20 Mai 2021, 12h 20
Jour 0, heure -2 heures 5 min 38s
Chicago, état de l’Illinois
Dallas Lockwell était satisfait, et ce pour deux raisons. Premièrement, la chance avait fait qu’il s’était retrouvé au bon endroit au bon moment : il était déjà abrité depuis plusieurs minutes sous ce porche lorsque la pluie s’est mise à tomber. Deuxièmement, depuis plusieurs mois, tout se passait exactement selon ce qu’il avait prévu. Beaucoup lui ont dit qu’il était fou, mais lui savait que ce projet était un filon exploitable.
Bien sûr, il comprenait que l’idée puisse sembler un peu farfelue : certains étaient sceptiques quand à l’idée de remplacer 90 % des forces de police par des intelligences artificielles hautement équipées. D’autres le furent encore plus lorsqu’ils apprirent que ces IA seraient produites et fournies à l’État par une entreprise privée. Beaucoup ont crié au complot, d’autres ont même parler d’atteinte aux libertés.
Il y eu également d’autres arguments moins notables ; quelqu’un a notamment évoqué le fait que leur donner une apparence d’insecte ne ferait pas très sérieux. En présentant les choses sous cet angle, Dallas comprenait parfaitement pourquoi personne à part lui n’a accepté de financer ce projet. Lui-même eu des doutes lorsqu’il fut décider de soumettre la décision à un référendum. Il ne pensait pas que les gens accepteraient l’idée. Mais heureusement pour lui, il avait tort. 54 % de la population a accepté de se faire surveiller par des guêpes bioniques géantes. Tant que les résultats étaient là, Dallas avait l’habitude de ne pas être trop regardant sur les raisons qui y avait menées ; cependant, pour le coup, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qui avait pu passer par la tête de plus de la moitié de la population des États-Unis d’Amérique. Il n’avait pas vraiment de réponse. Peut-être qu’après la Pandémie de l’année précédente, les gens étaient devenus encore plus avides de sécurité.
Mais qu’importe la raison, au fond. Dans la semaine qui avait suivi le vote du projet, l’État de l’Illinois avait commandé cinquante Wasps à Heaven Industries. Un mois plus tard, chaque État était équipé d’unités de surveillance, d’intervention, au sol et aériennes. Comme il était le seul partenaire de l’entreprise, il touchait pas moins de 10 % de leurs bénéfices ; et à deux millions de dollars pas guêpe, il avait de quoi être satisfait. Sans compter que Heaven Industries recevait régulièrement de nouvelles commandes pour remplacer les unités endommagées par les attentats de ces groupes opposés aux projet et qui se désignaient eux-mêmes comme «Vermicides». Ça les rendrais sans doute malades de savoir à quel point ils lui sont utile. A chaque guêpe qu’il détruisent, c’est deux cent mille dollars de plus pour bibi. Alors, qu’ils continuent !
Cependant, au fur et à mesure que le temps passait, la satisfaction de Dallas se transforma en mécontentement. Le co-Pdg de Heaven Industries, Mike Hingent, l’avait invité à une réunion de la plus haute importance. Il lui avait donné rendez-vous dans ce gratte-ciel où il possède d’après lui un appartement. Ils devaient se rejoindre à midi pile, et voilà que Mr Hingent avait vingt minutes de retard. Agacé, il décida de lui téléphoner.
«Mr Hingent ? Dallas Lockwell à l’appareil. Excusez-moi de vous déranger, mais nous avions rendez-vous en bas de votre immeuble, et…
-Je suis en retard ? Oui, pardonnez-moi, Mr Lockwell, j’ai oublié de vous prévenir, j’ai modifié quelque peu mon emploi du temps d’aujourd’hui. Je suis déjà en haut. Je vous ouvre dès que je peux, je suis dans la salle de bain, là. Mais à part ça, comment allez-vous ?»
Leur conversation dura un bon quart d’heure. Pendant qu’il parlait, Dallas vit plusieurs personnes venir s’abriter sous l’appentis. Il remarqua notamment un individu d’allure négligée, aux cheveux gras, et qui poussait à côté de lui une moto qui ne le rendait pas particulièrement discret. Du haut de son appartement du vingt-cinquième étage, Hingent fini par lui annoncer qu’il allait ouvrir la porte. Apparemment, il était enfin sorti de sa salle de bain. Dallas le remercia, avant de raccrocher. C’est à ce moment que son regard croisa celui du nouveau venu. Il réalisa alors qu’il avait peut-être parlé un peu fort, et qu’il avait dû déranger ces inconnus qui étaient venus s’abriter. Il pensa un instant à engager un début de conversation, histoire peut-être d’avoir l’air sympathique pour faire oublier son incivilité, mais avant qu’il pût dire quoi que ce soit, un vrombissement lointain vint se mêler au son de la pluie. Dallas le reconnu immédiatement. Il doutait que quiconque d’autre sous l’appentis l’ai entendu tant il était discret ; lui en revanche en était capable : depuis plus de six mois qu’il travaillait en étroite collaboration avec Heaven Industries, il avait inconsciemment appris à détecter le bruit de ces machines, et même à les distinguer rien qu’en les écoutants. En l’occurrence, ce vrombissement particulièrement saccadé était caractéristique des unités de catégorie HI, « Heavy Intervention », où « Faucheuses », comme elles étaient appelée familièrement : une catégorie de Heaven Wasps spécialisé dans les interventions armées musclées. Comptants parmi les modèles les plus lourds, elles n’étaient pas particulièrement rapides ni même très gracieuses, que ce sois au sol ou en vol, mais leur coque était quasiment indestructible, et elles étaient lourdement armées, équipées chacune d’une mitrailleuse lourde et d’un réservoir de cinq mille munitions, sans compter leurs six pattes tranchantes, qui à elles seules constituaient chacune une arme potentiellement mortelle.
Oui, à l’oreille, il aurait planché sur des Faucheuses, mais il n’en aurait pas mis sa main à couper : tout d’abord, parce que le son était très diffus, et qu’il était possible qu’il ai mal entendu, et surtout parce que cela ne faisait aucun sens : pourquoi déployer des unité d’intervention armée lourde ici, et maintenant ? Ces Guêpes avaient probablement été envoyées ici pour surveiller les rues, prévenir un éventuel accident à cause de la pluie ; or, cela était plutôt le rôle des «Mouchardes», des unités de type « Overwatch Patrol », moins lourdement armées, mais plus rapides et équipées d’outils de détection de pointe. Oui, il a dû mal entendre, ce devait être des Mouchardes.
Il fût tiré de ses réflexions par le bruit indiquant que la porte venait d’être déverrouillée. Apparemment, Hingent avait enfin fini de rassembler ses forces et toute la volonté du monde pour appuyer sur un bouton. Dallas poussa le battant vitré, et, le maintenant ouvert du pieds, il proposa aux autres personnes présentes de venir s’abriter plus confortablement. Sans doute qu’inconsciemment, il voyait une façon de se faire pardonner. Une grosse femme et un couple en poussette acceptèrent volontiers. Un vieil homme, accompagné d’un jeune garçon, déclina gentiment. Dallas s’apprêtait à entrer à son tour lorsqu’il avisa l’homme à la moto. Ce dernier avait passé la tête hors du couvert de l’appentis, et semblait scruter le ciel. Se pouvait-il que lui aussi ai entendu les guêpes ? Peu importe. Il réitéra sa proposition à son attention. L’homme sembla hésiter, scruta encore une fois le ciel, puis finalement, sans un mot, avança vers la porte en poussant son véhicule à côté de lui. Dallas entra à sa suite, fermant la porte derrière lui. Elle se verrouilla automatiquement.
20 Mai 2021, 12h 13
Jour 0, heure -2h 11 min 45s
Propriété de Bob Landders, état du Minnesota
Lorsqu’il s’est levé ce matin-là, Bob Landders, 61 ans, s’attendait à vivre une journée tout à fait ordinaire, similaire à toutes celles qu’il avait vécu ces vingt-cinq dernières années. D’ailleurs, les choses ont d’abord semblé aller dans ce sens : il s’était réveillé aux alentours de sept heures, avait pris un solide petit-déjeuner à base de bacon et d’œufs frais, avait essayé de se motiver pour se raser, avait échoué, puis était sorti vers huit heures pour promener ses deux vieux amis : Nixon, un vieux boxer de huit ans et demi, et Kennedy, un beagle de six ans.
Comme d’habitude, il en avait profité pour nourrir ses poules et approvisionner en fourrage Lily, son unique vache laitière encore vivante. Une fois rentré, il reçut un appel de ce parasite de Talus Walkseed, qui voulait, sans surprise, lui proposer un nouveau prix pour son terrain. Une habitude plus récente il est vrai, mais que Bob avait fini par intégrer à son quotidien. Fidèle à la coutume, il lui avait dit d’aller se faire foutre, puis avait raccroché. Le temps étant plutôt bon, et parce qu’il avait besoin de se calmer, il s’installa dans son vieux rocking-chair et s’assoupit à l’ombre de son porche, Nixon dormant à ses pieds, son chat Roosevelt sur ses genoux. Une fois réveillé, il pris son carnet de notes, un crayon, ses clés, sa fidèle Winchester de 1924, siffla à Kennedy de le suivre, monta dans son pick-up et partit pour faire sa tournée bihebdomadaire de sa propriété.
Bien qu’il n’en donnait pas forcément l’impression, Bob Landders était l’un des plus gros propriétaires terriens du Minnesota. Alors que les autres agriculteurs abandonnaient les uns après les autres, revendant leurs terrains et leurs cultures pour trois fois rien avant de partir s’installer à Minneapolis, la grande ville la plus proche, lui tenait bon, et fort de ses années d’économies, avait pu en racheter une part assez peu négligeable. Bien sûr, il savait qu’il ne faisait pas le poids face à Talus Walkseed, le nouveau géant de l’agroalimentaire : mais il n’avait aucune envie de lui mettre des bâtons dans les roues, ni à lui ni à quiconque. Bob voulait simplement finir ses jours tranquilles, entouré de ses animaux, à faire de bonnes siestes sur son vieux rocking-chair. La production de ses neuf cent hectares de champs nouvellement acquis, dont il vendait la grande majorité aux supermarchés de Minneapolis, lui assurait d’avoir assez d’argent jusqu’à la fin de sa vie. Le seul défaut dans tout cela était qu’il devait s’en occuper seul. Cependant, cela ne le dérangeais pas outre-mesure ; il prenait même un certain plaisir à sillonner sa propriété, notant dans son carnet tout les problèmes, le niveau de maturité de chaque plan, etc. Évidemment, lorsque des plus grosses opérations étaient à mener, notamment lors des semailles et de la récolte, il ne faisait pas tout tout seul. Sans même aller jusqu’à Minneapolis, qui était tout de même à une cinquantaine de kilomètres, les patelins des alentours étaient pleins de jeunes gens prêts à travailler dans les champs le temps d’un été en échange de quelques billets.
La plupart du temps, ses tournées ne révélaient aucun éléments particulièrement notable. Mais pas ce jour-là. C’est en ce jour du 20 Mai 2021, quelques minutes après midi, alors qu’il faisait la tournée bihebdomadaire de sa propriété que le quotidien de Bob Landders bifurqua dans un direction qu’il aurait préféré éviter.
Les choses cessèrent de se dérouler comme il l’aurait voulu au moment où il avisa, sur le bord de la route, un homme qui agitait le bras dans sa direction. Non loin de lui, un peu en arrière, une voiture était arrêtée sur le bas-côté. Sur le toit était harnaché un tas de bagages qui semblait menacer de s’effondrer à tout moment. Cet homme venait très probablement de tomber en panne. Comment avait-il pu ne pas voir sa jauge ? Bob ne trouva pas de réponse, et pour cause il n’en chercha pas vraiment. Il se contenta de soupirer et de retenir un juron. Il allait devoir le prendre en stop. Pire, il allait devoir entretenir un contact avec un autre être humain. Le tableau fut complet lorsqu’une autre silhouette, cachée jusque là par la voiture, s’approcha de la première, qui continuait à agiter bêtement son bras. Ils étaient deux. Bob su alors que cette journée ne saurait être pire.
Bien sûr, si il avait pu connaître l’avenir, sans doute aurait-il relativisé.
20 Mai 2021, 13h 24
Jour 0, heure -1h 00min 48s
état du Wisconsin
La maison de madame Fodders était située à une bonne heure et demi de Chicago, dans le sud du Wisconsin, à quelque kilomètres de Janesville. Un trajet relativement long, mais auquel John Diccelli était habitué. Bien sûr, il était loin d’être le médecin le plus proche, et d’ailleurs c’était à eux que la retraitée faisait appel en cas d’urgence. Mais elle avait une confiance toute particulière en John depuis qu’il lui avait littéralement sauvé la vie l’année précédente, et cette visite hebdomadaire dans sa maison reculé en rase campagne était devenue entre eux une sorte de rituel, sceau d’une relation presque amicale entre la vieille dame et le médecin. John lui était sympathique, et elle s’était prise d’affection pour Leïla, alors ils s’étaient plus ou moins engagés à venir la voir une fois par semaine, moins finalement pour vérifier son état de santé que pour lui tenir un peu compagnie, à elle qui vivait seule. Le docteur, comme à son habitude, prenait beaucoup de plaisir à aider les gens, et ce trajet hebdomadaire à bord de son vieux Chevrolet bleu ne lui semblait absolument pas être une corvée. Il en était de même pour Leïla. Assise à l’arrière, elle regardait défiler les paysages par la fenêtre en mordant dans le sandwich œufs-thon-mayonaise que John avait préparé et enveloppé soigneusement dans du papier aluminium. Les hautes tours et les rues bondées du centre de Chicago avaient laissé place peu à peu à de grandes étendues jalonnées de fermes et d’habitations isolées. Ils avaient laissés la pluie derrière eux, et un grand soleil illuminais les plaines qui se prolongeaient à perte de vue. Leïla espérais que cela dure. Pour la première fois depuis trente minutes, elle pris la parole.
« Tu penses que la pluie se sera arrêtée quand on rentrera chez nous ?
-Je ne sais pas. Je penses que oui. C’était juste une averse estivale. Ça ne dure jamais très longtemps. » John essaya d’avoir l’air convaincu, mais bizarrement, il avait du mal à croire à ce qu’il disait. Ils étaient restés bloqués pendant une dizaine de minutes dans les embouteillages à Chicago, et il avait eu tout le temps de voir voler dans le ciel une poignée de Heaven Wasps. Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais ce détail l’empêchait d’être pleinement à l’aise. Leïla avait dû le remarquer, car elle ajouta :
« T’ as pas l’air convaincu. T’es sur que ça va ?
-Oui oui, ne t’inquiètes pas, tout vas bien. Tu sais quoi ? On a qu’a écouter la météo, ils en sauront plus que nous. » Le docteur alluma l’autoradio. Il était déjà réglé sur la chaîne d’informations en continu. C’était justement l’heure de la météo. Apparemment, le nuage de pluie au dessus de l’Illinois allait se déplacer en direction du nord, et l’averse avec lui.
« Mince. On va être en plein dedans au retour. C’est pas de chance ! »
Soudain, la voix de la présentatrice fut interrompue par la voix d’un journaliste, qui parlait très sérieusement, peut être même trop au goût de John.
« Votre attention s’il vous plaît, flash d’info spécial. On nous signale que depuis plusieurs minutes, les Heaven Wasps semblent agir bizarrement. De partout dans le pays, elles se posent au sol ou bien restent à altitude très basse, et se regroupent en essaims compacts. A Washington notamment, plusieurs d’entre elles viennent de se poser dans le jardin de la Maison Blanche, et y restent statiques. Les autorités des états concernés disent ne pas avoir d’explication. On suspecte un dysfonctionnement du système informatique de Heaven Industries. Nous sommes dans l’attente d’une prise de parole publique de leur part.
-Merde… Le docteur eu le réflexe d’éteindre immédiatement la radio.
-John ! T’as dis un gros mot !, s’amusa Leïla, la bouche pleine.
John essaya de garder son calme. Après tout, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Ils l’ont dit, c’est sans doute un bug. Ces bestioles reprendront un comportement normal d’ici quelques minutes. Il devait se concentrer sur l’instant présent. Sur ce qui importait : sa visite chez madame Fodders, et Leïla. Il devait protéger Leïla. Ah, et aussi se concentrer sur la route.
Perdu dans ses pensées, il ne vit pas la Guêpe aussi tôt que ce qu’il aurait pu, mais largement assez tout de même pour pouvoir freiner. Il était un peu déconcentré, mais il aurait fallu être aveugle pour ne pas la voir : elle était posé là, en travers de la route, sa carapace métallique reflétant les rayons du soleil. Dès qu’il l’aperçu au loin, John écrasa la pédale de frein. Le Chevrolet dérapa sur une dizaine de mètre dans un crissement infernal, avant de s’arrêter à cinq mètres environ de la Guêpe. Cette dernière ne remua pas d’un pouce. Elle avait son corps oblong perpendiculaire à la route. Sa tête était tournée vers la voiture, elle semblait la regarder de ses six yeux bioniques qui brillaient d’une lueur orangée.
L’espace d’un instant, John fut incapable de faire quoi que ce soit. Il soutint le pseudo-regard artificiel de la machine. Elle était presque aussi grande que sa voiture. Les diaphragmes qui lui servaient de paupières s’ouvraient et se refermaient subrepticement, exactement comme si elle clignait des yeux. Ses mandibules articulées s’agitaient et s’entrechoquaient dans un léger tintement métallique. Puis soudain, le docteur revint à la réalité. Il devait faire quelque chose, et vite. Depuis le siège arrière, Leïla observait de loin la Guêpe, l’air soucieuse. Elle mordit un coup dans son sandwich. Ils étaient arrêtés en plein milieu de la route. A tout moment, un autre automobiliste pouvait arriver, et il n’était pas dit qu’il ai le temps de freiner. La Guêpe ne semblait pas disposée à bouger. Ses ailes étaient repliées. Elle devait vraisemblablement être concernée par ce bug général. Elle finira bien par partir. Il fallait qu’il se range sur le bas-côté pour attendre, ou bien qu’il la contourne en quittant la route. De caractère prudent, John aurait en temps normal opté pour la première option. Mais il n’aimait pas du tout l’idée de rester pour un temps indéfini face à cette machine de huit cent kilos. De plus, il était incapable de discerner les différents modèles, mais il était presque sûr que tous étaient équipés d’au moins une arme, même rudimentaire. Il prit un instant pour s’entretenir avec lui-même.
« Tu te fais trop de films, John. Ces trucs-là sont programmés pour protéger les civils. Pas les attaquer sans motifs.»
Oui, mais, se dit-il ensuite, elles n’étaient pas non plus programmées pour se poser au milieu des rues et y rester. Quelque chose n’allais pas. Il avait l’impression désagréable que les choses étaient en train de tourner au vinaigre, et de manière assez sévère. Alors oui, peut-être bien qu’il avait vu trop de films. Et peut-être que si il avait été seul, il aurait tenté le coup. Il serait resté sur le bas-côté, à attendre et espérer que la Guêpe s’en aille, sans avoir fait de mal à personne. Mais il n’était pas seul. Leïla lui demanda :
« On fait quoi, John ? »
Le docteur Diccelli ne répondis pas tout de suite. Il observa un instant le terrain : la route goudronnée était cernée de part et d’autre d’une vaste étendue d’herbe. Avec la chaleur, la terre était sèche et craquelée. Il lui faudrait rouler là-dedans sur environ trois mètres avant de retourner sur le bitume afin de contourner la Guêpe. Même sans quatre roues motrices, c’était faisable. Il ne restait plus qu’à espérer que la machine reste stoïque.
« Tu es attachée, Leïla ?
-Oui, pourquoi ?
-C’était pour être sûr. »
John écrasa la pédale d’embrayage. Ils ressentirent un cahot violent au moment où ils quittèrent la route, et un autre quelques secondes après quand ils y revinrent. Ils étaient passés sans encombre, cependant John n’arrivait pas à se sentir soulagé.
« Leïla ? Tu veux bien regarder et me dire ce que fait la Guêpe, s’il te plaît ? »
L’enfant s’exécuta aussitôt. Elle vit distinctement la Heaven Wasp déployer ses ailes, décoller, et s’élancer à leur poursuite.
20 Mai 2021, 13h 23
Jour 0, heure -1h 01min 04s
Chicago, état de l’Illinois
Marcus commençait à trouver le temps long. Déjà qu’il n’avait pas signé pour cette averse, alors autant dire qu’il n’était même pas question dans le contrat qu’elle se transforme durablement en une pluie régulière qui l’obligeait à rester enfermé dans ce hall depuis une heure maintenant. Encore heureux, il n’avait rien de prévu ce jour-là ; mais le simple fait de rester immobile l’agaçait au plus haut point. Il s’ennuyait.
Sa moto était sèche depuis longtemps, tout comme lui d’ailleurs. Il avait vite fait un tour d’horizon de la vaste pièce : rien de bien intéressant à ses yeux. C’était un hall d’immeuble tout à fait classique, malgré la décoration fastueuse qui en disait assez long sur le niveau de revenus mensuels de ses résidents : des boîtes au lettres, une cage d’escalier, un ascenseur, une plante plus vraiment verte. Un signe de luxe ostentatoire en revanche était une télévision de modèle plutôt récent, suspendue au plafond et qui diffusait un match de base-ball. Il y avait aussi un petit banc, pour les personnes âgées ou fatiguées. La grosse dame en avait amplement pris possession. Elle pianotait sur son téléphone depuis qu’ils étaient rentrés. Elle n’avait pas prononcé un mot, pourtant Marcus la détestait déjà. Il n’aimait pas la façon dont elle était entré en bousculant l’homme en costard qui leur avait gentiment ouvert la porte. Le jeune couple lui semblait en comparaison beaucoup plus sympathique. Pas au point d’engager la conversation, restons sérieux, mais quand même. Dans sa poussette, leur bébé dormait toujours. Heureusement, car s’il s’était mis à crier ou à pleurer, Marcus ne sait pas s’il aurait tenu le coup mentalement : il était déjà presque à bout. Une heure assis à ne rien faire dans un hall d’immeuble, il y a de quoi se pendre, surtout pour l’amateur de mouvement et de vitesse qu’il était.
Faute d’avoir mieux à faire, il s’approcha de la porte vitrée et regarda au dehors. Le couple de touristes étaient parti, bravant les éléments, mais le vieil homme et l’enfant étaient toujours là. Ils ne devaient pas être particulièrement pressés, et pouvaient donc s’accorder le luxe d’attendre à l’abri une accalmie. Il se souvenait que le vieil homme avait refusé d’ entrer parce qu’il pensait, comme tout le monde d’ailleurs, que l’averse ne durerais pas. Il n’avait pas spécialement l’air de regretter son choix : il ne frappais pas à la porte pour qu’on lui ouvre, il s’était assis avec son petit-fils à même le sol, et ils partageaient ensemble un pique-nique. Marcus entrouvrit le battant, et passa la tête à l’extérieur.
« Monsieur… Vous êtes sûr que vous ne voulez pas rentrer ?
-Hein ? Ah, non, merci, c’est très gentil à vous… On ne vas pas tarder à partir.
-Vous pensez que la pluie va s’arrêter bientôt ?
-J’espère. Je n’aimerais pas finir mes jours sous cet appentis ! » Si Marcus avait pu deviner l’ironie sinistre qui se dégageait de cette phrase, il en aurait sans doute frémis. Mais pour l’heure, au moment où le vieil homme eu fini de parler, une inquiétude toute autre se saisit de lui. Derrière lui, il entendis une voix masculine, sans doute celle du jeune père.
« Regardez…»
Tous se retournèrent. A la télé, le match avait laissé place à un flash d’information spéciales.
« Votre attention s’il vous plaît, flash d’info spécial. On nous signale que depuis plusieurs minutes, les Heaven Wasps semblent agir bizarrement. De partout dans le pays, elles se posent au sol ou bien restent à altitude très basse, et se regroupent en essaims compacts. A Washington notamment, plusieurs d’entre elles viennent de se poser dans le jardin de la Maison Blanche, et y restent statiques. Les autorités des états concernés disent ne pas avoir d’explication. On suspecte un dysfonctionnement du système informatique de Heaven Industries. Nous sommes dans l’attente d’une prise de parole publique de leur part. » Marcus sentit un frisson lui parcourir le dos. Ça ne sentait pas bon du tout.
La télévision montrait des images éloquentes : de partout dans le pays, des Heaven Wasps étaient en train de se poser au beau milieu de places, de rues, de parcs ; ils virent notamment le stade où se déroulait le match qui était diffusé un instant plus tôt. Des Guêpes étaient en train d’atterrir lourdement au milieu de la pelouse. Un mouvement de panique commençait à naître dans les tribunes. La voix du journaliste enchaîna :
« Le gouvernement vient de prendre la parole. Il incite à ne pas céder à la panique. Washington essaye en ce moment de contacter le siège de Heaven Industries, afin de comprendre l’origine du dysfonctionnement, et d’y remédier au plus vite. Les consignes de sécurité sont les suivantes : quoi qu’il arrive, si vous vous retrouvez face à une Heaven Wasp apparemment dysfonctionnelle, ne faites aucun mouvement brusque ; éloignez-vous en lentement. Il n’est pas sûr qu’elles soient dangereuses, mais il faut rester prudent. Je répète, ne paniquez pas.»
Soudain, un bruit sourd les fit tous se retourner. Derrière eux, sur le trottoir, juste devant le couvert de l’appentis, une Guêpe venait de se poser lourdement. Sa tête était tournée vers eux, elle les fixait en faisant cliqueter ses mandibules métalliques. Sur sa carapace rouge vif, Marcus pu voir son numéro d’immatriculation : HI–987–Ill. Une Faucheuse.
Le vieil homme se leva, et commença à reculer doucement, serrant son petit fils dans ses bras. Tout en maintenant la porte ouverte, Marcus leur chuchota de se dépêcher. Il ne parvenait pas à détacher son regard de la Guêpe. Ce n’était pas normal. Pourquoi envoyer une unité d’intervention lourde pour patrouiller en ville ? Ce n’était pas juste un bug. Il y avait autre chose, il le sentait. Quelque chose de pas bon du tout.
Comme pour accompagner ses pensées, la télévision derrière lui se mit subitement à grésiller. La grosse femme, le couple, le vieil homme, l’enfant, Marcus, tous se retournèrent à nouveau. L’image se stabilisa à nouveau. Mais ce n’était pas la même qu’avant.
L’écran ne laissait plus voir qu’une silhouette noire, pixelisée et impossible à identifier. Une voix grave, saturé, probablement modifiée, retenti dans le hall.
« Bien le bonjours, peuple des Etats-Unis d’Amérique. Je n’irais pas par quatre chemins. Comme vous avez pu le voir, vos anges gardiens commencent à se lasser d’être à votre botte. Je suis au regret de vous annoncer qu’il ne vous reste qu’une heure avant l’extinction de votre race. Alors, permettez-moi de prendre un peu de ce temps pour vous annoncer une grande nouvelle. Laissez-moi vous parler de l’ère nouvelle dans la quelle nous entrons aujourd’hui.»
Marcus grogna entre ses dents. Il avait raison. Tout ça sentait vraiment mauvais.
A suivre