Ou comment donner des clés aux jeunes auteurs pour progresser (et se faire aider soi-même)
J’en profite pour faire un peu de pub pour le pen d’Audrey Baille qui est une mine d’or :
Ne pas confondre Lecture et Relecture
Lorsque vous lisez pour la première fois un texte, ce n’est pas le fond qui vous accrochera, mais la forme des premiers paragraphes. Tout comme devant un plat, si l’aspect vous rebute et que vous ne connaissez pas le cuisinier, vous ne vous laisserez pas tenter.
Si vous n’avez pas d’affinité, voire d’affection pour le texte que vous venez de lire, abstenez-vous de le relire. La relecture doit être empreinte de bienveillance.
Comme l’a assez justement écrit une autre auteure ici précédemment, personne n’aime être repris de but en blanc sur un produit de son imaginaire. Cela écorche l’ego directement, l’auteur a l’impression qu’on cherche à changer une partie de lui, souvent accouchée dans la douleur. Cela demande une certaine maturité pour accepter la critique et la prendre de manière constructive.
Je ne saurais que vous préconiser de proposer une relecture en privé (le forum le permet), et seulement après un échange avec l’auteur. Une critique non sollicitée peut faire plus de mal que de bien, et n’aura servi à rien : vous aurez perdu votre temps, et l’auteur vous prendra en grippe.
(J’en profite pour glisser que pour ma part, j’attends avec beaucoup d’impatience vos suggestions, donc lâchez-vous)
La forme
L’orthographe
Oui ça pique les yeux. Et l’orthographe, c’est cruel, parce que c’est juste ou faux. Par contre avant de s’avancer autant être vraiment sûr de ce qu’on propose !
On ne corrige JAMAIS l’orthographe en public sans explication et sans arrondir les angles. L’orthographe française, héritée de ses racines étymologiques anciennes est difficile. Si, si, n’en déplaise aux anciens. Le français est une langue à exceptions, tout le temps et partout. Notre conjugaison est riche, notre phonétique est riche (é, è, ê, er, ai, ez).
Mon correspondant allemand de jeunesse m’avait fait remarquer à juste titre que nous aimions nous compliquer la vie. “Pourquoi est-ce que vous écrivez nous sommes comme ça ? Il y a la moitié des lettres qui ne servent à rien.”
La génération numérique a d’ailleurs inventé le langage SMS qui, bien qu’il me fasse fondre les yeux, est souvent largement aussi compréhensible que l’orthographe “juste”.
La justesse de l’orthographe est quelque chose de très clivant, et il faut garder à l’esprit l’objectif : faire progresser la personne aidée, pas l’écraser.
Mon conseil à ce sujet : corriger les fautes d’orthographe en privé, en dernier, et surtout se concentrer sur celles qui gênent la compréhension. On ne fait pas une correction de dictée, que diable.
La grammaire
La grammaire est plus fourbe que l’orthographe. Entre les effets de style et les jeux de mots, il est parfois difficile de démêler l’erreur de la vérité.
Proposer une reformulation d’une phrase incompréhensible pour nous peut être à double tranchant car c’est peut être la phrase préférée de l’auteur.
Mon conseil à ce sujet : faire remarquer uniquement l’incohérence des temps, car elle gène la compréhension et peut même complètement changer le sens d’une situation, et glisser subtilement la difficulté à comprendre tel ou tel paragraphe
Le vocabulaire
Certains textes peuvent paraître naïfs, bourrés de répétitions et de clichés. ET ALORS ? Est-ce que l’histoire est belle ? Est-ce que vous trouvez les dictées de Pivot intéressantes au delà de l’usage de mots compliqués ?
Mon conseil à ce sujet : comme pour tous les autres points, après avoir obtenu l’aval de l’auteur, proposer la reformulation d’une phrase en expliquant pourquoi. Le vocabulaire s’acquiert avec le temps et l’expérience. Demander à un auteur d’écrire avec les mots d’un autre est contre nature.
Voici une proposition que j’ai pu faire à propos d’un texte d’un wikipenien :
Attention aux tournures trop explicatives qui affaiblissent ton texte. Je prends pour exemple “Il s’agissait d’un grand incendie qui brûlait un vieil immeuble abandonné.” Tu peux lui donner de la puissance en personnifiant l’incendie, par exemple “Un grand incendie dévorait un vieil immeuble abandonné“, c’est percutant, et on comprend tout à fait que l’incendie est grand et impressionnant, non?
Le style
C’est le sujet le plus difficile de tous à aborder, car nous aimons tous des styles différents. A titre personnel par exemple, je déteste le style de Tolkien. Sa façon d’écrire me rend fou. Pourtant j’adore son univers. Est-ce qu’il a tort pour autant ?
Je ne crois pas.
Le style est une savante combinaison de tous les points ci-dessus, tellement complexe que personne n’a raison.
Mon conseil à ce sujet : à moins que le texte ne vous tienne vraiment à coeur et qu’un passage particulier vous gêne (auquel cas vous pouvez toujours en parler avec l’auteur), passez votre chemin, le terrain est trop épineux. En revanche si on vous demande personnellement si vous avez aimé tel ou tel texte, vous pouvez répondre franchement et en privé.
La mise en forme
Aérer les paragraphes, distinguer les dialogues et décorer le texte, c’est un peu le dressage de l’assiette. Un bonus indéniable, pas une nécessité.
Mon conseil à ce sujet : signaler les problèmes de mise en forme rend service à la lisibilité du texte et ne touche pas à la sensibilité de l’auteur. Personnellement je n’hésite pas à suggérer des changements (coupure de paragraphe, aération du texte) .
Voici une proposition que j’avais eue à propos de Crépuscule Gris :
– Les cristaux, Franck. On n’a jamais vu ça. Certains font deux mètres de diamètre… Elle s’arrêta en joignant ses mains devant sa bouche, les yeux pétillants et suspendus à la réaction de Franck
– Incroyable, répondit-il bouche bée, c’est… incroyable
Ici, la transition entre l’annonce et la surprise pourrait être améliorée. Premièrement, l’incise serait mieux à la ligne, pas parce qu’elle est longue, mais parce que tu cherches à produire un effet. Le « incroyable » suit mal l’annonce. On se demande à quoi il attribue sa surprise. On remonte et on voit : « cristaux de deux mètres », alors on se dit, c’est vrai, ce sont de gros cristaux, mais l’effet est perdu.
Le fond
La règle d’or
Le fond n’appartient qu’à l’auteur, il n’y a pas de vérité. Si l’histoire vous plaît, tant mieux, sinon… tant pis.
Les idées
Je ne fais JAMAIS de remarque sur le fond, car c’est la propriété de l’auteur. Je n’ai pas mon mot à dire dessus. Vous ne devez pas tenter de tordre un texte pour qu’il vous plaise. Par contre, si l’auteur vous demande un coup de main car il est bloqué dans une situation, ou qu’il hésite entre deux orientations à donner, le processus n’est pas le même, c’est lui qui vous consulte.
Mon conseil à ce sujet : à moins d’une incohérence flagrante dans la narration qui a pu échapper à l’auteur, auquel cas ça peut lui rendre service, abstenez-vous.
Alors que faire quand un auteur veut un avis sur son texte et pas une relecture ?
La plupart du temps, les conseils que je reçois sont des reformulations de phrases. Je ne dis pas non, mais parfais j’aimerais aussi avoir des avis sur l’ensemble du texte et pas simplement “Ah oui, c’est très bon”.
Pour être honnête je n’avais pas d’idée préconçue sur comment faire un retour sur un texte autrement que pour proposer des modifications. J’ai commencé à comprendre, et pour ça je vais simplement piocher dans les commentaires que j’ai reçus et qui m’ont marqué :
J’ai été conquis par la première partie. Bien écrit, fluide, connaissance des éléments et techniques citées, dialogues. On a réellement le sentiment de se trouver face à une œuvre aboutie.
À partir de la rencontre avec Marie, ça baisse en régime, principalement, je pense, du fait que certaines étapes sont raccourcies, voire ignorées, que ce soit dans les rapports entre personnages ou les actions. En gros, à certains endroits, ça manque de liant. Au vu du potentiel de la première partie, je dirais que l’ensemble est prometteur, car il ne reste qu’à identifier et combler quelques « trous ».
Le commentaire fait plaisir car la personne dit avoir apprécié le texte et pourquoi, je suis donc réceptif à la seconde partie qui est une suggestion
Rien à dire sur le fond, l’histoire t’appartient et puis le sujet est original et intéressant, avec suffisamment de connaissances ou d’arguments techniques pour le rendre crédible et attrayant. Si Franck et Marie ex au début de l’histoire, terminent ensemble à la fin, ce canevas très classique pourra lasser certains lecteurs par le côté attendu de la chose et leur paraîtra peut-être justement trop classique, mais c’est une ficelle que nous utilisons tous régulièrement
L’inclusion d’éléments du récit dans le commentaire montrent que la personne s’est appropriée des éléments du récits, c’est touchant. La mise en garde m’a amusé et elle trotte toujours dans ma tête (no spoil)
C’est difficile à dire précisément : mais déjà ce sont mes deux personnages préférés (je m’identifie à eux facilement sans doute), probablement la narration qui est fluide. Dans certains chapitre, je suis un peu paumée entre les différents personnages, là non.
Les scènes du passées sont tellement entraînante que j’en avait oublié la situation du présent ! J’aime beaucoup le choix du titre, et ça promet pour la suite
La personne indique ce qu’elle a aimé et pourquoi, et précise ce qui a pu la gêner précédemment, un commentaire flatteur, utile et constructif
C’est dynamique, c’est fluide, c’est intriguant. La recette parfaite !
Là ça fait juste plaisir !
Les éléments communs à ces commentaires sont :
- la référence à un passage du texte
- un avis personnel expliqué
- parfois une suggestion bienveillante
Conclusion personnelle et subjective :
– demander l’aval de l’auteur avant de proposer des corrections qui touchent à des éléments techniques (orthographe, grammaire, vocabulaire)
– le faire en privé
– accepter la réponse de l’auteur (s’il n’a pas envie de progresser c’est triste, mais c’est son droit)
– décider si on a envie de continuer à aider ou pas
Et vous qu’en pensez-vous ?
Très intéressant et comme souvent je partage ce que tu dis (sans hypocrisie hein ;)). Mais en arrivant sur Wikipen, je me suis rendue compte qu’il m’était très difficile de formuler une critique constructive. Parfois qqchose me dérange, mais je n’arrive pas identifier quoi… Parfois j’aurais envie de reformuler mais là, comme tu le dis je crois, c’est intrusif.
J’ai tout lu ^^ plusieurs fois, une question d’habitude, le point qui me chagrine ^^ pouvoir aider les autres, une remarque sur un mot, sur un point d’orthographe dommage, il n’y a que l’auteur qui en profitera. J’ai sans doute d’autres remarques ^^ mais comme je me connais ^^ je préfère éviter.
Oh ! Je suis ta référence officielle ? C’est adorable, merci (j’ai reconnu l’un de mes commentaires héhé).
C’est une bonne idée d’entrer dans le détail du "how to" quand on commente un texte. C’est toujours délicat, on aimerait proposer une critiques de certains éléments mais on peut se retenir de peur de vexer l’auteur (car au fond, il ne mérite pas d’être déprimé par notre faute et son texte est plutôt bon alors, pourquoi le titiller sur des détails ?).
Au fait, j’ai beaucoup aimé cet exemple en particulier : Attention aux tournures trop explicatives qui affaiblissent ton texte. Je prends pour exemple "Il s’agissait d’un grand incendie qui brûlait un vieil immeuble abandonné." mais, par exemple "Un grand incendie dévorait un vieil immeuble abandonné". Je pense que cela m’a permis de comprendre ce qui a pu me gêner dans certains textes !
^^ le style selon les prismes ^^ parce que l’immeuble m’importe et non pas le méchant incendie ^^ Un (Le) vieil immeuble abandonné se faisait dévorer par le (un) grand incendie. ^^ oui je sais ^^
Je suis content de voir que cet article suscite du débat, car il n’y a pas de vérité absolue bien sûr 🙂
@Audrey : je te l’avais dit, ton article était vraiment plein de bon sens et de bonnes idées
@Aude : j’ai tenté de faire progresser un peu l’auteur, forcément de manière subjective avec mon prisme. c’est aussi encourageant de me dire que je n’ai pas écrit que des conneries, merci pour ton soutien 😉
@ Michel : je ne me rappelle plus exactement dans quel contexte ça se trouvait, il me semble que l’immeuble n’était qu’une partie du décor et n’avait pas d’importance particulière dans le récit. Par rapport à ta version, qui est tout à fait valable, à titre personnel, j’essaie d’éviter au maximum les tournures passives (je n’y arrive pas toujours). Effectivement le fait de partager des corrections en privé en restreint l’accès, mais permet de protéger aussi d’un sentiment (certes léger) d’humiliation publique
Merci pour tous ces retours !
@Michel Wine, oui bien-sûr il n’y pas qu’une façon de rédiger de manière moins explicative. Ton exemple le montre bien