Dérapage contrôlé

    Vite ! vite ! 17 heures c’est le moment de la débauche. La journée de travail finie, Monique prend son sac à main et malgré la fatigue se dirige vers la sortie d’un pas guilleret. Une fois dehors à l’air libre et respirant à pleins poumons cette liberté présente, elle jette un coup d’œil furtif sur le trottoir de droite et se dit : “Ah tiens ils sont toujours là les retraités, quelles pipelettes ceux- là ! “.
En effet ils sont au nombre de quatre et souvent les après midi ils amènent leur siège pliant, s’installent sous le platane à l’ombre du soleil et commentent ce qui se passe autour d’eux . Nous sommes dans le Midi tout est passé au crible, rien ne leur échappe, de véritables œils de lynx … .Le “et patati et patata..”, fameuse expression méridionale, est très actif. Oh …ils la connaissent, ils la voient tous les jours passer devant eux, elle fait partie de leur quotidien et donc il n’y a plus grand chose à dire sur elle, juste un regard rapide dessus pour s’assurer qu’il n’y ait pas de nouveautés. Monique sait tout cela, même si elle s’en est accommodée  elle en éprouve toujours de la gêne, elle n’aime pas se faire remarquer.  

      En marchant, tout d’un coup elle trébuche mais vraiment sur rien ! La surface est plane  même pas une petite bosse ou objet parterre. Horreur, stupéfaction elle sent instinctivement arriver la bonne gamelle et son sac à main la gène pour éviter la chute qui s’annonce un tantinet rapide. L’espace d’une demi-seconde elle se dit: “allez mets ta main vers le bas pour atténuer le choc, tant pis si elle doit prendre un coup mais au moins le pantalon sera sain et sauf !”. Il est tout neuf, elle s’est fait plaisir, il est de marque et l’a payé une fortune. Subitement comme si elle était dans un autre monde, elle n’entend plus rien et voit le bitume se rapprocher dangereusement d’elle. C’est sans compter sur l’instinct de survie: elle donne un coup de rein majestueux sur l’avant, contrebalance les épaules, redresse la tête et ramène les jambes à la verticale. Monique se repositionne dans l’espace tout en souplesse, elle a l’air d’une véritable gymnaste, elle se surprend elle-même. Instant décisif : elle réussit, oui elle se retrouve debout bien droite sur ses jambes. Très fière d’elle, elle pousse un long soupir de soulagement et ramasse son sac tombé parterre.

    Soudain une sorte de malaise s’empare d’elle, elle se sent observé, oh non pas eux, pas les papys ! Si ! si ! Elle se retourne le plus discrètement possible dans leur direction et voit quatre paires d’yeux pointés sur elle … Le sourire en coin et pour éviter de se bidonner ouvertement ils tournent nonchalamment la tête de l’autre côté. Elle sait ce qui va se produire, elle reprend sa marche il n’y a pas un bruit. Deux mètres plus loin  elle entend le “et patati et patata…” accompagné d’éclats de rire, oui elle est concernée ! Cette fois-ci s’en est de trop, n’y tenant plus elle s’arrête, virevolte sur elle-même et les fixent du regard, ils s’arrêtent de rire…Pourtant, Monique si conventionnelle, si bien sur elle, tout en délicatesse lève sa main et tends son majeur vers le ciel, mais c’est un doigt d’honneur qu’elle leur fait !!! Pour le coup le sourire s’efface de leurs lèvres, ils la regardent d’un air réprobateur. Sacré nom d’une pipe !

    Oui oui, elle le sait, ce n’est pas bien ce qu’elle vient de faire mais aucune importance, elle se dit : « Ah que ça fait du bien de se lâcher, un moment de gêne est vite passé alors autant se faire plaisir ! ».  

  La conclusion de cette anecdote pourrait donner lieu à un dicton qui dit :”la moquerie est la marque d’un petit esprit et d’une méchante inclination”.

Et tant pis pour les petits vieux !!

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