêve de plaisanterie. Qu’est-ce que tu fais ici ? renchérit-il, sur un ton plus que sérieux.
– Je pourrais te demander la même chose.
– C’est moi qui pose les questions.
– Tu n’as pas répondu à la mienne, rétorquai-je avec aplomb, plantant un regard assassin dans le sien.
– Tu pourrais mettre tous les masques du monde, je saurais toujours te reconnaître, aussi étrange que cela puisse te paraître, marmonna-t-il, sur le qui-vive.
– C’est étrange, en effet, soufflai-je, mon menton au-dessus de son épaule.
– C’est à toi de répondre maintenant, articula-t-il sèchement.
– C’est une longue histoire.
– Ni Anton, ni toi ne devriez être ici.
– J’ignorais qu’il fallait te demander la permission.
– Ce n’est pas un jeu, Kaylah. Vous n’avez rien à faire ici. Si Andrew découvre que tu n’es pas la vraie Charlotte…, commença-t-il avant de soupirer, subitement tendu.
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il ferait ? insistai-je en plongeant de nouveau mon regard dans le sien.
– Laisse-tomber, tu ferais mieux de rentrer chez toi avec Anton.
– De toute façon, je ne vois pas comment il pourrait connaître la vérité.
– Ne le sous-estime pas. Il est bien plus dangereux que tu le penses.
– Raison de plus pour rester ici.
– Ne sois pas stupide, pesta-t-il, avant de se reprendre.
– Bien, dis-moi alors ce que cache Andrew Van Hood et je m’en irais.
– Quoi ?
– Je suis journaliste Noah, mon but est de connaître les secrets de tous ceux qui m’entourent, alors donne-moi ce que je veux savoir et je partirai.
– Impossible.
– Dans ce cas, nous n’avons plus rien à nous dire, concluai-je en me retournant, ne pouvant cacher le sourire de ma satisfaction, frappant mes mains pour me joindre aux applaudissements de la foule.
– Je vous remercie pour cet accueil chaleureux, finit par déclarer Andrew qui avait rejoint les musiciens sur la scène. Et merci à Joe’s Band qui a joué pour nous ce soir, ajouta-t-il en reprenant les acclamations de la foule.
– Dis-moi, tu es toujours aussi peste avec ceux qui veulent te protéger, susurra-t-il dans le creux de mon oreille.
– Pourquoi, c’est que ce que tu veux ? Me protéger ?
– J’essaie du moins, mais on va dire, que tu ne me facilites pas la tâche.
– D’autres avant toi ont essayés, et aucun n’y est parvenu.
– Peut-être, mais je ne suis pas comme les autres, souffla-t-il son corps se rapprochant dangereusement du mien.
– C’est très gentil de ta part, mais je n’ai pas besoin d’être sauvé, rétorquai-je en me tournant vers lui, pendant qu’Andrew invitait tous les membres du Conseil d’Administration à suivre son garde du corps pour se rendre dans la salle de réunion.
Je laissai donc mon cavalier, pour rejoindre Anton qui avançait parmi la foule. Ce dernier saisit avec empressement ma main, la tenant fermement entre ses doigts. À en juger l’expression qui était marquée sur son visage, il était heureux et soulagé de me retrouver.
– Tu es prête à te jeter dans la gueule du loup ? me glissa-t-il à l’oreille.
– Plus que jamais, affirmai-je sans craindre le sort que nous réservait Andrew.
Néanmoins, je ne puis m’empêcher de jeter un regard derrière moi, pour l’apercevoir une dernière fois avant de quitter les festivités. Il n’était plus là. Mes yeux balayaient la salle avant de le trouver, parlant à l’oreille de mon pire ennemi. Je me retournai comme si de rien était, en dépit du coup de chaud qui incendiait mon visage. Je sentis mon rythme cardiaque s’affolaient. Ma conscience décrétant l’état urgence. Mon inconscience pestant avec véhémence contre lui. Mon esprit déroulait ses interrogations, en espérant trouver une réponse logique et justifiable à ce que je venais de voir. Était-il en train de révéler la vérité à Andrew ? Est-ce que le moment que nous venions de passer ensemble était un leurre ? Andrew, l’avait-il envoyé pour me soudoyer ?
En cet instant, je me sentais incroyablement stupide. Comment avais-je pu me laisser berner ? Tous ces efforts étaient vains, à cause de lui. J’étais certainement démasquée, maintenant et je n’avais rien. Aucune révélation, aucun secret, outre ceux que m’avait confié Jane dans l’après-midi. La rancune et la colère était en train de m’étouffer. Les pires scénarios traversaient un par un mon imagination, ne faisant que nourrir ma frustration. Ma main se resserrait autour de celle d’Anton que je pressais de me suivre. Il me restait encore une chance pour m’en sortir. Une fois dans la salle, nous devrions être discrets, de sorte à ce qu’il ne remarque pas notre présence. C’était la seule issue envisageable. Je l’entrainais dans ma course, m’accrochant fermement à cette possibilité. Nous devions franchir le seuil de la porte qui se trouvait à quelques mètres en face de nous.
Cet espoir fut soudainement déchu, lorsqu’un ténor derrière nous, cria mon nom une première fois. Puis une seconde fois. C’était fini. Je m’arrêtai net, sentant mon corps se glacer d’effroi. Le piège se refermait, tel un étau, autour de moi. J’avais échoué.
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Message de l’auteur : En raison du déconfinement la semaine prochaine, le Chapitre 6 paraîtra le Lundi 18 mai à 20h. Si vous souhaitez connaître mon actualité, rdv sur ma page Facebook : https://www.facebook.com/MathildeN33
Excellent weekend à vous tous, amis lecteurs !