La salle résonnait du bruit assourdissant des voix des nobles, hommes et femmes, qui la remplissaient. Contrariées et enjouées, elles s’élevaient au dessus du tumulte extérieur qui me parvenait tel un écho lointain.
Tout concentré que j’étais, planté devant cette porte, je pouvais percevoir toutes ces voix , lointaines et proches à la fois et aussi les murmures.
Ah, les murmures, je les percevait aussi très nettement. Les murmures des frustrés, des indignés, des outragés, des évincés et surtout les murmures des comploteurs qui, déjà, hourdissaient dans mon dos, complots et intrigues contre le roi que je n’étais pas encore.
Je me sentais alors comme sur un champs de bataille. Ces cris , ces murmures, cet écho si lointain, étaient comme autant de flèches que je devais éviter afin de me prémunir du poison mortel dont elles étaient enduites.
Me concentré sur moi-même, voilà ce que je devais faire, voilà ce que je ne parvenais pas à faire. Mon propre corps me paraissait étranger, vide , froid , rien n’en émanait, je ne tremblait pas , de même pour mon esprit , totalement fermé, je captais tout de l’extérieur mais n’entendait pas les cris de mon âme et c’était tant mieux car je pense, non, je sais que je ne l’aurais pas supporté.
J’allais devenir roi, ce n’était pas rien.
L’accepteraient-ils? Mes frères me soutiendraient-ils? Bien sûr que non . Et tous ces nobles qui doutaient de mon ascendance royal? Encore moins.
Combien? Combien de temps leur faudra t-il pour m’éliminer? Combien de temps avant la coupe de vin mortel, la soupe avariée, la chute dramatique dans l’escalier, l’accident de chasse fatal? Autant de questions qui s’étaient bousculées dans ma tête la veille, mais qui ce jour là passaient sous silence.
Soudain, le son des trompettes retentit une première fois, signifiant ainsi que la cérémonie ne saurait tarder davantage.
À ce moment-là, ce fus la douche froide, d’un coup d’un seul, tout les doutes, toutes les appréhensions que j’avais au sujet de ma situation, de ce que je devais faire, de mon avenir et de ma mort plus que probable, me revinrent en pleine figure tel un ouragan furieux.
Je me sentit soudain lourd, ma tête me tournait, mon cœur pulsait à une vitesse folle dans ma poitrine, me coupant presque la respiration. Le sang affluant dans mon cerveau à tout allure faisait vriller mes tempes , m’empêchant ainsi de me concentrer sur autre chose que la douleur et le vertige qui me parcouraient.
Pouvais-je vraiment le faire? Rentrer là et réclamer quelque chose que je n’étais pas sûr de mériter et même de vouloir en fin de compte.
Je n’étais pas près pour ça, il faut du temps, être roi ça s’apprend.
Le second coup retentit, l’heure de mon entrée approchait. Je me concentrait davantage, tentant de me redonner un semblant de contenance. ” Le futur roi ne peu avoir l’air d’un branquignol le jour même de son couronnement” ironisais-je alors.
Le troisième coup de trompette résonna et se fut enfin l’heure pour moi d’affronter…
D’affronter quoi? Mon châtiment? Mon destin peut-être? À cet instant précis, ça n’avait pas d’importance.
J’étais à nouveau devenu calme. Envahi par une étrange plénitude. Le cœur humain est si changeant.
Les grandes portes en chaînes massif, colorées en violet byzantin et portant en chaînes d’or les armoiries de la maison royal à savoir un aigle couronné en pleine tempête, s’ouvrirent devant moi et un feu blanc dispersa les ténèbres dans lesquelles je me trouvais.
La lumière du soleil de midi filtrait à travers les meurtrières de l’immense salle du trône et venait titiller ma rétine déjà trop habituée à l’obscurité.
Je restais d’abord un instant immobile comme figé sur place , retenu par une force invisible. Comme j’aurais aimé mourir à ce moment-là, mais rien. Les deux gardes de part et d’autre de ma personne ne bougeaient pas non plus , attendant manifestement mon avancé avant d’entamer la leur.
Mon corps, dont j’avais totalement perdu le contrôle se mit alors à avancer sans que je comprenne pourquoi. Les gardes se mirent en marche dix pas derrière moi et nous entrâmes dans la salle.
La lumière se fit alors plus insistante, mais ce n’était pas le plus dérangeant.
Les regards, les regards eux étaient dérangeants. Circonspects, indécis, méprisants, calculateurs, empreints de pitié, haineux, colériques, dubitatifs…
Il y en avait pour tout les gouts. Cela n’arrangeait pas mes affaires, mais je ne me démontait pas pour autant. Restant droit dans mes bottes et ma tenue taillé exprès et en moins d’une semaine pour l’occasion. La démarche semblait en amuser certains qui ne se privaient pas pour me lancer des regards en biais.
J’appris plus tard que ceux-ci étaient des Lords puissants. Et c’est peu dire qu’ils me causèrent par la suite, bien des problèmes.
D’autres faisaient bonne figure et restaient calme et respectueux, mais dès que je dépassait leur rangé, je pouvais percevoir les murmures qui s’élevaient de nouveau.
Mon corps n’en faisait décidément qu’à sa tête ce jour là. Après avoir décidé de bouger tout seul , voilà qu’il ralentissait ma perception du temps, j’avais l’impression de mettre mis à avancer depuis des heures et que ce foutu trône était hors de portée.
L’avantage ou plutôt l’inconvénient c’est que je pouvais tout voir, tout entendre, je pouvais scruter chaque visage, chaque expression. La majorité m’étaient hostiles, quelques rares étaient compatissant, mais aucun ne m’était amical.
Soudain, ma perception fus remise en marche et je retrouvais la réalité d’un coup. Je me tenait devant un vielle homme à la barbe grisâtre, mi- longue , mi- courte, des yeux perçants et bridés à souhait , signe de son vielle âge, avec sa longue robe noire, il ressemblait aux vieux sorcier des histoires de ma mère.
Il s’appelle Jelling, je le savait car il est l’une des rares personnes ici que j’avais déjà rencontré, car il faisait partie de l’escorte venu me chercher dans mon village. C’est lui qui m’avait annoncé la nouvelle. Quant à savoir s’il était de mon côté ou non à ce moment-là , bien malin celui qui y parviendrait, son expression faciale était indéchiffrable.
Il esquissa ensuite ce qui sembla être une révérence et m’invita à m’asseoir sur l’immense siège fait de bois, d’or et de fer. Ce que je fit , il prit ensuite la parole.
– Mes frères, mes sœurs andorries. Barons, ducs, Lords et Ladys de toute la contré, leurs altesses, dit-il en avisant mes frères, nous sommes réunis en ce jour pour célébrer le couronnement de notre nouveau roi, en remplacement de notre vénéré roi Thiphius récemment décédé.
C’était bientôt à moi de Parler.
– Présentez-vous mon prince.
Je respirait un grand coup, priant pour que ma langue ne fourche pas sur les mots que j’avais appris la veille au matin. Le jeune homme que j’étais s’élança et tonna d’une voix qui se fit plus forte qu’il ne l’aurait voulu.
Je donnais alors mon nom entier.
Jelling m’invita du regard à poursuivre, ce que je fit.
– je suis le fils du roi Thiphius et en tant que son héritier légitime je réclame la souveraineté sur Andorra.
– Moi Jelling, chefs des prêtres de toute la contré reconnaît en effet ce jeune garçon comme tel. Si quelqu’un parmi cette assemblée pensent avoir des raisons avec preuves à l’appui de douter de la légitimité de ce garçon ou même d’être plus légitime que lui sur le trône, qu’il parle dès à présent.
Tout le monde regarda alors dans la direction de la famille royale, mais aucun d’eux ne semblait vouloir réagir.
Sauf bien sûr mon frère Éon reconnaissable à la cicatrice qui lui barre l’œil gauche, qui par contre semblait s’échauffer et allait sans doute se lever pour dire quelque chose.
Mon cœur rata d’abord un battement puis accéléra brutalement, j’appréhendais sa réaction et attendis les insultes.
Mais rien ne vint. Je vis alors que ma sœur, jeune femme blonde , très belle, avait posé sa main sur la sienne et l’avais calmé.
Mon cœur s’apaisa lentement mais accéléra à nouveau quand je vis la splendide couronne d’or et de cristal dans laquelle était taillé les armoiries de la maison Thrusvald que l’un des prêtres assistants tendit à Jelling.
– Bien, dans ce cas, commençons.
– Héritier légitime de la maison Thrusvald et du trône. Promets-tu de gouverner avec justesse, droiture et sagesse tout le temps que durera ton règne?
– Sur les dieux et les anciens, je le promet.
– Acceptes-tu de traiter avec respect tout les membres de ton peuple quelques soit leurs rangs?
– Sur mon nom et sur mon honneur, je l’accepte.
– Consens-tu à donner de ton temps et de ta personne, de sacrifier ta vie pour la prospérité du royaume?
– Au nom des hommes et des esprits, j’y consens.
– Jure-tu de préserver le royaume du danger et de protéger ses habitants de toutes menaces?
– Au nom de l’aigle et du sang, je le jure.
Il leva la couronne au-dessus de ma tête et acheva la cérémonie.
– Moi Jelling, premier prêtres du royaume, te couronne et te consacre.
Je me levais alors et mit un genoux à terre. Il posa la lourde couronne sur ma tête, ça rentrait parfaitement, et proclama :
– Lève-toi, roi d’Andorra, protecteur de la couronne.
Je me relevait alors et tous se levèrent d’un seul mouvement, personne n’avait applaudi.
Jelling m’invita à le suivre, on ouvrit l’immense porte de verre qui donnait sur le balcon de marbre blanc qui surplombait la cité royale. Je sorti en plein jour et le tumulte qui se faisait écho lointain se fit tonnerre grondant, puis se fit silence étouffant.
Le peuple, mon peuple, me scrutait.
Jelling pris la parole et dit :
– Saluez votre nouveau souverain, l’héritier de la maison Thrusvald, roi d’Andorra et protecteur de la couronne.
Aujourd’hui encore je me demande toujours à quoi il s’attendait en disant cela. Les andorries, dubitatifs, me regardaient, les yeux cois , l’incompréhension, le doute, se lisaient sur leurs visages.
Je les regardait du haut de mon perchoir marbré, et me demandais vraiment ce que je faisait là, j’allais me faire lyncher.
Le peuple scrutait son roi.