1. Orage

6 mins

                                                                             .oOo.

Les quatre équidés courraient à brides abattus sur la route rocailleuse , leurs sabots martelaient le sol au rythme de leur respiration devenu frémissante. Leurs muscles, sollicités à l’extrême se contractaient et se rétractaient suivant le rythme imposé par la course.

La pluie tombait sur leur robe noire et faisait jaillir de leurs naseaux une vapeur glacée.

Les coups s’abattaient à un rythme régulier sur leur peau nu. Le coche, insensible à leur complainte, faisait sortir d’eux des hennissements furieux à chaque coup qu’il donnait.

Seul, l’ombre se dessinant dans la nuit sans lune, constituait un soulagement, l’atteindre signerait la fin de leurs souffrances.

Dans l’habitacle qu’ils tiraient à la force de leur jambes, la douleur qui étreignait ses occupants était plus émotionnelle que physique.

Elle parcours le cerveau et l’embrume , traverse le cœur et le comprime.

Le choc , pourtant attendu, avait été brutal.

Les deux princes peinaient encore à se remettre. Les soubresauts du fiacre qui les conduisait à la capitale ne semblait qu’un rêve. Si seulement.

Cyprès observait son puîné, il lui avait toujours été aisé de savoir l’instant où son frère réfléchissait. Quand à savoir sa pensée, il n’était pas devin.

Le cerveau de Cyprès aussi tournait à vive allure. Tournant et retournant les informations dont il disposait. Réfléchissant au prochain évènement et au remaniements qu’il entraînerait. À même pas vingt ans, serait-il prêt à affronter tout ça?

Comme il avait hâte de voir sa grande sœur, elle, elle saurait apaiser ses craintes.

En attendant, il était coincé ici, avec le frère qu’il appréciait le moins et qui ne semblait pas vouloir discuter, le laissant ainsi seul avec ses pensées assassines.

Il décida de briser l’accord tacite de silence qui s’était imposé lorsqu’ils avaient pris place dans le véhicule.

– Je me pose la même question depuis notre départ. Elle s’impose à moi et obstrue mes pensées. J’imagine que ça doit être la même chose pour toi.

Il attendit une réponse qui ne vint jamais. L’aîné se gardait de répondre. Le cadet insista.

– Alors? Tu crois que c’est vrai cette histoire?

Eon, consentit à répondre sur un ton qui se voulu modéré, mais le regard dur qu’il adressait à son frère trahissait sa frustration, sinon son agacement. Il n’avait pas envie d’en parler. Pas maintenant.

– Tu crois vraiment que mère s’amuserait à plaisanter sur un sujet aussi grave. ” Mes enfants, votre père ne passera pas la nuit. Ah, non, ce n’était qu’une plaisanterie.” , Tenta t-il sarcastique.

Son cadet goutta peu à l’ironie et se renfrogna. Il se retint de lancer une pic. S’il avait bien suivi le message ce n’était vraiment pas le moment de se quereller.

Il fit mine de se passer une main sur le visage et soupira, las.

– Tu sais très bien que je ne parlais pas de ça. Désolé pour L’expression mais c’était “couru d’avance” . Nous savions tous que ça n’aurait su plus tarder.

Ce qui m’intrigue c’est la fin de la lettre.

– Je vois , fit l’aîné le regard plus conciliant. Il est vrai que la fin de la lettre est pour le moins floue. Mère évoque des choses que j’admets ne pas comprendre.

– Nous en saurons sûrement plus une fois sur place.

– J’ai le très net sentiment que je ne vais pas aimer savoir.

Éon s’en retourna dans son mutisme et laissa son frère seul avec ses pensées. À nouveau.

Malgré le presque orage et la pluie battante, Cyprés passa sa tête par la fenêtre en prenant soin d’écarter les rideaux en soie violet byzantin qui la recouvraient.

Des trombes d’eau lui passèrent sur le visage et dans les cheveux.

Il ne lui fut pas aisé d’identifier la cité royale dans la nuit noir et humide. Mais quand il parvint à en distinguer les contours au travers de la pénombre, elle lui apparu telle une géante ogresse.

Ses toits habituellement d’Ivoire semblaient épines de fer. Prêtes à transpercer les téméraires qui oseraient s’approcher.

Était-ce vraiment la ville qui l’avait vu grandir? Il ne lui connaissait pas cet air inhospitalier. Il ne s’était jamais autant senti étranger chez lui.

Ah qu’il avait hâte de revoir sa sœur.

                                                                                        .oOo.

Deux autres fiacres semblables à celui de nos deux princes avançaient vers la cité par la route ouest.

Quatre jours auparavant , ils la quittaient, prenant la direction de la baronnie de Cassalie.

Escorté par une large cavalerie, la délégation avait avancé vite , nullement entravée par la saison des grandes pluies qui faisait son grand retour.

Nul doute que le dieu Énantion avait retrouvé son épouse bien aimée et faisait exploser sa joie en abreuvant la terre.

Le début du voyage fut simple, presque agréable. Les religieux, car s’était eux que l’on escortait, n’eurent pas à se plaindre. Au contraire des chevaliers qui les accompagnaient.

On ne leur avait donné aucun détails sur la mission. Ils étaient habitués à obéir, mais là, même leur capitaine ignorait tout du but du voyage. Seul la destination était connu.

Mais bien idiot celui qui se risquerait à poser la moindre question. Surtout quand l’un des passager était le grand prêtre lui même. Tous savaient l’homme acariâtre et porté sur le secret. Le grand prêtre Jelling n’était pas quelqu’un à qui on posait des questions lorsqu’il n’avait pas jugé utile de vous transmettre des informations.

Le voyage dura deux jours, ils empruntèrent la voie expresse. Passant directement au sein même des domaines seigneuriaux. Brandissant le sceau royal à tout les lords qui se risquaient à exiger des explications. Ils étaient en mission pour le roi. On ne pose pas de question au roi.

À la nuit du deuxième jour, ils se trouvaient sur une large route. La délégation avançait plus lentement. Les chevaux, épuisés par la cavalcade qui leur avait été imposée en début de journée, ne pouvaient plus que trotter.

On entendait les roues des véhicules crisser et buter sur les cailloux et les monticules de terre.

La fatigue ne touchait pas que les chevaux. Épuisés par le combat qu’ils avaient menés pour protéger les prêtres, les chevaliers s’assoupissaient presque sûr leurs montures.

Le froid de la nuit n’était pas là pour arranger leur situation. August leva la tête vers le ciel, les nuages qui s’amoncelaient ne laissaient rien présager de bon. L’orage approchait.

Le capitaine n’avait guerre comprit pourquoi on lui avait demandé de mobiliser ses meilleurs hommes, comme s’il s’agissait d’escorter le roi. Aucun homme à part sa majesté ne saurait bénéficier de pareils protection, fut-il le grand prêtre lui-même.

Après cette attaque surprise, il lui apparaissait à présent qu’il avait sous-estimé l’importance de sa mission et de celle du grand prêtre. Cette dernière semblait capitale. Ce qui expliquait la présence du sceau du roi. Il aurait dû y faire plus attention.

Le but n’avait pas été la capture, on avait clairement essayer d’assassiner le prêtre. Les hommes qui leurs avaient tendu cette embuscade étaient bien renseignés. Ils étaient armés aussi, bien armés.

Quelqu’un voulait empêcher le prêtre d’accomplir sa mission et ce n’était visiblement pas n’importe qui.

August Azerti commençait sérieusement à ce questionner sur le but réel de ce voyage. Que devait accomplir Jelling pour le roi qui fût-ce si important que l’on tente de l’en empêcher.

Nul n’ignorait la maladie du roi. Serai-ce là sa dernière requête. Mais alors, pourquoi vouloir empêcher un mort de poser un dernier geste? Le royaume se portait bien, le roi était aimé. Son décès chagrinerait tout le monde, mais son aîné prendra sa place et la vie continuera sur Andorra. Alors pourquoi?

Plongé dans ses pensées, il ne vit pas l’un des soldats s’approcher. Ce dernier l’interpella et lui indiqua qu’ils étaient enfin arrivés. August leva la tête et avisa un grand village à quelques mètres de leur position. Enfin.

Le soldat retourna à sa position.

August se mit alors à contempler ses troupes, il n’avait presque pas perdu d’hommes lors de l’escarmouche. Les siens n’étaient pas déstabiliser outre mesure, ils étaient rodé à ce genre de situation et semblaient au augets malgré la fatigue et les paupières qui tombaient. Cette fatigue se lisait sur leurs visages, de même que le trouble, le même que le sien sans doute. Un lit et un repas chaud seront les bienvenus.

Il encouragea ses hommes. Il tonna de sa voix grave avec son accent typique des terres du sud.

– Mes sieurs , nous sommes enfin arrivés à destination. Encore un petit effort. Une fois sur place nous pourrons nous reposer. Accélérons la cadence.

Un murmure soulager lui parvint et l’on accéléra le pas.

August fit avancer sa monture au trot , s’approcha du deuxième fiacre et cogna.

Une main blanche et ridée écarta les épais rideaux. Jelling avisa le capitaine Azerti. Que lui voulait-il encore?

– Qu’y a t-il? J’ai entendu, nous arrivons enfin, se dépêcha t-il de préciser pour signifier qu’il avait des oreilles, répéter était inutile.

– Oui, grand prêtre. Je voulais juste savoir si nous resterons longtemps. Les hommes sont fatigués, je voulais savoir de combien de temps nous disposions pour nous reposer.

– Très peu vu l’heure tardive à laquelle nous arrivons. Faites une petite sieste et sustenter vous rapidement. Nous repartons à l’aube.

– À l’aube? Répéta le capitaine incrédule.

– Oui, à l’aube, confirma le vieil homme. Et prenez soin de changer tout les chevaux, si ceux là sont aussi fatigués que vos hommes, nous mettrons plus de temps encore à rentrer, asséna t-il cassant.

Il rabattit ensuite les rideaux signifiant que cette petite conversation était terminée.

August renifla , cette homme ne lui plaisait décidément pas. À l’aube! En plus d’être important c’était urgent.

Il reprit sa position, ils entamèrent la descente qui les mènerait au village.

Ce dernier était grand, quelque peu rustique mais ne semblait pas déphasé comme certaines régions du nord. On voyait les volutes de fumée des cheminés qu’on allumait. August pouvait presque sentir le lait que l’on chauffait dans les cuisines et l’odeur de la soupe du soir.

Ses hommes et lui n’auront que peu de temps pour en profiter, la nuit était déjà bien avancée, l’aube ne saurait tarder, quatre heures tout au plus.

Cette mission s’avérait décidément bien étrange, il espérait juste que le mauvais pressentiment qui étreignait son cœur n’ai pas des velléités de prendre forme.

L’orage éclata.

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