Rendez moi mon fils
Rendez moi mon fils
Quand il était enfant
Rendez moi mon fils
Quand il était innocent
Rendez moi mon fils
Quand il était attachant
Rendez moi mon fils
Qui est devenu tellement chiant
Rendez moi mon fils
Tout simplement
Je me souviens de tes premiers pas
De notre première séance de cinéma
Aujourd’hui , tu ne sais prononcer que trois mots :
« Chai pas !»
Depuis combien de temps on ne se parle pas ?
Je me souviens de tes sourires émerveillés
De nos premières visites au musée
A l’époque, un rien t’intéressait
Je me souviens quand je te portais
Sur mes genoux, sur mes épaules, dans mon coeur
De mes mains passées dans tes cheveux
Quand maman nous grondait quand on revenait en sueur
Quand tu me disais sans sourciller que tu étais amoureux
On ne se rend pas bien compte quand on est jeune parent
Que ce sont les meilleurs moments
Quand l’enfant n’est pas encore trop grand
Qu’il n’est pas encore indifférent
Qu’il sautille de frénésie lorsqu’on passe la porte
Cette complicité évolue puis se dilue
Puis s’évapore comme le sel de la mer Morte
Est-ce la fatalité ?
Ai-je ma part de responsabilité ?
Suis-je devenu un vieux con ?
Ou es-tu devenu un jeune con ?
En tous les cas, je préfère me souvenir
Car je sais qu’il n’y a plus de beaux moments à venir
Rendez moi mon fils
Quand il était enfant
Rendez moi mon fils
Quand il était innocent
Rendez moi mon fils
Quand il était attachant
Rendez moi mon fils
Qui est devenu tellement chiant
Rendez moi mon fils
Tout simplement
Je me souviens des histoires du soir
Des verbes être et avoir
Des additions, des soustractions
Des foules de questions
Comme : « Après papa , on est papy et après papy ?? »
De ta vision simple de la vie
Des vacances à l’Ile Maurice ou en Tunisie
De mon refus de t’envoyer en colonie
Je me souviens quand tu me grondais
Quand en voiture, certains gros mots étaient énoncés
De ta première amoureuse prénommée Zélia
De toutes tes premières fois :
Parler, marcher, écolier, nager
De tes premières amitiés
Qui étaient censées durer
Je me souviens de notre complicité
J’étais l’oreille à qui tu aimais te confier
A en rendre jalouse ta maman
Avec qui tu étais plus distant
Et j’avoue que j’en étais content
Car je voulais que ce ne soit que toi et moi
Je me souviens quand tu te cachais sous les draps
Des après-midi au square, des tours de vélo
Des heures passées en voiture à écouter la radio
Des pansements, des petits bobos
Des anniversaires, des voitures Flash Mc Queen
Des plongées en piscine, des figurines
Des Happy Meal, des saltos sur le trampoline
Nous partions à la (re)découverte du monde
Sur la même longueur d’onde
Je me souviens de cette relation fusionnelle
Que j’ai cru intemporelle
Rendez moi mon fils
Quand il était enfant
Rendez moi mon fils
Quand il était innocent
Rendez moi mon fils
Quand il était attachant
Rendez moi mon fils
Qui est devenu tellement chiant
Rendez moi mon fils
Tout simplement
Actuellement, tout est (in)différent
C’est la période plus difficile pour chaque parent
Celle où on doit savoir s’adapter
Celle où on doit savoir s’effacer
Celle où on doit assimiler
Que le coeur de notre enfant
N’est plus seulement
Cantonné à ses seuls parents
Les copains, les copines semblent avoir plus d’importance
Le smartphone est devenu ton nouveau lieu de confidence
Insta et Snap sont devenus les reflets de ta vie
La Playstation est ton nouvel ami
Tu n’as plus de question, tu ne demandes plus mon avis
Tu me dis toujours que je dois te faire confiance
Mais la réalité est que je connais plus grand-chose de toi
Nous ne partons plus ensemble en vacances
Nos repas familiaux se limitent à des plateaux-repas
Comment a – t – on pu en arriver là ?
Tu sors plus que de raison
Avec des amis dont nous ne connaissons que le prénom
Nos discussions se résument à : « Ca va ? T’es bien rentré ? »
« Papa, j’aurais besoin de 20 euros pour la soirée ! »
Je ne suis plus ton père mais ton secrétaire, ton taxi, ton banquier
Tu refuses toute activité qui pourrait nous rapprocher
Les portes claquent, on se dispute sans arrêt
Ta chambre est devenue une forteresse inaccessible
Une frontière invisible
Les mots doux s’échappent : « T’es vieux, tu comprends rien ! »
« Tu me déposes mais tu ne rentres pas, hein. »
« Tu me fais honte, papa ! »
Qu’est-ce que j’en t’ai voulu pour ces mots-là !
Me rapprochant inévitablement du trépas
Une véritable fracture générationnelle
Une véritable fracture relationnelle
Voilà où en était notre relation il y a deux ans
Avant cet accident
Cela fait déjà deux ans que tu es mort
Disparu, rayé, évaporé
Seuls les photos et les souvenirs sont là
Pour me permettre de penser à toi
Je m’en veux chaque jour qu’on se soit quittés comme ça
Comme des étrangers
Les funérailles de son enfant est la pire chose à imaginer
Ce cercueil noir à demi-ouvert ; à l’intérieur ton corps
Paisible, serein, presque souriant
Je donnerais tout pour qu’on se rabiboche, qu’on se réconcilie
Je donnerais tout pour revivre nos disputes
Cela fait deux ans que ta mère fait les cent pas dans l’appartement
Ta chambre est toujours une forteresse inaccessible
Une frontière invisible
Qu’on n’ose plus franchir
Ne pas sombrer au quotidien est une lutte
Tu sais quel est le pire ?
Je commence à oublier ta voix, tes rires
Sans les photos, je commence à oublier ton visage
Certains osent me dire de tourner la page
Je ne peux rien tourner
Car tu es à jamais dans mon coeur
Je t’aime, mon fils
Pardonne-moi de tout mon coeur
Je veux me souvenir de tout : les bons et les mauvais moments
Car c’est avec toi que j’ai passé ces moments
Je t’écris pour contrer l’oubli
Car cela me permet de me rendre un peu mon fils tout simplement
Rendez moi mon fils
Quand il était enfant
Rendez moi mon fils
Quand il était innocent
Rendez moi mon fils
Quand il était attachant
Rendez moi mon fils
Que j’aime tant
Rendez moi mon fils
Tout simplement