Chapitre II – partie 2

9 mins

    Azilis déboula dans la pièce de vie, essoufflée. Elle se rua sur la première porte à sa droite et l’ouvrit à la hâte pour s’engouffrer dans l’embrasure. La pièce dans laquelle elle venait d’entrer était une chambre dans son plus simple mobilier. Au milieu trônait un lit, tout juste assez large pour accueillir une personne. Le fond de la pièce était occupé par un enchevêtrement d’habits et d’objets en tout genre, tandis qu’à droite de l’entrée se tenait un coffre de bois orné de quelques arabesques décoratives et fermé par un verrou de métal vieilli.

    La jeune fille s’approcha tout d’abord du coffre. Elle l’ouvrit et en sorti un sac de toile et y enfourna une tenue de rechange ainsi qu’une gourde vide. Elle chercha ensuite dans le tas d’objet et prit un couteau en ivoire qu’elle plaça à sa ceinture, aux côtés de son poignard. Elle attrapa également une cape en laine qu’elle ajusta sur ses épaules. Les nuits étaient fraîches à cette saison dans la forêt. Enfin La jeune fille déplaça son lit de quelques centimètres et plongea sa main gauche dans un trou creusé au sol. Elle en ressortit deux objets, enveloppés dans un tissu gris.

    Elle déballa premièrement une bague en or blanc et la mit à son annuaire droit. Le bijou était épais, lourd, et frappé d’un éclair grossier. Le second objet était une corne de chasse en ivoire, gravée et ornée de créatures chimériques et autres animaux rares. Azilis n’avait jamais pris le temps d’observer cette corne en détails mais elle savait que l’objet lui était précieux. Elle replaça le tissu autour de la trompe et la rangea dans son sac, avant de se diriger vers la porte de chambre. Elle attrapa au passage une besace de cuir qu’elle fixa rapidement à sa ceinture. La jeune fille s’arrêta quelques secondes pour vérifier son équipement puis poussa le battant et rejoignit la pièce principale.

    Azilis se dirigea ensuite vers une étagère suspendue au mur, remplie de plantes et de fioles, et se mit à fouiller bruyamment pour trouver des remèdes utiles et simple qu’elle pourrait emporter pour son expédition. Attirée par le raffut du tintement des fioles en verre, Kelia rejoignit la pièce de vie et dévisagea la jeune fille, interloquée.

« Azilis, puis-je savoir ce que tu fabriques, accoutrée de la sorte, avec mes plantes médicinales ?

L’intéressée extirpa tant bien que mal deux petites bottes d’herbes de l’étagère et les fourra dans sa bourse, avant de récupérer quelques pièces de bronze carrées qui traînaient sur le bord du meuble. Elle se tourna et fit face à sa mère, un grand sourire sur les lèvres.

« Elle est revenue ! je l’ai sentie il y a quelques instants dans l’écurie ! Il faut que j’aille la voir ! Qui sait peut-être que cette fois …

– Azilis. Calme-toi je te prie. Je ne comprends rien là … Qui est revenue ? »

La jeune fille leva les yeux au ciel, d’un air exaspéré.

« Mais enfin Kelia, il n’y a qu’une seule furie noire qui ose s’aventurer aussi loin des mont de l’Orior ! »

Une lueur de panique anima le regard de la jeune femme.

« Ne me dit pas que tu comptes retenter ton expérience !? Azilis, ces créatures sont dangereuses. Si elle te mord, sont poison te tueras en seulement quelques jours et je ne connais aucun remède contre cela ! Par pitié oublie-la et reste ici, je refuse que tu rejoignes Thanatos aujourd’hui. »

Azilis soupira et baissa le regard. Toute son excitation instantanément disparue et elle semblait plus hésitante.

« Kelia, tu sais ce que je ressens dès qu’elle est dans les parages. S’il te plaît, n’essaie pas de me retenir, tu ne ferais que retarder l’inévitable. Cette furie et moi … Je pense que … Nous sommes liées. Enfin, c’est l’impression que j’ai.

– Mais tu n’as aucune preuve de ce tu avances Azis. Le danger est trop important ! Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

– Je te promet de ne rien tenter de stupide et de rester en vie. Fais-moi confiance.

– Le fait de vouloir partir est déjà une stupidité … »

    Kelia secoua la tête, désespérée. La jeune fille prit un troisième paquet de remèdes et contourna sa mère pour rejoindre la cuisine. Elle prit sa gourde et la plongea dans l’eau qui jaillissait d’un petite fontaine pour la remplir, puis elle saisit quelques boules de pain rosé et les déposa dans son sac, ainsi que deux pommes vertes et un morceau de viande séchée. Azilis ferma son bagage et quitta la pièce d’un pas décidé. Il fallait qu’elle rejoigne la furie. Ce sentiment était si puissant qu’elle ne pouvait l’ignorer plus longtemps au risque de devenir folle.

    Alors qu’elle remontait le couloir en direction de la sortie, le jeune fille remarqua qu’Astrée et sa mère l’attendait devant la porte. Elle s’arrêta à quelques pas d’elles et attendit que quelqu’un prenne la parole. Sa sœur semblait perdue et les sillons humides qui marquaient son visage montraient qu’elle avait pleuré récemment. Kelia elle, s’était résignée devant l’entêtement d’Azilis.

« Soit prudente. Et reviens-moi entière, je t’en prie…

– J’y veillerai. Je reviens au plus vite ! »

Kelia soupira et marmonna des paroles beaucoup trop longues pour être ignorées.

« Qu’as-tu dit ? interpella la jeune fille.

– Il y a tant de choses que je souhaiterai te dire maintenant, je m’en veux de les avoir gardées secrètes… »

Azilis s’approcha de sa mère et la prit dans ses bras.

« Tu m’a élevée en me répétant sans cesse que…

– Moins tu en sais, plus longtemps tu seras en sécurité.

– Exactement. Pourquoi vouloir déroger à cette règle aujourd’hui ? S’il y a des choses que je dois savoir, je les apprendrai tôt ou tard. Je pense pouvoir me débrouiller toute seule pour rejoindre la furie, l’apprivoiser et revenir ici. Sois sans craintes. »

Azilis relâcha son emprise sur Kelia et embrassa rapidement le front de sa cadette avant de les contourner pour franchir la porte. Astrée réagit et s’agrippa de toutes ses force à la taille de son aînée, qui fut forcée de s’arrêter.

« Mais enfin Trée qu’est-ce que tu fais ?! »

La cadette étouffa un sanglot et s’éclaircit la voix.

« Promets moi Azis ! Promets-moi que tu vas revenir ! »

La jeune fille fixa sa sœur, interdite.

« Mais, enfin, bien sûr que je vais revenir ! Je m’en vais pour quelques jours seulement. Je te promets de revenir te voir, dès que j’ai fini. Maintenant lâche moi Trée, il faut que j’y aille ou je vais la manquer. »

    A contre-cœur la cadette lâcha prise et rejoignit Kelia qui la prit dans ses bras. Azilis réajusta son matériel sur son dos et franchit le seuil de la maison puis s’éloigna sur la place, en direction de l’arche protectrice du village. Elle se stoppa brusquement et, se retournant, cria à l’intention de sa mère :

« Kelia, quitte le village au plus tôt ! J’ai bien peur que les faés aient trouvé un moyen de traverser les barrières et ils n’épargneront rien ! »

Puis la jeune fille fit volte-face et courut, sans un regard en arrière. Au loin, une prière résonna dans l’air. ‘‘Prêtresse je vous en supplie, protégez là des dangers et d’elle-même. Elle n’a aucune idée de ce qu’elle peut représenter pour les grands de ce monde.’’ Azilis ne remarqua pas son pendentif s’illuminer au son de cette prière, et franchit l’arche au pas de course, puis disparue.

****

    Cela faisait plus d’une heure qu’elle marchait, et elle n’avait trouvé aucun signe de la créature qu’elle cherchait. Azilis pesta intérieurement et s’arrêta au pied d’un arbre pour boire et reprendre des forces. Le soleil irradiait et la chaleur ambiante devenait plus insupportable à mesure que l’après-midi avançait et malgré l’ombre des arbres, la jeune fille commençait à souffrir de la chaleur.

    Elle s’aspergea le visage d’eau et vida sa gourde d’une traite. Azilis ressentait toujours la présence de sa furie, mais elle n’avait trouvé aucun indice qui pouvait l’orienter dans ce dédale de troncs et de racines, pour atteindre son objectif. Frustrée, la jeune fille shoota dans une racine et regretta aussitôt son geste quand une douleur aiguë lui transperça la cheville. Elle s’éloigna en boitillant et, récupérant sa gourde, entreprit de trouver un cour d’eau pour la remplir. Elle connaissait bien la partie sud de la forêt, mais elle ne s’était jamais autant éloignée vers le nord et son sens de l’orientation en était perturbé.

    Après quelques minutes de marche plus lente pour ménager sa cheville, Azilis entendit enfin un clapotis et se précipita vers le ruisseau qui passait dix longueurs plus loin. Au moment où elle s’accroupit sur la rive, un cri persan secoua la forêt et des centaines d’oiseaux s’envolèrent, affolés. La jeune fille s’immobilisa et attendit. Si c’était la furie, Elle allait crier trois fois, et ces trois appels lui suffiraient pour la localiser et retrouver ses traces.

    Le second cri fut plus long et se mua en une plainte stridente. Azilis remplit à la hâte sa gourde d’eau et se concentra. Le son provenait de l’est, vers la bordure de la forêt qui se trouvait à moins d’une lieue. La jeune fille se leva et s’élança quand le dernier hurlement la cloua au sol. Elle se recroquevilla, se tenant la tête comme si cette dernière allait exploser. Le son se propageait dans son crâne tel une onde de choc, la faisant gémir de douleur. Après quelques respirations saccadées, elle rouvrit lentement les yeux et se redressa maladroitement. Elle balaya du regard les alentours et retint un hoquet de surprise.

    Là, devant elle, se dessinait un chemin grésillant de particules violettes, qui serpentait dans la végétation dense du sous-bois. Des picotement de chaleur parcoururent les doigts de la jeune fille, tandis que des petits cristaux violacés commencèrent à se former dans ses paumes de mains, lui procurant une énergie nouvelle. Elle retrouva rapidement ses esprits et s’engagea sur un sentier, suivant le chemin vaporeux.

    Azilis traversa une bonne partie de la forêt en courant, ne ralentissant que rarement pour reprendre son souffle et boire. Sa cheville avait cessé de la faire souffrir, rendant ses foulées plus sûres et puissantes. Lorsque la jeune fille arriva à la bordure forestière, elle ralenti l’allure puis s’approcha d’un amas rocheux derrière lequel elle se reposa quelques instants. De l’endroit où elle se trouvait, Azilis pouvait déjà sentir les vibrations magiques qui émanaient de la furie, et sa respiration rauque résonnait comme un avertissement pour quiconque souhaiterai s’approcher.

    La jeune fille voulut se lever pour reprendre ses recherches quand les fourrés de la lisière du bois s’agitèrent violemment. Un instant plus tard, une créature de trois mètres de haut s’extirpa des broussailles en grondant. Azilis se tapit contre les pierres qui la dissimulaient, le cœur battant à tout rompre. Devant elle se tenait un dragon, aux écailles si noires qu’elles semblaient absorber les rayons du soleil. Deux longues cornes striées, qui pointaient vers l’arrière, ornaient fièrement sa tête tandis que des dents pointues sortaient ici et là de ses puissantes mâchoires. La bête abordait des ailes sombres repliées sur son dos, et une longue queue de reptile qui balançait de droite à gauche, dénudé d’aileron.

    La furie sortie de la forêt d’un pas lent et secoua ses ailes avant de les étendre pour prendre son envol. Azilis eut un sursaut de panique à l’idée de perdre son objectif de vue et sortie en trombe de sa cachette, se mettant à découvert. La créature se retourna soudainement pour se confronter à la nouvelle venue. De face, le dragon était encore plus impressionnant, avec ses ailes toutes déployées et sa gueule entrouverte. La jeune fille était suffisamment proche pour distinguer des centaines d’égratignures qui parcouraient la tête de la bête. Azilis respira profondément pour tenter de calmer les battements fout de son cœur, mais la proximité de la créature n’arrangeait rien.

    La furie se redressa en un rien de temps et domina l’adolescente de toute sa hauteur. Une fumée violette s’échappa des narines de l’animal tandis que des gouttes fumantes de poison commencèrent à perler dans sa gueule. La créature poussa un cri déchirant qui secoua les arbres environnants. Azilis dû se faire violence pour ne pas reculer et attendit que la bête réagisse. Autour d’elle, un aura blanchâtre commença à se former, tourbillonnant, comme attiré par la furie. On est liées, pensa la jeune fille.

    Le dragon claqua des dents d’un air menaçant puis, après quelques secondes d’hésitation, fondit toutes dents dehors sur la jeune fille. Cette dernière qui avait prévu l’attaque, roula sur le côté. La furie ne lâcha pas l’affaire et harcela l’adolescente de ses mâchoires, envoyant des gouttelettes empoisonnées autour d’elle. Azilis esquivait gauchement les attaques de la bête, gagné par la fatigue. Sa course effrénée dans les bois ne l’avait pas amenée au meilleur de sa forme, encore moins pour combattre un dragon hostile.

    La furie simula une morsure avant d’abattre une de ses pattes sur le dos de la jeune fille traçant quatre sillons ensanglantés. Azilis retint un hurlement de douleur et dans un ultime effort, prit son élan pour s’accrocher au dos de la créature qui rugit de colère. Une gerbe de poison atterrit à quelques centimètres des mains de l’adolescente qui lâcha prise et s’effondra lourdement dans l’herbe.

    Alors qu’elle tentait de se relever, sa jambe gauche se déroba sous elle, la ramenant au sol. Azilis grognait de douleur tout en essayant de ramper vers les sous-bois pour échapper au poison mortel de l’animal. Mais la furie n’en avait pas terminé. La créature se jeta en avant et saisit l’adolescente par l’épaule gauche, avant de serrer les mâchoires. Un craquement sinistre retentit et Azilis se tordit de douleur et poussa un hurlement. La bête secoua violemment la tête avant de lâcher prise, envoyant la jeune fille dans un buisson d’épineux. La créature siffla et agita ses ailes puissantes avant de s’envoler et disparaître comme par magie.

    L’adolescente était à la limite de l’inconscience, papillonnant entre le jour et la nuit. Son épaule était fumante de vapeur violettes et le sang qui s’écoulait lentement de la plaie avait pris une teinte pourpre.  Le sol lui semblait glacé par rapport à la chaleur mauvaise qui l’animait. La souffrance était telle, que le temps semblant s’étirer à l’infini, changeant les minutes en heures. Chaque seconde, le poison se répandait plus loin dans son corps. Chaque seconde, elle payait fort le prix de sa sottise.


Voici avec un jour de retard la suite de l’histoire !

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