La communion de toutes les strates de la population de Zakusini fut totale, ce jour de l’hommage au défunt roi Zakusini et des festivités du couronnement de Falmé. Acclamer le fils cadet de la dynastie Kubwa paraissait normal pour le peuple comme s’il avait acté ce choix depuis des semaines. Les gens de classe moyenne, commerçants, bâtisseurs, artisans, servants de l’état aimaient Falmé. Le nom de Jiwé évoquait la crainte, la rigueur et l’austérité, celui de Falmé ; la continuité, l’assurance et la stabilité. Cette journée d’intronisation était un soulagement et un espoir prolongé pour la majorité de la population de la cité état. Des centaines de longues tables de bois étaient alignées sur la grande place du centre de la ville. Des rôtissoires parsemaient l’esplanade cuisant sur des broches ; des moutons, des cochons et des volailles entiers. Des pommes des sables, manioc et patates douces ruisselaient dans les bacs où gouttaient les jus de viande. Des porteurs de larges plateaux d’argent remplis de fruits et légumes slalomaient entre le mobilier et les convives. Toutes les victuailles étaient offertes par le royaume. Toute la population était conviée. Les attablées mélangeaient les familles de riches marchands et de petits artisans, de hauts servants de l’états et de petites mains ouvrières. Tous ce petit monde fêtait le passage d’une nouvelle ère. Face à la place où festoyaient des milliers d’habitants de Zakusini, l’immense balcon de l’étage du palais Zaku, centre du pouvoir de l’administrateur de la cité Meyan Mijian, dinait Falmé et sa famille entouré de la plupart des ministres et des responsables militaires. Le roi fraichement investi avait la mine sombre. Il était avachi dans son fauteuil, une coupe de vin vide à la main reposant sur sa cuisse. Le regard de la jeune Kidoga soucieuse faisait l’aller-retour entre la gravité de son père et l’impressionnant tapis de gens enjoués. Elle ne comprenait pas pourquoi son père ne partageait pas cette ambiance. Sa mère sentant son malaise lui passa la main dans les cheveux et lui caressa le front pour reporter son attention sur son assiette. Malkia évitait le regard de son mari en s’occupant avec la servante nurse de nourrir le petit prince Royoba. Plusieurs sièges sous la loggia royale étaient inoccupés. Des absences qui irritaient le roi. La plus marquante était celle du ministre des armées Jeshian Jeshi. Sa préférence était allée à l’invitation de son frère pour une soirée d’hommage improvisée au roi défunt au palais de l’administrateur de la province de Kubwa. Certains cadres de l’armée manquaient aussi à l’appel. Salmor soupira à la vue des yeux vitreux de son nouveau souverain.
— Allons Falmé, montrez un autre visage devant votre peuple. Redressez-vous, lâchez cette coupe et dégustez ce chapon spécialement offert par le meilleur éleveur récompensé de cette année et cuisiné par le meilleur marmiton du royaume.
— Mon humeur importe peu à notre peuple. Il est trop occupé à festoyer naïvement. Et tant mieux, je préfère leur innocence et leur ignorance. Qu’il profite des instants présents parce que demain sera un jour plus mouvementé.
— Détrompez-vous et vous devriez le savoir, le peuple n’est pas aussi naïf que ne vous le pensez. Il ressent et perçoit les affres de la cours.
— Oui, vous avez raison Salmor. La démission d’un tier de la Garde de la cité pour changer de vie et aller vivre dans la province de Kubwa, ce n’est pas pour devenir chercheur d’or, mineur ou sculpteur de pierre.
— Ses mouvements arrivent lors de chaque changement de régime. Vous verrez, il va y avoir une recrudescence des engagements dans notre armée.
— Arrêtez Salmor, pas de ça avec moi, vous ne le pensez pas. Nous allons devoir organiser une vague de souscription militaire obligatoire.
— Mais mon roi, notre Garde reste aisément fournie et puissante pour assurer la sécurité du royaume. De plus, nous n’avons aucune menace des royaumes voisins. Nous vivons en harmonie avec eux notamment grâce à nos accords commerciaux.
— Bon sang Salmor, c’est vous le naïf ou plutôt le bonimenteur qui essaye de me caresser dans le bon sens du poil. Vous savez bien que la menace vient de l’intérieur, dit-il en élevant la voie portant l’attention des autres convives sur leur conversation. Mon frère est en train de monter une armée pour reprendre le pouvoir… Reprendre sa place qui lui est dû de droit divin !
— Votre frère n’osera tout de même pas attaquer sa propre famille et son peuple, s’insurgea Meyan Mijian.
— Mon chéri, je sais ton frère capable de beaucoup de choses, de mauvaises choses aussi, mais pas de ça, s’en prendre à son frère, sa nièce et son neveu.
— Une confrontation fratricide signerait la fin de la dynastie Kubwa, marmonna le vieux Zaman Ani.
— Je ne me bâterais pas avec mon frère, mais je me défendrais.
Falmé frappa le cul de sa coupe sur la table. Il se leva brutalement renversant son fauteuil dans la reculade.
— Merci père pour cette idée de génie ! Je me demande si mon frère n’avait pas raison. Mon père devait commencer à être atteint de sénilité. Il a concocté en quelques mots la recette de la discorde.
— Mon roi, vous ne pouvez pas manquer de respect à votre père…
— Et pourquoi ça Salmor ? Hein ? J’ose le dire. Je ne sais pas si ce sont ces longues années de pouvoir qui l’ont usées, ou les coups de bâtons reçus sur la tête lors de ces tournois qu’il affectionnait, mais sur ce coup-là, il a manqué d’intelligence, de stratégie politique. Même s’il pensait tout ce qu’il a écrit dans son testament et que ce qu’il pensait de mon frère et moi soit vrai ou pas, il m’a sous-estimé. Il devait respecter les droits immémoriaux de succession, et moi j’aurai su gérer mon frère, le canaliser, le guider, le surveiller et pourquoi pas l’éduquer. C’était mon rôle. Le rôle pour lequel je m’étais préparé depuis tout petit. Mon père a déjoué nos plans, dénaturé notre éducation, falsifié nos avenirs. Intervertir nos rôles, porte atteinte à la pérennité du royaume.
Voyant leur roi debout sur le balcon, une acclamation s’éleva de la foule. Des vivas et des bravos étaient criés à son égard. Personne dans la population en fête ne se doutait d’un discours alarmant de Falmé en petit comité. Remarquant l’heure approchante de la pleine lune de la grande Storma, le roi dressé et le bruit de la foule, le chef de la pyrotechnie décida d’allumer la première d’une série de cent fusées au moins et débuter un monumental spectacle de feux d’artifice.
La colère de Falmé se noya dans les éclats multicolores et les explosions assourdissantes. Son fils éclata en pleur effrayé par les déflagrations, à moins que ce ne soit par le visage de son père déformé par l’emportement et coloré de rouge par une explosion sanguine le transformant un instant en démon, puis le bleu qui s’en suivit en colosse des glaces.
Obligé par les événements, le roi resta dressé, les mains agrippées à la rambarde de marbre noire du balcon, pendant toute cette bataille d’explosions aériennes. Aux dernières étincelles s’éteignant en mer, l’obscurité retomba sur le roi, l’occasion pour lui de disparaître dans le palais de l’administrateur. Le sorcier et le propriétaire des lieux lui emboîtèrent le pas. Ils le retrouvèrent prostré devant le portrait monumental du roi Zaïdi dans le grand salon diplomatique. Le grand commandeur de la Garde les rejoignit. Au son des claquements de bottes du guerrier sur les dalles de marbre, Falmé se détourna de la peinture.
— Kormulyss, faites appel aux volontaires et aux réservistes. Sortez les apprentis les plus prometteurs de l’école des guerriers. Avec l’administrateur Mijian, renforcez les défenses de la ville. Envoyez des éclaireurs en direction de la province observer les mouvements de troupes de mon frère.
— Ne dramatisez-vous pas un peu mon roi ? s’interrogea Meyan.
— Ne discutez pas ! Exécutez !
L’administrateur lança une demande d’approbation vers le sorcier. Salmor acquiesça de la tête. Meyan quitta le salon au trot tentant de rattraper le rythme soutenu de Kormulyss.
Falmé tourna le dos à Salmor regardant disparaître l’administrateur dans le hall.
— Même lui, le meilleur ami de mon père, ne me fait pas confiance.
— Mais si voyons…
— J’ai vu votre échange de regards. Il a mandé votre assentiment.
— Ecoutez, vous êtes devenu roi du jour au lendemain, mais vous ne deviendrez pas un roi du jour au lendemain.
Après un instant de silence pour méditer ces paroles, Falmé accola le sorcier.
— Votre rôle premier est de protéger ma famille et par-dessus tout mes enfants. Je compte sur vous.
— Oui mon roi.
Quel talent!
Donc nous avons un régent qui ne veut pas attaquer. C’est dans le personnage et ça lui laisse de la place pour évoluer, car il se comporte comme un roi faible dès le départ. Le peuple aime être protégé par l’attaque, car être en état de siège est mauvais pour le commerce (et la santé). Une attitude défensive quand tu as les deux tiers de l’armée est le mauvais signal à envoyer. On peut donc prévoir, et je n’ai pas lu la suite, que Falmé va être la risée du peuple et de ses soldats.
Je note le terme “démissionné”. On pourrait appeler ça un anachronisme. En effet, dans les temps anciens on ne démissionnait pas, on trahissait. Couper le lien de servage était passible de mort. La “démission” est apparue à la fin du 18ième siècle avec l’industrialisation. Le général qui a laissé partir ses régiments, ou laissé filer ses hommes aurait dû être exécuter. Enfin, il y aurait dû y avoir au moins des combats. Je fais seulement remarquer, on peut bien entendu accepter l’histoire tel quel.
Il serait bon de voir le conflit intérieur de Falmé, quoique ce ne soit pas essentiel. Chaque auteur choisi la ligne à tirer entre action et introspection.
Merci beaucoup pour le commentaire sur le mot "démission". C’est vrai que c’est anachronique. Je suis constamment en train de chasser ce genre de terme et ce n’est pas si évident que ça. Surtout quand de l’autre côté, tu écrit un roman de science-fiction. Sacré grand écart.
Ah ! Ha ! Oui effectivement quand la tête se promène dans plusieurs projets, y’a parfois de la contamination ! Courage ! Nous allons tous y arriver… un jour ! Mdr !
Sommes toutes, tes univers sont bien réfléchis et très élaborés. Nous voyons les efforts que tu y mets. C’est bourré de bon matériel. Il faut maintenant apprendre à doser, à n’y mettre que ce qui est utile à savoir. (Ne pas retranscrire ses carnets de notes dans le roman – C’est une chose que je me dis souvent) Les scènes d’action peuvent /doivent à créer le décor. Par exemple, on ne peut attaquer de ce côté à cause de la tour x dont l’émail somptueux n’offre aucune prise pour grimper. Le mieux est de percer le mur dont la longueur de x mesures étale la défense des guerriers… Cela permet de rendre la description pertinente à l’action. Le lecteur aime alors apprendre ces choses, au contraire de l’info dump qui le force à mémoriser un tas de patatrucs. Rappelons-nous que notre cher lecteur ne doit pas travailler. Il nous lit pour se reposer et vivre une aventure, vivre des sentiments nouveaux. Il veut avoir peur, sourire, pleurer, aimer à travers nos personnages… le mortier ? Il n’est utile que comme objets pour créer ces sentiments. « Le mur se révéla être trop haut, nous étions perdus ! » Le lecteur est parcouru d’un frisson de peur (a cause de la hauteur du mur). F*ck le popcorn qui carbonise dans dans le micro-onde… il tourne la page… il se ronge les ongles à cause de la hauteur du mur… lol