Livre : Asservissement
Chapitre 2, partie 1 : Une drôle d’attention…
La tenue qu’avait apportée l’autre femme ressemblait vaguement à une combinaison. Simple, noire et serrée à la taille, elle était un peu longue au niveau des jambes. On avait également mis à ma disposition des sous-vêtements de la même couleur et simples.
— Qu’est-ce que tu attends ? Estimes-toi heureuse d’avoir de quoi te vêtir, j’en connais qui sont montées là-haut sans rien sur elles !
Sa voix avait claqué dans l’air, elle ne devait pas être heureuse de ma présence. Ou de ma “chance”. Je m’exécutai avec difficulté. J’essayai tant bien que mal de ne pas tirer trop sur mon bras fracturé quand je retirai mes sous-vêtements. J’osai même, d’une voix presque inaudible, demander de l’aide pour le soutien-gorge. Ses doigts froids vinrent placer avec agacement le tissu, je frissonnais une fois de plus. J’étais certaine que mes lèvres devaient être bleuies. Et bien que la tête me tourne, je voulais rester debout pour ne pas m’étaler au sol quand je passais la deuxième jambe et perdre le peu de fierté qu’il me restait.
Mes cheveux bruns, pleins de nœuds et poisseux, ne cessaient de venir m’obscurcir la vue. Agacée je les rejetais brusquement en arrière, tiraillant les muscles de ma nuque. Après plusieurs essais, je réussis à remonter la fermeture éclair sur mon flan et fus fin prête.
— Suis-moi. Sois sage.
La rousse sortit de la cellule, laissant derrière elle les linges sales et l’eau devenue rouge. Je marchais difficilement, la peur me broyait l’estomac. Qu’est-ce qui m’attendait là-haut ? On ne pouvait pas me tuer, ça serait idiot, on ne soignait pas quelqu’un qu’on allait tuer juste après, j’allais vivre, encore un peu.
Je passai devant d’autres cages, celles plus proches de la mienne étaient vides mais près de la sortie, on apercevait des formes humaines. Ou carrément des corps disloqués qui tendaient désespérément les bras vers les barreaux dans un dernier souffle de vie. Des frissons d’horreur remontèrent ma colonne vertébrale. Les veines noires visibles sur les cadavres ne laissaient pas le doute. Mais je n’avais pas le souvenir d’avoir fait tout cela. Etais-je… Etais-je enfermée depuis longtemps ? Avais-je oublié ? Ou il y en avait d’autres comme moi ? Jamais je ne m’étais posé la question mais il y avait bien les articles… D’autres gens qui faisaient souffrir. Mais alors pourquoi personne n’en parlait ? Que se passait-il ici ? Pourquoi les forçait-on à commettre des meurtres ?
— Avance ! On a assez de retard comme cela ! cria la femme.
Elle passa derrière moi et me poussa d’une main dans le dos. Je m’écroulai au sol comme une poupée de chiffon et retins de justesse un gémissement de douleur. Mes dents vinrent mordre cruellement ma lèvre inférieure alors que la résonnance du choc se propageait dans mes genoux. Je me relevai aussi rapidement que possible et marchai plus vite, bien que je trébuche à de nombreuses reprises. Je tentai de paraître plus digne en redressant la tête, les poings se serrèrent d’eux-mêmes et je contrôlai un peu plus les tremblements de mon corps. Qu’importe les personnes qui m’attendaient en haut de cet escalier de pierre, je ne leur laisserais pas le plaisir de me voir faiblarde.
— Monte.
Quand j’arrivai au sommet, la porte s’ouvrit d’elle-même. La rousse me guida vers la gauche et nous arrivâmes dans une pièce lumineuse. Il y avait une dizaine d’hommes et de femmes, certains assis sur les sièges, d’autres debout. Il y avait le meurtrier de mes parents dans un coin, recroquevillé et secoué de spasmes. Un homme le surveillait du coin de l’œil, il lui donna un coup de pied dans les côtes avec un dégoût visible sur le visage. La plupart des personnes présentes me fixaient, me jaugeaient. Je ne voulais pas baisser les yeux et pourtant à un moment je flanchais, mes pieds nus et écorchés étaient bien plus faciles à regarder que ces gens. Ils étaient étranges, quelque chose en eux me faisait trembler, ils étaient bestiaux. Leurs regards étaient tellement sauvages ! Quand je fus contrainte d’avancer un peu plus dans la pièce, pour me retrouver au milieu, je sentis sa présence puissante. Il était là, son ombre palpitait, je le sentais. Des frissons d’anticipation me saisirent. Allait-il me faire hurler en m’empoisonnant avec elle ?
— Voici donc la nouvelle ! Joris tu as bien cherché, elle a l’air… mûr.
L’homme à qui appartenait cette voix caverneuse se trouvait derrière moi. Et au sourire extatique du meurtrier de mes parents, je sus qu’il était le fameux Joris. Je ne bougeais pas. J’avais le sentiment qu’il n’était pas juste dans mon dos mais derrière moi. Mon menton trembla alors que je serrais mes mains l’une contre l’autre. Je sentis que l’on m’étranglait et pourtant quand je tentais de retirer la prise, il n’y avait que ma peau.
J’ouvris la bouche, complètement paniquée. De l’air ! Je ne comprenais pas, il n’y avait rien mais cela me compressait tellement la gorge ! De l’air. Il me fallait respirer ! Je tombai à genoux sans y faire attention. Des rires résonnèrent, l’homme grogna d’appréciation. Je me grattais la gorge alors que je sentais le sang battre à mes tempes. Les battements de mon cœur semblèrent résonner de plus en plus fort à mes oreilles au fur et à mesure que ma vision s’obscurcissait.
— Irvan, cela suffit.
Je tombai à quatre patte, suffocante, la pression allant en augmentant.
— Irvan !
La pression disparut tout à coup. Je pris une grande inspiration sifflante avant de me mettre à tousser, pour reprendre une bouffée d’air ensuite. Je tremblais au sol, des larmes venant s’échouer entre mes mains. C’étaient des malades, tous. De gros malades.
— Leszeck ! Mon cher ami ! répondit l’homme d’un ton faussement joyeux. A quoi joues-tu ?
— Tu allais la tuer.
— Vraiment ?
— Nous avons besoin du plus grand nombre possible de changés. La tuer ne rimerait à rien.
On me redressa avec prudence. Je sentis la douleur de celui qui me tenait. Elle m’enivrait. Mon regard se porta d’abord sur la large main qui s’était emparée de mon bras, puis je remontais jusqu’au visage dur de Leszeck. Je savais que c’était lui. Je l’avais senti. Il serrait les mâchoires mais ne me lâchait pas pour autant jusqu’à ce que je sois complètement relevée. Il était beau à sa manière. Des cheveux longs, noirs et lisses. Je voulais passer ma main dedans, toucher leur texture. Me rassurer. Mais son ombre s’enroula autour de moi et il me maintint à ma place. Sa lèvre retroussée me montra les crocs qu’il possédait et par la même occasion le pouvoir qu’il avait sur moi.
— Donc puisque tu es si prompt à la garder, ce sera ta meute qui se chargera de son éducation. Et toi, la nouvelle, fais-moi plaisir, survis. Je serais déçu de ne pas te voir participer au spectacle.
Les autres se mirent à hurler, ensemble. Une cacophonie d’hurlements lupins, de jappements et de geignements. Mon procès avait été fait.