Dernière danse

3 mins

Une dernière danse

Cela commence par un le silence. Poignant, imposant et seul maître avant que les première notes ne résonnent. On se tient alors seule dans le noir à la merci des ombres qui se dessinent devant nous. Les secondes passent, notre cœur s’affole dans notre poitrine mais on se doit de ne pas bouger, rester immobile, rester parfaite jusqu’au souffle. 

Arrive ensuite la lumière. Blanchâtre, douce, éblouissante, effrayante. Il faut que nous la laissions glisser sur notre peau comme de l’eau sur les feuilles, nous devons l’incarner, devenir froide et insaisissable tout comme elle. C’est la première image que nous renvoyons, la première impression, le début de notre règne.

Quelques notes de musique suffisent à faire vibrer notre corps car nous connaissons leur signification. Elles nous parlent, nous les écoutons, elles nous guident, nous les suivons. Ce sont nos phares qui illuminent notre chemin. Sans elles, nous ne sommes rien, rien si ce n’est qu’un courant d’air glacé. Elles apportent la chaleur de nos mouvements, elles les animent, leur donnent une histoire à raconter. La musique nous rend vivantes, c’est avec elle que nous nous réveillons. D’abord un port de tête, puis un pas hésitant et suit ensuite le moment décisif. 

Nous devenons les reines de la scène, objet de désir de nos spectateurs, celles qui ne durent qu’un temps. 

Nous incarnons notre rôle, entrelacé, fouetté, pirouette, ces mouvements nous les avons appris il y a des années avec de grandes difficultés. Aujourd’hui, tout doit paraître fluide, aérien, simple. Nous volons, transportées par notre joie ainsi que notre peur. Nos ombres se découpent sur le décors, frêles et pourtant si fortes. Les épreuves que nous avons dû traverser sont de simples mauvais souvenirs. Nous nous sommes battues, nous avons traversé l’enfer de la jalousie de nos comparses, survécues aux entraînements intenses et aux remarques acerbes. Nous avons gagné, cette place du soir, nous la méritons. Alors oui, cette première nuit est aussi le chant de délivrance, la célébration de la victoire amère pour laquelle nous avons tout sacrifié. Nous cessons d’être celle que nous étions, une femme qui luttait, et devenons la victorieuse. La couronne blanche maintenue par de lourdes barrettes souligne notre droit à ce trône. Le sol dur de la scène se fait à nos pieds, chacun de nos sauts gracieux est silencieux tandis que dès que nous disparaissons derrière les rideaux écarlates, notre prestation est saluée par un tonnerre d’applaudissements. La douleur qui saisit nos pieds contractés dans ces boîtes n’est qu’une illusion. Peut-être saignerons-nous après, mais cela n’a guère d’importance. Rien ne compte plus que le moment présent. 

Le final approche. Déjà. Tout s’est passé si vite que nous avons l’impression d’avoir vécu un rêve. Nous nous élançons sur la scène, la musique saisit notre cœur, nos bras s’allongent pour devenir ailés, nous ne sommes plus humaines. Nous sommes de gracieux oiseaux transpercés par une énergie unique. Les yeux sont rivés sur nous, les souffles sont coupés. Nous sentons la fin arriver, nous luttons pour garder ce rêve utopique, nous nous accrochons à lui pour ne pas le laisser s’en aller. Mais les dernières notes de musique se fondent dans l’obscurité et notre corps s’immobilise peu à peu, à la recherche d’une extension continuelle. Notre regard fixe un point que nul ne peut voir et la lumière chaude revient. Le rêve a pris fin. La silence est brisé par la foule en délire qui se lève pour applaudir. Nous saluons, recevant fleurs et présents. 

Puis, le cœur serré, les rideaux se ferment, le rêve se termine. Notre corps se met alors à brûler, prenant conscience des efforts que nous venons de fournir et le plaisir d’il y a peu se fond dans les tréfonds de la douleur. Les larmes viennent faire couler le maquillage soigneusement appliqué dans la précipitation, faisant tomber le masque de grâce. Nous regardons alors la scène avec haine, et jurons de ne jamais y retourner. Mais au fond de nous, nous savons que cette promesse n’est que brouillard. Car le désir ardent de glisser sur le plancher sombre anime chacune de nos pensées et nous mènera inévitablement à ce tapis noir. 

Nous ne durons qu’un instant, telles des ombres, actrices muettes. Nous sommes les étoiles de la nuit, celles qui souffrent en beauté. Reines d’un soir, sourires éphémères mais douleur flamboyante. Car la danse est l’art qui fait brûler corps et âmes à l’aide du plus ardent des brasiers: celui de la passion. 

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1 Commentaire
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BlackBird
1 année il y a

Ah ouais, quand même ! Que dire ? Les mots sont bien trouvés, c’est une définition si poétique de la danse, des danseurs et danseuses… Bravo ! 🙂

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