Froid comme la mort

15 mins

Avez-vous déjà vu un de ces films où les héros sont bloqués, enfermés dans un endroit coupé du monde civilisé, avec un tueur dont, bien sûr, on ignore l’identité jusqu’à la fin ?
J’ai vécu ce genre d’expérience. En vrai.
Je m’appelle Simon. Cette histoire est arrivée l’année passée, vers le mois de décembre. Je venais de me faire jeter par Stella, une fille dont j’étais complètement dingue. Sans rentrer dans les détails, elle trouvait que je m’investissais un peu trop dans notre relation. Elle me trouvait sympa, drôle, mais apparemment ce n’était pas suffisant. Moi, comme je l’ai déjà dit, j’étais complètement bleu de cette fille. Elle était belle à tomber et sa voix cassée lui donnait un charme fou. Elle avait un humour plutôt noir, ce qui tranchait avec la fille éblouissante qu’elle était. Ça me plaisait énormément. Et moi, quand je suis amoureux, je me donne à fond, peut- être même trop. Elle a fini par trouver que mes petits cadeaux, mes câlins incessants, mon empressement à lui dire « Je t’aime » cinquante-trois fois par jour (minimum), tout ça était vraiment trop. Elle étouffait. Elle me le disait souvent, j’aurais donc dû voir ce qui allait arriver. Elle m’a envoyé un message sur mon portable, un dimanche matin, qui disait : « C’est fini. Désolée. Bonne journée. Stella. ». « Bonne journée » ? Je vous avais dit qu’elle avait un humour plutôt… noir.
Bref, inutile de vous dire que j’étais passablement dépité. Je ne sortais presque plus de chez moi, juste pour aller travailler et faire les courses. Je restais seul devant ma télévision, seul devant ma console de jeux vidéo, seul devant mon ordinateur (enfin… avec mes 236 amis Facebook, quoi…). Un jour, le téléphone a sonné. C’était Bernie, mon meilleur ami (et accessoirement, mon cousin…). En fait, son prénom, c’est Bernard. Mais je préfère l’appeler « Bernie » que « Nanard »… Lui aussi, je crois.
Il travaille dans une station de ski. C’est le genre de mec qui vous aide à bien saisir le tire-fesse, ou bien celui qui est au stand des skis de location… Bref, il fait un peu de tout…
– Ben alors, ma poulette ?
– Hey, Bernie…
– Je suis un peu déçu, j’espérais que tu ne répondrais pas…
– Ça me va droit au cœur, cousin…
– Non, sérieux, tu es encore cloîtré chez toi ?
– Boarf…
– Il va bien falloir que tu l’oublies un jour, cette nana… Elle n’était pas si extraordinaire que ça quand même ? En plus, elle avait un gros nez…
– N’importe quoi…
– Bon, écoute. Tu es mon cousin. Et tu es mon pote. Je crois que j’ai la solution pour toi.
– Raconte…
– Viens à la station. Je t’offre l’entrée ! Tu verras, rien de tel qu’une journée de glisse dans la poudreuse ! En plus, ça grouille de nanas en cette belle saison…
– Bof, je ne sais pas…
– Écoute, vieux, tu es obligé de venir. J’ai déjà ta place.
C’est ainsi que je me suis retrouvé dans cette station battue par la neige, avec une pair de skis sous le bras, à regarder ces gens qui semblaient trouver follement amusant de filer à trente kilomètres heure sur deux fins bouts de bois avec un risque constant de se viander et de se casser quelque chose.
Moi, peureux ? Naaan…
La journée s’est déroulée sans accroc. Désespérément sans accroc. A part descendre, remonter, descendre, remonter, je n’ai pas fait grand-chose. Il n’est pas utile que je m’éternise sur cette journée… J’étais ravi de reprendre le téléphérique qu’on devait prendre pour descendre de la montagne. Le temps commençait à se couvrir et le vent soufflait beaucoup plus fort. Mon salaud de cousin (vous savez, celui qui m’a obligé à venir dans cet endroit froid et dangereux ?) se trouvait dans la télécabine et me regardait en souriant. Il s’occupait de veiller à la sécurité des passagers en s’assurant que les portes étaient bien fermées avant le départ de la cabine. Confier cette tâche à mon cousin prouvait que les propriétaires de cette station manquaient de raison. Je dis ça car Bernie est un tantinet distrait. Il lui est déjà arrivé d’arriver à l’école en pantoufles. Véridique.
Nous n’étions pas seuls. Il y avait un couple de quadragénaires, un playboy souriant qui traînait une groupie blonde à son bras, deux snowboarders et une jeune fille avec des grosses lunettes et en combinaison rose. Bernie a fermé la porte et s’est bien assuré que tout était sécurisé, comme ses inconscients de patrons le lui ont demandé. Il avait l’air préoccupé. Je lui ai discrètement demandé ce qui clochait.
– Le vent s’est levé… Et je n’aime pas la tronche de ces nuages, là-bas.
– C’est mauvais ?
– Bah… Ça va aller… On sera en bas avant que la tempête n’arrive.
« La tempête ? »
Bernie s’est trompé. La cabine avait à peine parcouru une centaine de mètres que le vent s’est mis à la faire balancer violemment. Les filles (et quelques mecs, dont votre serviteur) ont crié de peur. Les autres se sont cramponnés en regardant autour d’eux. L’obscurité s’est abattue sur nous en un instant. La neige battait les vitres comme si une force supérieure nous en voulait. Il y a eu un grincement sinistre et la cabine s’est arrêtée subitement dans un soubresaut qui nous a tous fait croire que notre dernière heure avait sonné. Mon cousin a pris son talkie-walkie et a essayé de joindre la station. Pas de réponse.
Voilà pour les personnes bloquées, enfermées dans un endroit coupé du monde civilisé. Mais la situation allait vite empirer.
***
Que font neuf personnes bloquées dans un téléphérique balloté par un fort vent de tempête, battu par la neige, avec la nuit qui les plonge peu à peu dans une obscurité glaciale ?
D’abord, ils attendent. Il leur paraît impossible qu’ils restent longtemps dans cette situation désagréable. Ils se disent que la cabine va repartir, ou bien qu’on viendra les sauver. Les plus imaginatifs se voient déjà embarqués en hélicoptère emballés dans une couverture et se demandent la tête que feront leurs amis quand ils leur raconteront ça.
Mais cela faisait maintenant une bonne heure qu’on était bloqués. L’espoir laissait peu à peu sa place à la peur. Et pire que tout, le froid se faisait sérieusement sentir. Normal, quand on sait que le rôle de ces téléphériques était de mener les utilisateurs du bas de la montagne à son sommet ou l’inverse. La traversée, quand tout allait bien, ne dépassait pas dix minutes. Rien n’était donc prévu dans ces cabines pour garder un tant soi peu de chaleur. Pas de chauffage, pas de couverture et encore moins un feu ouvert assorti d’une peau d’ours. On était donc tous en train de grelotter dans notre coin. Moi, j’avais laissé tomber toute dignité depuis longtemps et j’étais recroquevillé dans un coin, le nez enfoui dans mon écharpe, les bras croisés, les dents jouant des castagnettes. Ceux qui avaient la chance d’être en couple se pelotonnaient l’un contre l’autre. Monsieur Quadragénaire tenait Madame dans ses bras et le Playboy avait enlevé sa doudoune de héros pour en revêtir la Groupie, reconnaissante. Les Snowboarders, eux, tenaient leurs distances. De vrais durs, même dans des conditions extrêmes. La Demoiselle à Lunettes était dans le coin opposé de la cabine, ses genoux contre sa poitrine. Elle sirotait une de ces boissons à la mode, d’une couleur bleue fluo et très sucrée. Elle regardait le Playboy et sa copine. Sans doute aurait-elle voulu être à la place de la jeune fille qui se lovait dans la doudoune du bellâtre. J’avais presque envie d’aller près d’elle, juste pour discuter et lui remonter le moral. Mais non, j’avais trop froid.
Mon cousin essayait désespérément de contacter la station, sans succès. Le pauvre s’évertuait à prononcer encore et encore la même phrase :
– Allô allô, ici Bernie… J’appelle la station… Vous m’entendez ? Allô…
– C’est bon, là, on en a marre d’entendre la même chose, change de disque, s’impatienta le Playboy.
– Lui, au moins, il fait quelque chose pour qu’on s’en sorte, objecta l’un des Snowboarders, le plus petit des deux.
Le Playboy le regarda et pouffa d’un air méprisant. Le petit Snowboarder voulu répliquer mais son ami le retint en secouant la tête du genre : « Laisse tomber, il n’en vaut pas la peine… » A quoi le Playboy répondit :
– Oui, c’est ça, écoute ta copine, ça vaut mieux.
Là, le plus grand des deux jeunes hommes fusilla son adversaire du regard et s’avança, un air de défi sur le visage. Ils allaient jouer des poings. Le Quadragénaire s’interposa :
– Allons, ce n’est pas vraiment le moment…
– Mêle-toi de tes affaires, le vieux, siffla le Playboy.
– Luke, viens t’asseoir, ne t’en mêle pas… dit la quadragénaire à son mari.
La Groupie essaya de calmer le Playboy. Il la repoussa. Il lui reprit sa doudoune et s’en alla bouder dans son coin.
L’ambiance, déjà morose, est devenue exécrable. Dans ce genre de situation conflictuelle, je préfère déserter et revenir quand c’est plus calme. Mais là, pas moyen de partir.
Une autre heure a passé. Les occupants de notre prison gelée s’étaient enfin décidés à parler ensemble, histoire de passer le temps et d’oublier que dehors, la neige glacée balayait notre cabine qui pendouillait au-dessus du vide. J’ai ainsi appris que les quadragénaires se nommaient Luke et Madeline et que Luke était médecin. Steve et David étaient venus faire du Snowboard avant de reprendre le chemin de l’université. Marion, timide derrière ses grandes lunettes, sa bouteille de Squizz bleu fluo goût « Fraise Déjantée » à la main, nous apprenait qu’elle venait de quitter la maison de ses parents et que la première chose qu’elle avait fait était du ski, chose qu’elle n’avait jamais fait quand elle vivait chez papa et maman. Charlotte (qui insistait pour qu’on l’appelle « Charlie ») était tout simplement en vacances quand elle avait rencontré Eric, qui l’avait directement séduite avec de belles paroles, ce qui avait vraisemblablement marché. Elle ne comprenait pas son comportement, il s’était conduit tellement bien avec elle. Eric, lui, restait renfrogné dans son coin, ses écouteurs sur les oreilles.
La nuit était bien avancée quand Luke a dit qu’il valait peut-être mieux dormir, que les secours ne viendraient certainement pas avant le lendemain matin. Il avait raison. Et puis on était tous lessivés. On a donc tous choisi des banquettes pour passer la nuit. Curieusement, je me suis assez vite endormi. J’ai même réussi à rêver. J’étais dans un bus en feu (ce qui ne m’inquiétait pas outre mesure, je m’en fichais même éperdument), et le capitaine Crochet me disait qu’il fallait sortir par le toit pour aller cueillir des oignons…
Je me suis réveillé au son de la voix de Charlie. Les vitres étaient couvertes de neige, mais la froide lueur qui transparaissait m’a fait penser que le jour s’était levé. La tempête s’était calmée. Charlie appelait Eric. Il ne se réveillait pas. Je me suis demandé comment il pouvait faire pour dormir si profondément. Elle a commencé à le secouer, de l’inquiétude dans la voix. Luke s’est alors levé et il a donné de petites gifles au playboy en l’appelant d’une voix forte. Il a senti son pouls et son front s’est plissé de rides d’inquiétude. Il a chuchoté « Oh non… « . Puis il a reniflé. Il a approché son visage de celui du jeune homme et il a senti sa bouche ouverte. Il s’est redressé, le visage pâle, les yeux ronds.
– Cette odeur d’amande… Du cyanure ! Il a été empoisonné !
***
Empoisonné. Quelqu’un avait empoisonné Eric, ce jeune homme orgueilleux que personne d’entre nous, vraisemblablement, ne connaissait il y a encore vingt-quatre heures. Le temps s’est figé sur notre groupe, glacé et palpable. Charlie avait les yeux exorbités et ses larmes coulaient sans qu’aucun son ne sorte de sa gorge. Marion pleurait aussi, serrant ses genoux contre sa poitrine de plus belle. Steve et David regardaient autour d’eux, aussi perdus que des enfants dans une forêt sombre. Bernie tremblait, triturant son talkie-walkie. Madeline restait immobile, une main sur sa bouche. Pour ma part, j’étais complètement abasourdi. Je n’arrivais pas à y croire. Quand et comment cela s’était-il produit ? Et surtout, qui avait fait ça ? Ca paraissait complètement dingue étant donné l’exiguïté de l’endroit où nous nous trouvions. Car cette personne était indéniablement parmi nous. Cela faisait à peu près douze heures que nous étions enfermés et il ne faut pas autant de temps pour mourir empoisonné au cyanure. Le cyanure est rapide, violent, sa morsure ne laisse pas de chance. A bien y réfléchir, ça avait dû se passer cette nuit. C’est le seul moment où le tueur avait pu tenter quelque chose sans être vu.
Évidemment, je n’étais pas le seul à être arrivé à cette conclusion. Dès que Luke a déclaré qu’Eric avait été empoisonné, il s’est dirigé vers sa femme, l’a pris dans ses bras et l’a emmené vers le coin le plus isolé de la cabine. Il nous regardait tous avec méfiance.
– Qu’est-ce qui vous prend ? a demandé Steve.
– Il faut vous faire un dessin ? C’est pourtant évident qu’il y a un assassin parmi nous !
– Q…Quoi !? a balbutié Bernie… Oh mon Dieu !
– Il a raison, ai-je dis. Si Eric a été empoisonné au cyanure, le meurtre a été commis cette nuit… Et l’un de nous l’a fait.
Un silence pesant s’est abattu sur nous. Seul le son du vent nous parvenait à travers la fine paroi de métal. Je me suis assis par terre, dans un coin. J’étais désespéré. Est-ce qu’on allait mourir ici ? Est-ce qu’une autre nuit allait tomber sur nous, donnant l’occasion à la mort de frapper à nouveau ?
Plutôt que de me laisser envahir par ces idées noires, j’ai réfléchi à ce qui nous arrivait. Quand j’étais petit, j’étais un véritable fan de romans policiers. J’ai lu toutes les œuvres de Sir Conan Doyle et d’Agatha Christie qui se trouvaient dans la bibliothèque de ma mère. Dans toutes les histoires où il était question de meurtre, l’enquêteur devait trouver la réponse à trois questions : « qui ?« , « comment ? » et « pourquoi ?« . Qui avait commis ce meurtre ? Comment s’y était prise cette personne pour commettre ce meurtre au nez et à la barbe des sept autres ? Et quel était son mobile, le pourquoi qui avait décidé ce geste fatal ?
J’ai regardé les personnes qui se trouvaient avec moi dans cette cabine en gardant ces trois questions en tête. Eric s’était montré un tantinet désagréable avec Steve, David, Luke, Charlie et, bien sûr, ce cher Bernie. Je ne voyais vraiment pas mon cousin capable de commettre un meurtre. Je l’avais vu essuyer d’autres insultes et humiliations bien plus graves sans broncher. Et puis c’est avec lui qu’Eric s’est montré le moins virulent. Par contre, il n’avait pas été tendre avec Steve et David, dont la virilité avait été remise en question. Et avec des jeunes paons dans leur genre, ça ne pardonne pas. Luke avait aussi peut-être mal pris que le Playboy lui manque de respect. Quant à Charlie, après avoir plané et cru au prince charmant, la chute avait dû être rude. On avait vu des femmes tuer celui qu’elles aimaient pour moins que ça. En même temps, il l’avait juste repoussée. Est-ce une raison valable pour tuer ? Je n’avais aucun indice à ce moment-là, mais personnellement, mes premiers « suspects » (voilà que je me prends pour Hercule Poirot) étaient Steve et David. Ils étaient ceux dont l’humiliation avait sans doute été la pire. Mais en y réfléchissant bien, pourquoi se seraient-ils promenés avec du cyanure ?? Comment se seraient-ils procuré le poison ? Je les regardais en me posant cette question. Steve buvait une boisson orange vif, de la même marque que Marion sirotait le jour avant. Ses yeux étaient vides de toute expression. David gardait la tête baissée. Si personne n’avait été là pour l’observer, je suis sûr qu’il aurait pleuré…
Mais je ne pouvais pas me fier uniquement à mes impressions… Je devais trouver des indices. Le problème, c’est que je ne pouvais pas tout bonnement demander à chacun de vider son sac. Je devais me montrer discret. Et la chose ne s’annonçait pas aisée.
***
De là où j’étais, je pouvais voir mon cousin. Il avait l’air passablement secoué par cette histoire. Normal, étant le seul membre du staff de la station, il était en quelque sorte responsable de nous. Comme si nous étions des enfants dans une colonie de vacances. Je le vis froncer les sourcils. Il regardait par terre. Il s’est baissé et a ramassé une bouteille vide qui avait contenu la boisson fluo qui semblait ravir les papilles de tant de jeunes en ce moment. Il a reniflé le goulot, peut-être parce qu’il se demandait quelle odeur pouvait bien sentir cet élixir. Il a eu l’air dégouté, a regardé la bouteille comme si elle venait de l’insulter et l’a mise dans un sachet qu’il avait en poche. Ses patrons lui avaient sans doute donné comme consigne de veiller à ce que la cabine reste propre, et il n’y avait pas de poubelle dans le téléphérique. Espérons qu’ils ne lui tiendraient pas rigueur pour le cadavre qui traînait à terre. Humour noir. Désolé.
J’observais mes deux suspects. Ils se parlaient à voix basse. Steve avait l’air en colère contre David, qui avait l’air de bredouiller des excuses. Ce dernier semblait cacher quelque chose dans sa poche. Soudain, dans une secousse terrible, le téléphérique s’est remis en marche. Des cris de surprise ont fusés dans la cabine pendant que nous perdions l’équilibre. L’objet que David s’efforçait de cacher lui a échappé. Le jeune homme s’est dépêché de le ramasser et l’a fourré dans sa poche. J’ai bien vu ce que c’était. Une seringue.
Le soulagement pouvait se lire sur les visages. Mon cousin discutait avec Marion. Luke a serré sa femme contre lui. On allait s’en tirer. Mais ce n’était pas fini. Les meurtriers d’Eric devaient payer. La police allait nous interroger et je savais ce que j’allais leur dire. Steve et David se sont violemment disputés avec Eric. Que David avait une seringue dans la poche et que s’ils vérifiaient, ils y trouveraient certainement des traces de cyanure. Je détestais avoir à faire ça, mais un meurtre n’est pas une chose qu’on peut laisser passer.
La cabine est enfin arrivée à la station, après un voyage qui m’a paru durer une éternité. Il y avait une ambulance qui nous attendait, au cas où il y aurait des blessés. La police était là aussi, ce qui m’a étonné sur le moment puisque personne n’aurait dû savoir ce qui s’est passé.
La porte s’est ouverte sur un homme rondouillard d’une cinquantaine d’années, à la moustache sévère. Il est entré et s’est présenté comme étant l’inspecteur Julius Crawford, du bureau de police local. Il nous a demandé de bien vouloir patienter avant de sortir puis il a remarqué le corps d’Eric sur le sol. Des secouristes ont alors fait leur entrée et se sont dirigés vers le cadavre. Le policier nous a tous regardé.
– Mais que s’est-il passé, ici ??
– Un meurtre, inspecteur, a répondu Luke. Il a été empoisonné. Je ne sais pas pourquoi vous êtes là, mais vous tombez plutôt bien…
– Je suis ici parce qu’une source m’a informé que des personnes que nous recherchons depuis un moment pour trafic de stupéfiants se trouvent ici, parmi vous.
Steve et David ont subitement parus très nerveux. C’est là que j’ai voulu entrer en scène pour dire à tout le monde ce que j’avais découvert quand mon cousin m’a coupé.
– Inspecteur, si vous le permettez, je vais vous apporter mon aide pour ce qui est de ce meurtre. J’ai découvert certaines choses et, si je ne me trompe pas, je crois savoir qui a tué cet homme.
Tout le monde a dévisagé Bernie. Le silence était pesant. J’étais à la fois surpris et curieux d’entendre ce qu’il avait à dire. Était-il arrivé à la même conclusion que moi ?
– Pour commencer, comme vous le savez sûrement, nous sommes ici depuis hier soir. Eric était mort ce matin et Luke, qui est médecin, nous a appris qu’il sentait l’amande, symptôme qui indique que cet homme a été empoisonné au cyanure. En toute logique, ce meurtre a été commis cette nuit, par l’un d’entre nous. Au début, je ne voyais pas trop comment cela avait pu se produire, puisque nous étions tous présents. Nous dormions, mais nous étions là. Pas question de lui faire prendre le poison de force. Cela nous aurait logiquement réveillés. Il fallait donc que le meurtrier soit très discret. Ou alors qu’il ou elle gagne la confiance de la victime pour lui faire ingérer un aliment empoisonné.
Bernie sortit la bouteille vide qu’il avait ramassé plus tôt.
– Le seul aliment que j’ai vu dans cette cabine est cette boisson, très sucrée, que certains d’entre nous ont bu. J’ai eu la confirmation de mes soupçons juste avant que la cabine ne redémarre. Cette bouteille empeste l’amande amère…
L’inspecteur prit la bouteille d’un air sceptique. Il renifla le contenu et parut très étonné.
– D’accord, vous avez trouvé l’arme du crime et je vous en félicite, répondit l’inspecteur. Puisque vous portez encore vos gants de ski, j’imagine qu’on n’y trouvera pas vos empreintes… Mais ça ne nous dit pas qui a commis ce meurtre…
– Sur ce point, je pense avoir aussi une théorie… J’ai longtemps pataugé dans ce domaine, car chacun d’entre nous aurait pu le faire. Mais étant donné la bagarre qui avait eu lieu la veille, je ne voyais pas qui aurait pu faire boire quoique ce soit à Eric sans déclencher, au minimum, des protestations qui auraient attirés notre attention. Il fallait donc que la victime boive le liquide de son plein gré. Sur le moment, j’ai donc soupçonné Charlie d’avoir fait le coup…
– Quoi !? protesta la jeune fille. Mais ça va pas, non !?
– Du calme, tempéra Bernie, j’ai changé d’avis quand la cabine à redémarré… Dans la secousse, une personne présente a laissé tomber son portefeuille. Il s’est ouvert et j’ai vu une photo en sortir. Sur cette photo, il y avait Eric en compagnie de la personne à qui appartenait ce portefeuille. La coupe était différente, le physique aussi, mais je l’ai tout de suite reconnue.
La tension était palpable dans la cabine. Mon cousin se tourna vers Marion, qui regardait le sol derrière ses grosses lunettes. Son sang avait déserté son visage.
– Dites-moi, Marion… Pourquoi ne nous avez-vous pas dit que vous et Eric êtes sortis ensemble?
La jeune fille gardait le silence, les yeux vides de toute expression. L’inspecteur s’approcha d’elle.
– Il va falloir vous expliquer Mademoiselle…
– J’ai rencontré Eric il y a deux ans… A l’époque, j’étais mince, je portais des lentilles… J’ai été engagée dans l’entreprise où il travaillait. Je suis tout de suite tombée sous le charme. Alors, le jour où il m’a invitée à sortir, j’étais aux anges… On a passé une excellente soirée. C’était très bien parti entre nous. On est resté quelque temps ensemble. C’était parfait. Mais un jour, il n’est pas venu travailler. Quand je me suis renseignée à son sujet, on m’a dit qu’il avait démissionné et qu’il était parti à l’étranger. Je l’ai cherché partout, sans succès. Je n’ai jamais eu de nouvelles de lui. Ça m’a brisée. Il m’avait promis de si belles choses… Je suis tombée dans une grave dépression.
Ça a été très difficile. Un jour, j’ai décidé d’en finir. Mais je ne voulais pas partir comme ça, bêtement. J’ai quitté la maison de mes parents et je suis partie faire du ski, chose dont je rêvais depuis longtemps… J’avais décidé de faire ce que je voulais avant de partir. Je travaille dans une bijouterie et on se sert de cyanure pour les dorures sur les bijoux. J’avais une dose mortelle sur moi. Mon plan était simple : profiter un maximum de ma journée au ski et puis en finir dans ma chambre d’hôtel. Et puis voilà que je le retrouve à la réception de l’hôtel, avec une autre fille sous le bras. Il lui serinait les mêmes mensonges qu’il m’avait servis… J’ai essayé de l’aborder. Au début, il ne m’a même pas reconnue ! Quand il s’est souvenu de moi, j’ai bien vu à son regard qu’il me trouvait pathétique, repoussante. Puis il m’a dit qu’il ne fallait plus que je lui parle, que je devais le laisser tranquille.
J’ai cru que j’allais devenir folle. J’étais furieuse. Il n’avait pas le droit de me traiter ainsi. Cette journée, qui devait être parfaite, a été horrible. Elle a été complètement gâchée. Et en plus je n’arrêtais pas de le voir se pavaner devant moi avec cette pouffe… Pour ne rien arranger, on s’est retrouvé bloqués dans cette machine de malheur ! La nuit est tombée. Je n’ai pas dormi. J’ai décidé d’en finir cette nuit-là et j’ai mis le cyanure dans ma boisson. Et voilà que juste à ce moment, il s’est relevé. Il a vu que j’étais éveillée. Il m’a demandé si je n’avais pas à boire. L’occasion était trop belle. J’ai savouré le moment où il a bu.
L’inspecteur est reparti avec trois personnes ce jour là. Marion, qui avait l’air soulagée, et David et Steve, qui étaient les dealers que Crawford était venu chercher au début. C’est pour ça que David avait une seringue sur lui, pour sa propre consommation. Steve s’était énervé contre lui car il n’était pas assez discret.
J’ai appris la suite par les journaux. Marion avait déjà un passé psychologique assez lourd. Elle aurait harcelé un de ses anciens petits amis et elle aurait tenté à plusieurs reprises de se suicider. Elle est internée dans un hôpital psychiatrique. Steve et David ont finis en prison, leur peine a été allégée car ils ont donné le nom de leur fournisseur, un gros poisson que la police recherchait depuis un moment. Mon cher cousin, quant à lui, s’est complètement transformé depuis cette histoire. Il est plus sûr de lui, il a trouvé sa voie. Après avoir aidé la police sur certaines affaires difficiles, il a ouvert son bureau de détectives privés. Moi, je préfère m’en tenir aux romans policiers. J’ai compris que, plutôt que d’essayer de démasquer des criminels, mon truc c’est d’écrire leurs histoires. Et celles de mon cousin, Bernie le détective. Car c’est lui, le véritable héros.
FIN

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