10.2. Dévoiler

4 mins

Et ce fut ainsi que je tuai tous mes adversaires. Je démembrai, écartai les côtes pour dévorer le cœur encore palpitant toutes dents dehors. J’avais faillis me transformer une ou deux fois quand j’étais prise sous le coup de la frénésie et la faim autant que ma louve. J’en profitais pour expulser toute la rage et le désespoir qui nous animaient. Je pensais à mes parents, à ma vie d’avant. Je me rendais compte maintenant que je n’avais pas forcément de souvenirs heureux. Je vivais principalement dans la peur et la retenue. Mais c’était ma vie, ma famille, mon quotidien. C’était mon identité arrachée, ma normalité violée, ma famille assassinée. Pour tout ça, nous tuâmes, nous arrachâmes et nous défigurâmes quiconque se trouvait sous nos griffes.

Quand nous coupâmes en deux la dernière femme, l’Arène se tut. Il y avait une odeur immonde qui se propageait autour du corps. Forcément, ses intestins avaient été arrachés également et ils s’étaient ouverts. La merde s’était étalée tout autour et la vessie devait être touchée aussi puisque le sable s’en imbibait de plus en plus. J’avais l’horrible impression d’être dans les égouts ou alors au début d’une station d’épuration. Enfin, rien de glorieux en somme.

Même si l’odeur était pestilentielle, le goût ravissant de la victoire m’inonda. J’étais vivante. J’avais gagné tous les défis, j’aurais ma liberté.

Brusquement, les portes s’ouvrirent de toute part, vomissant des hordes de garde-loups qui vinrent m’entourer. Ne comprenant plus rien à ce qui se passait, je tentai de passer au travers de cette armure de chaire mais je me fis jeter au sol comme une malpropre. Mon cœur battait la chamade et la bile remontait dans ma gorge, je ne voulais pas mourir après tout ce que j’avais subi pour vivre. Je levais le regard en même temps de me redresser, j’avais mal partout, j’avais envie de pleurer alors que le désespoir montait en moi comme un raz de marée sur le point de me submerger. Au-dessus de nous, dans la loge royale, Irvan se levait pour s’approcher au bord du balcon, il salua, sourit et s’inclina devant la foule qui hurlait en délire. Puis le roi loup leva la main pour obtenir le silence et quand ce fut fait, il me regarda enfin.

— Il fut un temps où les Hommes croyaient en nous et en la nature. Ils avaient peur des forêts, des marécages, des déserts, des montagnes, peur des homme-loups et grâce à cela, ils nous respectaient. Vous souvenez-vous ? dit-il en s’adressant à présent à tous. Dans les petits hameaux, dans les villages et, à la grande époque, même dans les villes, on nous offrait les meilleurs sangs, le meilleur tribut pour qu’il devienne aussi grand que nous. Des filles et des fils de Lune mis sous la coupe protectrice de la déesse mère et donné à nos frères et nos sœurs pour faire perdurer nos cultes et nos pouvoirs à travers le temps. Aujourd’hui, nous ne pouvons que regretter cette belle époque que l’arrière-grand-père de mon arrière-grand-père et les arrière-grand-pères de vos arrière-grand-pères ont connus. Les humains nous ont oubliés, ils ont remplacés leur croyance en nous, leurs maitres, par des connaissances, par la… technologie.

Il ricana sombrement avant de secouer la tête d’un air abusé. Je commençais à me poser des questions, oubliant mon angoisse. La foule émit des chuchotis, l’excitation grandissait petit à petit. Certains savaient déjà ce qui allait être annoncé, mais la plupart des loups espéraient.

— Ce changement nous a presque exterminés, ils ont détruits nos maisons, arrachés la nature et nous ont condamnés à une vie de dureté. Le nombre de louves ne fait que diminuer et le peu qu’il reste n’enfantent généralement que des garçons. Ne croyez pas que je rejette la faute sur vous, mes sœurs, au contraire. Nous savons votre force, nous remercions votre courage et nous saluons votre sacrifice. Mais cela ne peut plus perdurer. Loups ! J’en appelle à votre conscience ! Pouvons-nous encore laisser nos louves subir ce poids !? Elles finiront à bout de force et disparaitront pour de bon, et ensuite que se passera-t-il quand elles seront toutes auprès de la déesse ? Nous les rejoindrons peu après et toute une espèce aura disparu de la surface de cette Terre. Les humains auront gagné.

Des hurlements se faisaient entendre, les loups huaient et se faisaient remarquer par tous les moyens. Même les gardes autour de moi émettaient des cris. Moi, j’attendais, le cœur battant à tout rompre. Ils étaient en voie d’extinction ? J’avais bien compris qu’il était difficile pour eux de procréer, ça tombait sous le sens. Ils enlevaient des femmes humaines, les forçait à adopter leur mode de vie et ensuite ils s’unifiaient à elles dans l’espoir d’avoir des enfants. La meute de Leszeck en avait eu, ils avaient déjà utilisés cette méthode. Par ailleurs, il apparut à la droite d’Irvan, droit, torse nu, ténébreux. Ce ne fut qu’à cet instant que je remarquais qu’il avait vraiment une plus forte carrure que quiconque ici. Je me sentis soudainement étrange alors qu’une sourde chaleur venait se loger dans mon ventre et entre mes cuisses.

— Beaucoup d’entre vous se sont demandés pourquoi j’avais décidé de réaliser un tournoi si… particulier cette année. Avec mon frère, Leszeck, nous avons déjà essayé certaines méthodes pour compenser notre petit problème. Comme autrefois, nous avons pris le meilleur sang que la déesse nous offrait, nous avons récupéré des filles et des fils de Lune et leurs avons ouverts les yeux. Leszeck a donné la chance aux siens d’apprendre à courir comme nous, à vivre et manger avec sa meute. Le but de l’Arène cette année est de voir jusqu’où les changés peuvent s’adapter à nous. Voilà mes frères, mes sœurs ! Voilà le résultat final de l’Arène ! Une femme capable de vaincre les guerriers les plus sauvages de nos rangs, une changée qui a accepté le traitement de l’Arène et qui l’a transformé à son avantage. Elle est l’incarnation de l’espoir de tout un peuple. Elle est la preuve que nous avons trouvé la solution. C’est un miracle.

Tous applaudirent, même Leszeck malgré sa mine patibulaire. Ma louve hurla aussi mais pour une toute autre raison, l’Alpha n’avait pas deviné à quel point sa “solution” était efficace. Je n’étais plus seulement une changée comme il le pensait, j’étais une louve. Irvan, fier comme un paon, s’inclina plusieurs fois, il riait. Je devinais que son égo devait se nourrir en abondance de tant d’attention et d’engouement.

Soudainement, un cri de douleur résonna derrière moi. Je me retournai pour voir qu’un des garde-loups avait enfoncé ses griffes dans un autre. Aussitôt des ordres fusèrent, le groupe se divisa en deux. Les pions blancs et les pions noirs. Leszeck et Irvan.

Par ailleurs ce dernier hurla :

— Que se passe-t-il ici !?

— Navré mon frère, mais je ne te laisserais pas t’approprier mon miracle.

Et tout s’enchaina dans un fond bien sanglant, pour changer.

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