I : Dernier Cantique
Bon, alors, on va se parler franchement, c’est la première fois que je me lance à peu près sérieusement dans l’écriture. L’objectif cette année, le Renaudot les gars, le Goncourt même !, je dois garantir derrière une certaine exigence littéraire, c’est le moment de muscler son jeu comme dirait l’autre.
J’avais pas spécialement aimé le prélude, Noël puait le souffre, la froideur solennelle, on avait perdu un mec bien, nous l’appellerons Martial, c’est joli Martial non ?
Martial, il était pas toujours politiquement correct, mais correct en société, il enseignait la musique, fumait raisonnablement, courait à l’occasion pour brûler la dinde-patates du dimanche, nous parlait de l’armée avec un peu de nostalgie entre deux exercices d’harmonie. Un héros du quotidien, qui ne recevra jamais de médaille, même à titre posthume, ôOô infortune.
Forcément, nous nous sommes rendus à la cérémonie, on avait un peu honte, la nuit d’avant on avait trouvé de l’anisette dans le placard de mon pote, la mort ça se fête avant et après, on avait donc respecté le consensus, c’était pas non plus la cuitasse intégrale, rassurez-vous, un peu de dignité, quand même. J’avais oublié le vent insolent des Côtes-d’Armor, on était allé chercher des cochonneries industrielles au magasin d’un côté, il était 9 heures, l’heure d’aller au lycée. On avait la fâcheuse tendance d’arriver en retard, Martial, il râlait, forcément, mais ça le mettait pas en rogne non plus, un mec cool jusqu’au bout. Ce matin là, il n’allait pas râler Martial, et nous, nous n’irions pas au lycée, on allait à l’église, en retard comme toujours. J’avais jamais assisté à une cérémonie mortuaire, par lâcheté certainement, c’était impressionnant, l’église était gorgée de monde, famille, élèves, amis. On a chanté Gabriel Fauré en chialant c’était beau, puis un élève a entonné à la cornemuse “Amazing grace”, c’était quelque chose.
On nous a invité ensuite à boire un coup dans une petite brasserie aux alentours, bière locale, à prix raisonnable.
Puis, on a chanté, encore.
C’était bien de revenir en Bretagne, l’occasion plombante s’adoucissait les heures passantes, des rires, des larmes, de l’euphorie et du Ricard, de la vie en somme. On allait se revoir bientôt de toute façon avec mes ex-collègues, ça se ferait avant la mort d’un autre Martial évidemment.
On rentre donc, dans le premier co-voiturage, taiseux, se privant sans se forcer d’émettre la moindre bonne volonté, la moindre conversation stérile.
Parfois on apprend des choses dans ces bagnoles, pouvez vous, d’ailleurs me dire, le prix d’un sous-marin d’aujourd’hui ? non, forcément, ignares de la pire espèce. Un sous-marin c’est un milliard, un milliard d’euro ! c’est absolument colossal, vous imaginez, vous, les soirées du nouvel an qu’on se ferait sous l’eau ? une action pacifique, un genre de sous-marin jaune, en moins hippie simplement, faut bien vivre avec son temps.
ça vous apprendra, à dormir, la tête enivrée de l’air chaud d’une climatisation abrutissante, le cerveau à l’abri de toute information enrichissante, vous êtes à vomir, vous et votre confort intellectuel mortel.
Un peu d’ambition merde.
…
J’adore !
Merci Lucile ! on va continuer dans ce cas 🙂