" Par la bande "

5 mins

Encore quelques instants…

Un courant d’air frais et un rayon de lumière viennent nous sortir de l’obscure clarté de notre quotidien aux fragrances animales et mécaniques.
C’est au son des cornemuses venues nous saluer que nous rentrons dans la rade de Brest mal rasés mais la tête haute après un peu plus de deux mois de mission à bord de l’Insoupçonnable l’un des submersibles de la force de dissuasion nucléaire.
Engagé dans la Royale, volontaire pour devenir sous-marinier, après avoir étudié tous les bruits et rumeurs qui courent entre deux eaux je suis devenu non sans une certaine fierté l’oreille d’or du bâtiment. Expertise qui plus ou moins volontairement m’accompagne lors de mes séjours à terre en identifiant les sons de mon autre bâtiment :        
     o    Le polonais du troisième, qui, et ce n’est pas trop tôt a changé sa machine à laver dont les roulements semblaient trouver plaisir à jouer des castagnettes au plus profond de mon sommeil.
     o    Les cris et chuchotements des rencontres conflictuelles ou amoureuses survenant souvent les jours de paye et pour lesquelles il m’arrive de mettre en avant ma force de dissuasion musculaire pour calmer l’excité avant de conseiller à sa compagne de composer le 3919.
     o    Les bruits et rumeurs de l’environnement extérieur eux aussi ne m’échappent pas. Je peux saisir en détail les conversations et les négociations commerciales des herboristes des halls et pieds d’immeubles dont parfois le cycle infernal de sanglants litiges fait grand bruit dans la presse.
      


Sur l’arête dorsale du bateau noir je me dis que comme à mon habitude je profiterai de ma permission pour aller embrasser mon père atteint de maladies du grand âge. Un rapide bonjour et la conversation s’égarera. Quelques instants après il appellera Magaly ma compagne pour se plaindre que je ne viens jamais le voir. J’irai aussi saluer mon frère Xavier qui désormais sous une pierre gravée à son nom repose dans le cimetière du Ladhof. L’une des dernières fois ou j’y suis venu je n’ai pu que me cramponner aux grilles fermées pour cause de covid, mes larmes et ma colère y sont restées accrochées…
Puis, comme à chaque fois avec les copains nous nous retrouverons dans le Winstub, de nos vingt ans ou j’y ai appris sans en être trop surpris qu’ici comme ailleurs la combinaison des forces de dissuasion policières et judiciaires ne suffit pas à calmer l’ardeur des petits et gros dealers…
    


L’équipage aligné sur le pont salue les familles rassemblées sur le quai. En retour Magaly et les enfants me font de grands signes en trépignant d’impatience.
Dès mes premiers pas sur la terre ferme mon élan est brisé net par un officier sous-marinier qui vient me faire face.

     •    Sylvain l’affaire est sérieuse et je te demande de te tenir immédiatement à la disposition des gendarmes qui m’accompagnent.
Avant que ceux-ci n’aient eu le temps d’ouvrir la bouche je me suis adressé à eux.
     •    Messieurs je ne sais pourquoi vous êtes ici mais je me rends à vous. Ne cherchez pas d’armes, je n’en ai pas, les missiles sont à leur place, je n’ai pas tué, je n’ai pas volé et encore moins trahi la confiance qui m’a été donnée. En retour de mission je n’ai que ce sac et je vous demande de bien vouloir me laisser embrasser sans entraves ma femme et mes enfants.
Les gendarmes après s’être saisi du sac et en avoir examiné le contenu acquiescent. Il n’y a qu’un porte carte avec une photo de famille devant le phare du Petit Minou et au dos une photo de Xavier accompagnée d’un entrefilet du Journal d’Alsace annonçant en gros et en gras qu’il avait été percuté par un automobiliste hors d’état de conduire. Moi je me trouvais alors à vingt mille lieues sous les mers. Je ne l’avais appris que quelques semaines plus tard.

Les enfants accourus et impressionnés par la profusion d’uniformes ont compris que quelque chose d’anormal et de pas heureux se passait. Leurs yeux se sont aussitôt embués.
Magaly, moussaillons je dois accompagner ces messieurs pour une longue patrouille. Par la pensée je serai auprès de vous. Je vous demande d’être forts de respecter les consignes que vous donnera maman et de faire au mieux de ce que vous pourrez pour l’aider car elle en aura bien besoin.
    


Le chef des gendarmes, après s’être présenté en tant qu’officier de police judiciaire me dit :
     •    Vous êtes bien Sylvain MEINRAD ?
     •    Oui !
     •    A partir de cette heure, vous êtes placé en garde à vue pour…
Il poursuit sur le même ton en évoquant les droits et motifs qu’il connait par cœur à force de tant les répéter…
Arrivé au poste l’interrogatoire commence aussitôt.
Négligemment placé… Il y a sur le coin du bureau un classeur ouvert. Celui ou je range dans des pochettes les factures d’entretien de la super 5 de mon père que j’utilise lors de mes expéditions. La chose n’est pas innocente. Entre deux factures émergent des extraits de presse. Les questions ne tardent pas à venir :

  •      •    Monsieur MEINRAD vous êtes chanceux. La voiture déclarée volée par votre père a été retrouvée, devant son domicile avec tous ses papiers y compris ce classeur et quelques objets divers !
         •    Bravo !
         •    Merci ! Et pour la presse ?
         •    Oui, je sais, quand je reviens de mission je rattrape mon retard en piochant dans la pile de canards laissée par mon voisin !
         •    Les résultats du Stade Brestois n’ont pas l’air de retenir votre attention !
         •    Vous n’avez pas tort. Avec notre job on ne sait jamais ou l’on est, alors difficile de s’attacher. Aussi bien souvent je me limite aux gros titres de la première page !
         •    Rassurez-moi, “y-a pas” que des règlements de compte en première page !
         •    Vous n’avez pas tort. Mais convenez que les quelques dizaines de macchabées par an abandonnés sur le bitume en ne faisant pas la démonstration de l’efficacité d’une dissuasion meurtrière à coups de kalachnikovs font de belles manchettes.
         •    A bien y regarder par un extraordinaire hasard les dates de ces faits divers correspondent à celles de vos missions. Qu’avez-vous à nous en dire !
         •    Rassurez-vous. Une fois au fond des mers je me garde bien de sortir en fausse perm. Si vous me faites venir ici pour me dire que mes absences me servent à aller faire le coup de feu à l’extérieur. On se prépare à l’erreur judiciaire !
         •    Parlons-en de vos permissions et séjours à terre !
         •    Je me rends saluer mon frère et mon père. Vous pouvez leur demander !
    Le gendarme fait la moue avec l’air de penser que je risque de trouver à qui parler si je continue ainsi.
          •    Et le reste du temps ?
         •    Ma femme, mes enfants, une rapide virée pour me ressourcer et la marine qui ne me lâche pas dans la nature. J’allais oublier de temps en temps j’aime à faire usage de mes queues sur les tapis de billards. En passant par la bande mes coups, indirects, sont bien plus efficaces !
    Le gendarme approuve en connaisseur.
         •    On a du mal à vous suivre tant vous vous faites discret !
         •    Pour la dissuasion, la furtivité est l’une de nos qualités !
    Midi, l’audition s’accélère.
         •    Un peu partout dans toute la France, sur des murs en pied d’immeubles entre les immatriculations des véhicules de police, gendarmerie, les stupéfiants tarifs et les promotions du jour, il nous arrive de trouver des messages, écrits avec une sorte de craie bleue. Ils semblent semer une macabre zizanie dans le commerce de proximité.
         •    Oui et alors ! Des messages de quel genre ?
         •    W cause aux keufs, la caisse de X est bourrée de beuh, Y veut piquer le spot, Z coupe la marchandise pour son compte, etc. Quelques jours plus tard il est fait un mauvais sort à W, X, Y ou Z. Et vous vous êtes en mer.

          •    Ah, j’allais oublier. Dans la boite à gants on a aussi trouvé ce bout de craie râpé avec les mêmes poussières que celles relevées sur le mur d’un immeuble bien connu de nos services. Tenez, en prime je vous laisse la première du canard local !
                                                                                 ” Règlements de comptes entre bandes.”

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx