Je suis assise depuis quelques minutes au bord du lac pour profiter du soleil quand je commence à entendre des cris.
Je tourne la tête et vois une vedette rouge sortir sur l’eau, suivie d’un troupeau d’optimists.
À vue de nez, la moyenne d’âge frôle les 8 ans.
De là où je suis, j’ai du mal à savoir s’ils crient parce qu’ils sont contents ou parce qu’ils sont terrifiés.
Coup de bol, la voix du moniteur porte très bien.
Apparemment Manon se débrouille comme un chef à la barre. Par contre, Mia galère avec tout ce qui est coordination œil/ mains (ce qui est très pratique quand on est responsable du gouvernail) et David a failli décapiter Arnaud avec sa rame.
Pour ceux qui ont déjà fait de l’optimiste à l’école, vous serez d’accord avec moi pour dire que jusque là, rien ne sort de l’ordinaire.
Ah, le deuxième mono a apporté son mégaphone.
« Le 4, regarde pas les autres devant, ils font des erreurs. »
« Mais t’as pas besoin de bonnet ! Rolala, mais enlève moi ça, on se croirait au mois d’août là !»
« Le 4, il faut aller vers la bouée blanche !»
« Pas par là, le 17. »
« Le 4, viens vers moi ! Le 4 !! »
« Le 6, mets ta main gauche vers le bas. Non, l’autre gauche. »
J’ai commencé à rire, un peu moqueuse, pendant quelques secondes avant de m’arrêter brusquement.
Vous voulez savoir pourquoi ? Et bah, je vais vous dire pourquoi.
J’ai repensé à toutes les séances d’optimist que moi j’ai faite.
Le supplice imposé par l’école qui tombait toujours, comme par hasard, au milieu de l’hiver. Avec la pluie fine qui te gèle les os et le vent qui allait toujours et comme par hasard dans la direction strictement opposée à l’endroit où nous devions nous rendre.
Peu importe comment je m’y prenais, j’étais toujours dans le bateau qui soit tournait en rond, soit allait s’échouer sur la berge à pétaouchnoque. Ceux que les monos allaient chercher et remorquaient par pitié ou manque de temps.
Je me rappelle qu’une fois, un de mes coéquipiers refusea qu’on nous remorque et voulu rentrer par nos propres moyens.
Un coup d’œil rapide au sein de la coque du navire m’indiqua qu’aucun objet ne pourrait m’aider à couler son cadavre. Je n’eus pas d’autre choix que d’organiser une mutinerie.
Il y a des avantages à mutiner seule. Niveau coordination et prise de décision, la tâche est quand même vachement simplifiée.
Cette mutinerie se manifesta essentiellement par moi qui restais assise, les bras croisés, avec une moue boudeuse.
Le moussaillon tint bon et ne plia pas face au duel psychologique acharné auquel je le soumettais depuis sept bonnes minutes.
Après moult soupires et regards assassins de ma part, nous rentrâmes à bon port. Furieuse, une fois chez moi je noyai ma colère dans un bol de lait au Nesquik.
Quinze ans plus tard, j’observe à distance un chaos que je ne connais que trop bien.
Ayant l’estomac qui crie famine, je pars avant de connaître le destin de l’équipage du bateau n° 4.
En tenant compte de mes observations, j’estime à 87 % leurs chances d’être rentrés sains et saufs.
On tombe à 45 % si les malheureux se sont retrouvés à portée de la rame de David.