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Où est donc cette fameuse lumière au fond du tunnel qui accueille le nouveau défunt dans le monde des ombres? Rien de tout cela pour Otis. Après le voile noir, il y eut une inconscience très courte, un doux rêve, la vision féerique de sa femme, puis un flash de lumière.
Il vit enfin le tunnel, pu en décrypter les contours et les formes, le toucher. Ce n’était pas en nuages, en pierre noire, en matière plasmatique ou fantamagorismique, c’était un tube de verre. Une multitude de lumière s’allumèrent au-dessus de sa tête projetant une pluie de couleur scintillante sur son crâne.
Mais ce n’était pas le passage du monde des morts, ce n’était pas un rêve! Ce qu’il touchait était réel, le verre transmettait sa fraîcheur à la peau de ses doigts, son contact laissaient ses empreintes givrées. Il ressentait de plus en plus ce froid qui engourdissait son corps. Plusieurs pointes électriques douloureuses lui transpercèrent la cervelle lui exorbitant les yeux. Un spasme horrible lui arracha le cœur et y jaillit un flot brûlant dans toutes les veines et artères de son corps. Il ressentait la douleur. Ce n’était pas un tunnel, mais une sorte de sarcophage avec un capot translucide. A travers le verre, ce n’était pas le paradis mais une grande pièce où étaient entreposés d’autres corps conservés. Les petites lumières n’étaient pas les signes avant-coureurs de l’accueil dans le monde de Dieu, mais des diodes allumées par des senseurs dansant au rythme d’un programme de réactivation du caisson. La manipulation d’un ordinateur extérieure avait réveillé la réanimation des fonctions vitales d’Otis. Sa vue, encore trouble, se précisa de seconde en seconde. Il posa ses mains ankylosées sur son torse, sentit sa sueur sortir de ses pores, une peau lisse sans aucune pilosité, le battement emballé de son cœur.
Otis était vivant!
Il était allongé sur une surface plane en plastique noir. Collée à celle-ci, une longue bande molletonnée épousait le contour de son corps pour le maintenir en position. Il était entièrement nu, tous les poils avaient été radiés de sa peau. Un lourd système mécanique vrombissant englobait son bassin, son pénis et son rectum. En sortait deux longs tubes flexibles qui disparaissaient sur la paroi à ses pieds. Une sensation désagréable de succion froide provoqua une érection incontrôlée et douloureuse. Ses capacités de déduction revenant lentement, il comprit que cette machinerie était chargée d’évacuer ses urines et excréments. Un gros brassard d’acier était serré autour de son bras droit, équipé de diodes lumineuses et de compteurs numériques. Ce système devait lui injecter les éléments nutritifs nécessaires à sa conservation. Une multitude de patchs recouvrait son corps dardés d’une petite antenne. Ses capteurs devaient émettre les constantes vitales de son corps en hibernation à un ordinateur central. Recouvrant toutes ses aptitudes, une sensation d’oppression et de claustrophobie commença à le terroriser. Des questions à foison embrouillèrent sont esprit dont une pouvait résumer toutes les autres; “Qu’est ce qui se passe?”. Tous ses muscles réagissaient avec lourdeur, surement atrophiés par le temps passé ici sans aucune activité physique.
La peur s’insinua en lui, il souleva péniblement ses bras et tapa sur le capot transparent. Il poussa de toutes ses forces le bas du caisson avec ses pieds étant une réaction parfaitement illogique comme cette boite était un bloc de métal uniforme. La seule sortie était le couvercle en verre.
Soudain une lumière verte noya la boite et l’aveugla, le capot désengagea bruyamment une multitude de sécurités invisibles à l’œil d’Otis, pivota lentement et s’arrêta quand il forma un angle à quarante-cinq degrés avec la table d’allonge. Une agréable chaleur envahit le cercueil et transforma tous le givre en eau, il dégoulinait de sueur. La température ambiante de la pièce, l’oxygène naturel de l’air et l’odeur des produits stérilisants achevaient le retour d’Otis à la vie. Son corps engourdi ne put respecter sa volonté de se redresser. Il patienta pour retrouver un souffle, un rythme cardiaque et une vivacité musculaire normaux. La densité de gravité lui semblait beaucoup plus élevée qu’il ne l’avait connu. Sa culotte d’acier hygiénique s’ouvrit comme une huître laissant apparaître le raccord emmanché sur son pénis et la cuvette ventousé sur ses fesses. Il tira avec difficulté sur le tube des urines, son pénis en érection était compressé dans le manchon serré. Il l’enleva avec soulagement constatant la congestion du membre dressé, état physique complètement incongru dans la situation présente. Il semblait être le seul muscle de son corps en pleine prédisposition. Puis il força sur le système des excréments qui sauta comme un bouchon de champagne. Il avait l’impression qu’on lui avait aspiré le rectum. Otis chercha le moyen d’ôter son brassard mais ne trouva aucun système d’ouverture. Il agrippa les rebords du sarcophage et s’assit.
Il fit face à une rangée de fenêtres qui s’élevait du sol en résine à la voûte. La hauteur de plafond étant impressionnante donnait aux vitres un aspect de cathédrale. Chacune d’elle était séparée par une arche en acier partant de leur pied jusqu’en haut du mur opposé dans son dos. L’espace était relativement étroit entre le mur des vitres et son opposé laissant la place juste à la longueur d’un sarcophage et d’une allée d’accès. Par contre la rangée de blocs d’hibernation s’étendait à l’infini de part et d’autre d’Otis. Il n’en voyait pas le bout.
Il hissa ses pieds par-dessus le rebord de la boite en métal et laissa tomber ses jambes jusqu’aux genoux. Il appuya son dos contre une paroi et s’éjecta par un effort incommensurable de son cercueil. Il ne se réceptionna pas comme il l’avait désiré, ses jambes réagirent comme de la guimauve. Il tituba, perdit l’équilibre et évita la chute en se soutenant contre l’immense vitre qui lui faisait face. Son corps était plaqué contre la matière translucide provoquant un frisson qui le parcourra de l’échine aux oreilles.
Ce qu’il vit à travers le bouleversa au plus haut point, ses jambes cédèrent sous le choc et il s’écroula à genou, la peau du front couinant contre la vitre.
Il vit une ville à l’architecture complètement inconnue pour lui, composé d’une multitude de tours effilées en verre et en métal lancées vers les nuages. La tour où il se trouvait lui-même semblait flotter dans les airs, il ne put distinguer le sol de la planète. Un réseau tortueux de passerelles, de routes, de voix de transport en commun tissait une toile aux pieds de ses tours. Des tubes translucides de différents diamètres couraient le long des façades, les plus petits transportaient des personnes comme un ascenseur et dans les plus gros circulaient verticalement des véhicules magnétisés. Ce qu’il prit pour des oiseaux un instant étaient des véhicules volants. Ces engins respectaient des voix de circulation sur les trois dimensions de l’espace.
Otis tata la surface de la vitre pour vérifier que ce n’était pas un écran plasma ou LCD diffusant un film de science-fiction. Non tout cela était réel.
Cette vision irréelle était insoutenable et il se retourna pour retrouver un semblant de réalité. Il s’appuya contre son sarcophage. Sur le clavier du moniteur informatique gérant le système de ce frigo pour humain était posé un pantalon et un maillot blanc. Juste en-dessous, au sol se trouvait une paire de chausson blanc. Otis en conclue que ces habits lui étaient destinés. Le blanc immaculé de ses vêtements lui redonna la sensation d’être à nouveau un être humain et non plus un morceau de viande congelé.
Soudain un gyrophare strident et aveuglant surgit de l’autre côté de la vitre. La lumière couvrait un véhicule flottant, vrombissant. Ces réacteurs ne rejetaient aucune fumée, flamme ou courant d’air mais faisait trembler toutes les fenêtres de son étage. Le flan de l’aéronef était flanqué de l’inscription “Police Air”.
Une voie amplifiée venant du véhicule parvint à Otis.
” Matricule O10, veuillez ne pas bouger! Vous êtes en état d’arrestation! Allongez-vous face contre sol, les mains sur la tête.
_ Qu’est que ça signifie?
_ Toute résistance ou fuite serait inutile! Obéissez!
Otis s’approcha et tapa violemment des deux poings la vitre.
_ Mais qu’est-ce que j’ai fait? Hurla Otis. Que se passe-t-il? Que l’on me donne des explications, bon sang.
La portière arrière de l’aéronef coulissa laissant place à deux hommes en uniforme braquant leur fusil d’assaut sur Otis. Deux points rouges parcouraient nerveusement son torse comme deux lucioles. L’un des deux policiers lui signifia d’un geste de la main de s’allonger.
” Sortez- moi de ce cauchemar, soupira Otis.
Il s’exécuta et se plaqua sur le sol en résine. A quelques mètres de lui une porte de la pièce coulissa automatiquement. Deux autres individus entrèrent dans la salle des sarcophages. Leurs uniformes n’avaient rien de commun avec les policiers. Dans ce monde futuriste, leurs costumes paraissaient surgir de l’antiquité. Ils portaient une armure rouge écarlate d’une matière métallique synthétique légère. Leurs têtes étaient masquées par un casque imposant en ogive surmontés par une crête de poils durs et sombres. Seul l’éclat des yeux transparaissait par l’ouverture en forme de croix. Une longue cape de velours noir leur couvrait le dos des épaules aux pieds. A l’une de leur main, une longue lance menaçante faisait office d’arme. Aux extrémités de celle-ci, une boule incandescente grésillait.
” Qu’est-ce que c’est que ces gugusses! Vous sortez tout droit d’un tournage de péplum, ou quoi? S’exclama Otis. C’est bon, vos collègues m’ont déjà dit de me tenir à carreau.
_ Veuillez-vous éloigner du prévenu! N’approchez-plus sinon nous n’hésiterons pas à faire feu! Hurla la voie du véhicule de police.
_ Qu’est-ce que ça veut dire, ces costumés ne sont pas avec vous.
La boule rougeoyante d’une des lances se transforma en petit soleil. Le guerrier écarlate fouetta l’air de son arme et la boule de feu traversa la pièce, éclata la vitre et percuta l’aéronef qui s’enflamma aussitôt. Une explosion à l’intérieur expulsa les deux policiers visibles contre la façade avant de disparaître dans le vide. Un autre homme en flamme s’éjecta par la portière avant en espérant atteindre le rebord de la fenêtre. Il rebondit contre la tour et tomba en torche. Le véhicule pencha par l’avant, les réacteurs calèrent et après une autre explosion interne il disparut dans le vide.
Otis regarda la scène, subjugué.
Une intense chaleur et un bourdonnement fort au-dessus de sa tête reporta à nouveau son attention sur les guerriers écarlates. La sphère d’énergie brûlante était maintenant proche de son visage. L’homme en armure pointait sa lance sur lui patientant la charge maximum de son arme. L’incandescence de la boule projetait sur Otis une lumière rougeoyante, puissante qui l’obligea à fermer les yeux.
_ Bon sang, que me voulez-vous? demanda Otis apeuré.
_ Désolé mon gars, nous n’avons rien contre toi, mais nous ne devons laisser aucune preuve vivante. Ton ADN suffira à t’identifier, c’est tout ce qui compte pour nous, informa le guerrier en retrait.
_ Pourquoi moi?
_ Et pourquoi pas toi? Tu as juste été tiré au sort parmi les hommes de 25 à 35 ans en bonne conservation dans ce Cryotarium.
_ Quel est le gros lot que j’ai gagné?
_ Le droit de mourir et d’être l’homme le plus détesté de l’Union.
_ Quand aurait été-t-il possible? Je ne viens même pas de ce présent. J’ai 30 ans et je pensai être mort en 2008. Et maintenant, en quelle année est-on ?
_ En 2298!
Cette annonce laissa Otis bouche-bé.
“Ta vie de 320 ans a été assez remplie, il est temps de mourir.”
L’assassin brandit le côté solaire de sa lance au-dessus de lui. Otis à genou, tête baissée, le menton reposé sur le sternum, tremblant, s’abandonnait à mourir.
Une détonation retentit! C’était pour lui! Non, Otis n’entendait plus le bourdonnement ni ne sentait de chaleur sur sa tête. Le guerrier avait-il raté son coup, ou pris d’un subit remord il décidait de lui laisser la vie sauve. Un cri étouffé et le bruit d’un corps s’effondrant prêt de lui, le sortirent de sa torpeur. Il ouvrit ses yeux noyés de larmes.